Chapitre 1 : 4 Octobre 2318
Homère? Homère! Allez réveille-toi!
Une main saisit son épaule avec douceur pour le secouer affectueusement.
Une dure journée de travail nous attend!
Le jeune Homère ouvrit péniblement ses yeux : le visage réconfortant de son père était penché au-dessus de lui dans sa minuscule cabine.
_Bien dormi mon petit? lui demanda-t-ild'une voix douce tout en ébouriffant sa massive tignasse brune qu'il lui avait léguée.
Le jeune garçon se redressa comme il le put dans sa petite couchette et frotta ses yeux encore tout alourdis par le sommeil. Avait-il passé une bonne nuit? C'était une bonne question songea-t-il, habité encore par ce rêve étrange. Il était seul, perdu dans un paysage brumeux s'étendant à perte de vue tout autour de lui. Il marchait sans cesse, essayant en vain de trouver quelque chose qui rompe avec cette morne plaine. Il savait qu'il cherchait quelque chose de plus précis dans son rêve mais il commençait déjà à se dissiper dans son esprit. Par contre le souvenir de la soif qui l'avait dévoré dans son songe et de la joie qui l'avait saisi en voyant un fleuve apparaître derrière la brume était encore bien présent dans sa mémoire. Il avait accourut vers le fleuve et avait commençé à en boire l'eau goulûment. Entre deux rasades il avait levé la tête et avait vu sur l'autre rive des silhouettes floues qui l'observaient silencieusement. A chaque gorgées supplémentaires, elles s'étaient faites de plus en plus ternes et vaporeuses. Un peu comme une brume que le vent finirait par disperser, fatalement.
Homère prit tout son temps pour se lever, tant il était encore touché par son cauchemar. Il jeta un rapide regard sur sa cabine et s'arrêta sur la petite tablette qui lui faisait office de table de chevet où trônait un vieil ouvrage datant de l'Ancienne Humanité : l'Odyssée. Le livre était petite mais dense et avait été précieusement emballé pour que le temps ne l'abime pas. Le recopier et le relier, c'était le début de son devoir en tant que jeune conteur : c'était à ce livre précisément qu'il devait son nom d'homme. Presqu'une année l'éloignait à présent de la cérémonie et pourtant son nom d'adulte fait lui semblait encore si étrange... Si artficiel…
_Bon, les garçons vous venez le petit déjeuner est prêt! Résonna la voix de sa mère dans les minces couloirs de la péniche.
La perspective d'un petit déjeuner de fête acheva de dissiper son rêve. Les villageois chez qui ils s'étaient amarrés leur avaient offert du lait et du beurre en signe de bienvenue hier. Ça changeait des habituels potages de légumes ou infusions du matin. Ça vous tenait bien plus au ventre et c'était si agréable de se réveiller avec de tels mets!
Homère suivit donc son père dans la grande salle principale au centre de la péniche de bois et d'aciers. Enfin grande… Tout était relatif dans une péniche où chaque espace était pensé et conçu pour être réduit à son minimum pour faire un maximum de place aux marchandises qu'ils transportaient de villages en villages. Sa mère les attendait déjà accompagnée de sa tante, de son oncle et de ses deux nièces. Les péniches étaient un bien précieux et coûteux à construire pour les siens : chacune d’elles étaient attribués à deux couples et leurs enfants. Homère avait eu de la chance : si sa tante avait eu un garçon il aurait été contraint de partager sa cabine. Il était priviligié parmi les jeunes de sa tribu, même si ses parents ne vivaient pas aussi bien ce privilège.
_Hé ben dis donc! Toi tu as eu du mal à te réveiller ce matin! Commenta sa mère mi-amusée, mi-excédée. Allez ne te montre pas inutile et ramène le pot de miel sur la table. Ça te tente avec ton lait chaud? Lui demanda-t-elle avec un sourire radieux et gourmant.
Il répondit à la bonne humeur matinale de sa mère par un sourire encore plus large et partit en quête du pot qui tronaît bien en évidence sur une des étagères de la cuisine. Le miel était un met rare et fameux, sa famille avait tendance à l’économiser. Il fut donc surpris que sa mère lui demande de s'en servir lorsque soudain il se souvint : aujourd’hui c’était l’anniversaire de ses deux cousines Jane et Wendy. Dans sa tribu chaque naissance était une fête, une véritable occasion de se réjouir alors que dire quand on fêtait l’anniversaire de jumelles…
Les deux petites étaient à table et étaient parties dans une grande conversation avec leur mère, Tante Barrie, sur leur futur nom d’adulte :
_Et moi si je ne veux pas changer de nom? Bouda Wendy en croisant ses bras et en adoptant la mine la plus renfrognée que lui permettait sa bouille de petite fille blonde.
_Tu n’as pas le choix c’est ainsi que nous faisons tous une fois adultes, lui expliqua sa mère. Regarde ton cousin il s’y est bien fait lui!
Homère prit place à table entre sa Tante Barrie et son père. Ce dernier prit la miche de pain trônant au milieu de la grande table et en découpa une bonne tranche bien épaisse pour tout le monde. Le pain n'était plus tout à fait frais mais avec du beurre frais ça sserait tout de même un pur régal.
_Moi ça me fait bizarre de l’appeler Homère je trouve que ça lui allait mieux Charlie! Répondit Wendy
_Dis tante Zola, ça t’embête pas qu’il ait perdu ton nom?
La question de Jane eut pour effet de laisser songeuse sa mère. Elle fixa son fils quelques instants : il avait ses yeux et ses tâches de rousseurs. Chez les conteurs, on savait respecter le silence de ceux qui cherchent leurs mots si bien que personne ne dit rien jusqu’à ce que Zola réponde à sa nièce. Couper la parole à quelqu'un était presque un sacrilège.
_Hmm, je mentirais en disant que non. C’était dur au début surtout. Car voyez-vous mes petites la cérémonie du Nom n’a pas uniquement pour but de faire de vous officiellement des jeunes adultes mais également de rappeler aux parents que les enfants ne leur appartiennent pas. C’est pour cela que vous perdez le nom que vous ont donné vos parents, leur expliqua-t-elle doctement.
_Mais tante Zola tu seras toujours la maman de Cha... d’Homère? Questionna la petite Jane soudain inquiète, peut-être de perdre elle-même sa mère en même temps que son nom. Vous avez aussi une cérémonie du Nom chez les chasseurs?
_Oui mais nous ne sommes pas que des fils et des filles dans notre vie. En tant que conteurs nous avons le devoir de faire survivre la mémoire de nos homonymes. Mais vous avez le temps de voir venir mes petites : votre cérémonie n’aura lieu que dans quatre ans.
Homère remarqua qu'encore une fois sa mère éluda la question sur ses origines. Elle était dévenue une conteuse par choix et non par filliation. C'était un phénomène rare chez les Descendants mais pas non plus sans précédents. En changeant de tribu, il fallait accepter qu'on ne retrouverait sa famille qu'une fois par an, durant l'hiver, à la Citadelle. Rares étaient ceux qui étaient prêt à faire un tel sacrifice. Mais il y en avait toujours quelques uns par génération.
Jane se tourna ses immenses yeux bleu vers son cousin et lui demanda :
_Dis Homère pourquoi tu ne veux pas nous raconter comment ça s’est passé pour toi?
_Chaque cérémonie est différente et certains récits ne doivent pas être racontés avant d’être vécus, leur répondit-il dans un style très prôche de sa mère.
Beaucoup de villageois de Francie commerçant avec les conteurs trouvaient qu'ils avaient tendance à user et à abuser des maximes, dictons et autre tournures de sagesses populaires mais les conteurs appréciaient les histoires même dans leur simplicité la plus extrême.
Le petit-déjeuner se déroula dans un calme paisible et la discussion se dirigea très rapidement vers le travail qui les attendait ce jour là. Ils allaient devoir décharger un maximum de marchandises, négocier les tarifs avec les villageois de Mamèsé et charger de nouvelles marchandises à échanger avec des villages en aval. C'étaient les conteurs et leurs péniches qui permettaient aux biens de circuler dans tout le sud-est de la Francie. Sa mère, Zola, allait l'emmener pour qu'il assiste aux séances de négociations sur les prix avec le chef du village : il avait l'âge parfait pour commencer à apprendre et il n'y avait pas meilleur maître du négoce que sa propre mère, la conteuse la plus âpre en affaire. Pendant ce temps là, son père King et son oncle Stevenson allait décharger les marchandises que la tribu s'était engagé à livrer la saison dernière et prendre soin des chevaux qui tiraient leurs péniches sur les chemins de halage. Tante Barrie, au ventre très alourdi par sa grossesse avancée, allait veiller sur la péniche et ses deux filles. Tout le monde devait être mis à contribution. Sur une péniche, les temps morts étaient rares ou bien consacrés à l'étude des ouvrages de son patron.
Les conteurs étaient toujours les bienvenus dans ce petit village de maraîchers. Outre le commerce de denrées et biens, les conteurs offraient bien d’autres services aux tribus qu’ils traversaient dans leur vie de nomades : ils faisaient office, dans tout le sud-est de la Francie, de notables en se faisant garant pour les mariages, contrats et naissances. Leur vie itinérante leur conférait une neutralité qui convenait bien aux habitants sédentaires de la région pour tous les sujets un peu sensibles et ils maîtrisaient la langue écrite des ancêtres. Pour des villages aussi pieux que celui de Mamèsé, tout texte écrit dans cette langue avait un caractère sacrée et inviolable. Par ricochet, cela conférait aux conteurs une aura de respectabilité.
Ainsi était faite la vie d’Homère : une vie de nomade au fil des saisons, des villages de sédentaires et de Sequenae. Le voyage de retour vers la Citadelle allait bientôt commencer. L’hiver commençait doucement à apparaître : les matins se faisaient de plus en plus froids, de plus en plus brumeux et les arbres se couvraient de teintes ocres.
Homère savoura son lait chaud parfumé de miel et sa tranche de pain couverte de beurre avant d’aller dans sa cabine s’habiller avec sa plus belle chemise, sa mère l'avait suffisament prévenu que s'il arrivait couvert de guenilles le chef du village percevrait ça comme un afront. Et ce même s'il commerçait avec les conteurs depuis toujours comme son père et son grand-père avant lui. Sa mère lui avait sans cesse répété qu'il devait à son hôte respect et égards. Sans le travail de ces paysans, les conteurs seraient aussi obligés de travailler la terre et le soir venu ils seraient tous bien trop épuisés pour étudier leur homonyme avec assiduité.
En sortant de sa cabine, il jeta un dernier coup d’œil au volume sur la petite tablette en bois à côté de son lit : l’Odyssée. C’était ce livre qu’il avait choisi par hasard lors de la cérémonie du Nom et que depuis bientôt un an il n’avait cessé de lire et de relire comme s’il y avait dans ce livre quelque chose, que la nécessité ou le sort avait mis sur sa route, un message que l’Ancienne Humanité avait voulu lui transmettre.
Sa mère l’attendait au niveau de la porte donnant sur le pont. Comme toujours elle le regarda avec un grand sourire mais depuis la cérémonie du Nom Homère pouvait y lire une certaine mélancolie, une sorte de peine.
_Maman, arrête de me regarder comme ça, maugréa-t-il en s'approchant d'elle.
_C’est juste que… enfin… Tu es si grand à présent, presqu’un homme.
_Oui et comme tous les hommes et les femmes conteurs je dois me rendre utile à tous, lui répondit-il en la contournant pour accéder à l’extérieur. Tu vois je les retiens bien tes leçons…
Sa mère en profita pour passer une main dans ses cheveux et il pesta gentiment bien plus pour la forme que pour le fond.
Tous les membres de sa tribus aptes au travail se retrouvèrent sur les berges. Sur de nombreux visages on pouvait encore lire les traces du sommeil et quelques mâchoires se décrochaient à l’occasion. Certains avaient commencé à débarquer des caisses pleines de marchandises. D'autres faisaient carrément rouler des toneaux amplis de boissons alcoolisés et amères que Homère trouvait parfaitement écoeurantes. Les quaies du petit village de Mamèsé s'emplissait doucement de victuailles provenant du sud, des caisses emplies de fruits et légumes, d'immenses rouleaux de tissus en lin ou en chanvre, de fourures, d'outils manufacturés provenant de la Citadelle des conteurs et des ateliers de leurs batisseurs ou des voyages de leurs collecteurs. Homère adorait voir devant lui cette abondance baroque de biens aux formes et aux couleurs variés. Il était profondèment fier du travail des siens.
Le maire du village les attendait accompagnée de quelques chefs de familles. Chacun accompagna les villageois où une quelconque tâche nécessitait leur présence. Son père et son oncle suivirent un homme d'âge mûr massif qui les attendait là : quelques maisons avaient sérieusement besoin d'être correctement entretenues avec l'hiver qui arrivait. Homère et Zola suivirent le maire du village accompagné de ses deux fils. Ils les avaient guetté depuis les quais et le maire les accueillit avec un sourire immense et affable. La venue des conteurs était un événement pour le village de Mamésè qui ne se produisait que deux fois par an : au début du printemps et à la fin de l'automne.
_Bonjour vous deux! Vous avez apprécié le lait et le beurre qu’on vous a donné?
_Bonjour Luc, nous nous sommes régalés! Merci encore, vous n’y étiez pas obligé! Répondit la mère d’Homère.
Homère observait avec curiosité l'échange amicale entre sa mère et le maire de Mamésè. C'était la première fois qu'il suivait sa mère lors des négociations pour le troc de biens et de services. Sa mère n'était certes pas une conteuse de naissance mais elle était la meilleur quand il s'agissait de défendre l'intérêt des siens dans le négoce. "À la limite du raisonnable" répétait-elle souvent à son fils. Il ne s'agissait pas d'arnaquer leurs hôtes ni de leur manquer de respect : leur propre prospérité reposait après tout sur la prospérité de ceux avec qui ils commercaient.
_Mais de rien, voyons! Répondit-il toujours avec la même jovialité. C'est toujours une joie de vous recevoir et d'échanger avec vous! Puis l'anniversaire de jumelles ça se fête dignement non? Les enfants sont si rares!
_Oui c'est vrai, ce soir nous allons même servir de la viande pour l'occasion.
_Hé si vous nous invitez sur votre bateau moi et mon épouse on vous promet de vous ramener notre meilleure eau de vie!
Les deux éclatèrent de rire et causèrent de petits tracas du quotidien en se dirigeant vers un immense bâtiment au centre du village. C'était une grande batisse de plusieurs étages. Elle était en bien meilleur état que le reste des maisons du village qui accusaient les ravages du temps avec bien plus de mal. Les villageois de Mamèsé réparaient leurs demeures comme ils le pouvaient puisqu'ils se refusaient de piller la ville de l'Ancienne Humanité qui se situait sur l'autre rive. Pour eux c'était un véritable outrage. Le jeune conteur ne pouvait s'empêcher de trouver cela contradictoire : Mamésè était elle-même en grande partie composée de maisons des ancêtres que ces villageois avaient réparés et habités depuis des décénies.
Le maire poussa l'immense double porte de sa mairie et les invita à entrer. Sa mère le suivit en continuant la conversation. Ils traversèrent une sorte de grand hall sombre : les fenêtres brisés avaient été remplacé par des planches de bois ou des caarreaux bien plus opaques pour éviter que toute la chaleur déserte la demeure, mais il pouvait discerner de ci de là des immenses fissures lézardant les murs et colmatées par ce qui semblait être de la chaux. Homère se doutait de ce qu'aurait dit un des membres de la tribu des bâtisseurs même si lui même n'en était pas un : "ça ne durera pas éternellement". En effet, tout le village de Mamésè entretenait une course avec le temps contre l'usure de ces maisons mal entretenue. Bientôt, et s'ils se refusaient toujours de prendre des ressources chez les Anciens, ils devraient surement bâtir leurs propres maisons.
Le maire et ses deux fils les accompagnèrent vers une petite sale où un appréciable feu de cheminée ronflait fort. La salle était sommairement meublée : une immense table de bois, quelques chaises et c'était tout. Néanmoins les murs étaient ornés par un magnifique bric à brac de tableaux et de photos jaunies datant probablement de l'Ancienne Humanité, mais aussi de tentures brodés par les villageois eux-mêmes. Étrangement, elles retenaient plus l'attention d'Homère que les oeuvres des anciens : ça lui faisait chaud au coeur de voir que les habitants de Mamèsé avaient pris sur leurs temps précieux pour accomplir de nouvelles choses.
Sa mère avait du voir sans cesse ces choses car elle s'assit sans un regard sur les oeuvres ornant les murs de cette salle. Elle sortit de sa besace un immense carnet de cuir noir qu'elle gardait précieusement avec elle dans une pochette en lin pour qu'il ne s'abime pas : le papier était une denrée rare et précieuse, elle devait faire durer son livre de compte le plus longtemps possible.
Alors le négoce démarra. Au début, Luc se contenta d'énumérer tous les biens échangeables dans les stocks du village. Sa mère prenait note alors de tout ce qu'il lui énoncait avec application, le regard de son fils posé sur elle guettant chacun des mouvements de son style plume sur le papier.
Sa mère lui avait toujours semblé être une femme admirable : intelligente, débrouillarde, volontaire, elle était aussi bien plus grande que la plupart des femmes qu'il connaissait et que lui même encore, même si petit à petit il la rattrapait. Encore un an ou deux et il serait plus grand qu'elle. Que ferait-il à son dix-septième voyage? Continuera-t-il à être un conteur itinérant ou bien demandera-t-il à être affecté à la Citadelle? Il n'était pas encorre tout à fait décidé sur ce sujet : son père serait sûrement fier de lui s'il choissisait d'intégrer les conteurs qui travaillaient de concerte avec les savants mais cela ferait sûrement souffrir sa mère. Pourquoi l'aurait-elle emmener assister à cette séance de négociations si ce n'était pas pour faire de lui le prochain relai entre lui et les villageois?
La matinée fut longue et quelques peu ennuyeuse. Sur la fin des négociations, Homère était obligé de réprimer des baillements de plus en plus ostentatoires : il ne voulait pas faire honte à sa mère en se montrant irrespectueux envers leurs hôtes. Tout n'était qu'énumérations : fruits, légumes céréales, tissus, viandes, boissons, etc… Puis il avait fallu établir le troc : tels tissus contre tels légumes, tels céréales contre tels morceaux de cuirs… Homère savait que l'Ancienne Humanité utilisait des monnaies pour leurs échanges commerciaux. Cela devait être tellement plus simple… Mais tous ces petits villages étaient indépendants, rien ne les unissaient entre eux et les bouts de papiers des ancêtres c'étaient évaporés avec eux et les métaux dont ils faisaient leurs pièces étaient fondus pour faire des bijoux ou n'importe quoi d'autres d'immédiatement utile.
Vers la fin de la matinée, quand le soleil fut assez hauts pour même éclairer la salle aux fenêtres opaques, le maire leur fit parvenir un repas copieux. Il le partagea équitablement entre ses fils, Homère, Zola et lui-même, en signe de respect pour ses hôtes. Comme à leur habitude le chef et ses fils réclamèrent une histoire à sa mère. Celle-ci s'exécuta avec plaisir et ponctua leur déjeuner de contes et récits hérités de l'Ancienne Humanité. Homère n'appréciait rien tant qu'écouter sa mère en train de raconter des histoires. Elle était une conteuse dans son âme, même si elle était née dans une autre tribu des Descendants : les Chasseurs comme lui avait raconté son père. Sa mère restait assez silencieuse sur sa vie parmi eux. Assez normal puisque les tribus de descendants étaient assez hermétiques entre elles surtout sur leurs rites initiatiques et coutumes.
Sa mère était en train de finir le récit d'une famille d'ouvriers de l'Ancienne Humanité lorsque soudain le son d'une cloche se fit entendre venant du centre du village, à quelques masures de là. Immédiatement Luc et ses trois fils se levèrent, laissant tomber leur pain et fromage à même le sol, sans la moindre considération.
_Que se passe-t-il Luc, demanda Zola, inquiètée par la peur qu lis'elleait sur le visage de sa vieille connaissance.
_C'est l'alerte d'urgence! Nous devons aller voir immédiatement de quoi il s'agit!
Luc, accompagné de ses trois fils, quitta donc donc précipitamment la pièce sans attendre la réaction des deux conteurs.
_Qu'est-ce qu'on fait, maman? demanda Homère se tournant inquiet vers sa mère.
_On va les suivre, s'il y a une attaque de pillards je préfère être là pour défendre les nôtres. Ne t'éloigne pas de moi surtout!
Il vit alors la main de sa mère qui se porta à sa ceinture, là même où elle conservait le poignard à la lame tordue des chasseurs, dernier vestige de sa vie passé. Ils sortirent précipitement de la maison, croisant des enfants et des femmes qui s'y étaient réfugiés en toute hâte. L'une d'elle saisit la main de sa mère en lui conseillant de rester à l'abri avec eux. Elle la repoussa mais avec ménagement : les siens allaient avoir besoin de son aide.
A l'extérieur, c'était le chaos. Les gens hurlaient, des chiens aboyaient à s'en briser les cordes vocales et des villageois couraient dans tous les sens à la recherche d'un abris. Homère ne vit ni son oncle ni son père parmi eux. Ils discernaient par contre de la fumée qui qui commençait à se répendre au dessus des toitures, mais aucunes flammes n'étaient visibles. Du centre du village, impossible de savoir si leurs péniches étaient attaquées ou intactes.
_Vite, on doit retourner au péniche, ordonna sa mère en lui saisisant la main fermement.
Elle le traina au milieu des ruelles encombrées, bousculant des villageois sans même se retourner. Homère trainait à sa suite, incapable de soutenir le rythme furieux de sa mère.
_Maman, attends s'il te plaît, la héla-t-il d'une toute petite voix plaintive.
En un seul instant il était redevenu son petit Charlie. Elle se retourna et lui serra la main encore plus fort, par pur instinct. Elle voulait le savoir près de lui, à l'abri. Au loin toujours le son de la cloche qui se faisait de plus en plus désespéré et l'aboiement tenace des chiens. Plus ils approchaient des quais et plus ils entendaient les cris. Le cœur du jeune garçon s'emballait à lui en rompre les côtes. Ces cris! Ils étaient si atroces! Un seul son lui évoquait ça : le bruit des cochons qu'il avait entendu se faire égorger,chaque année dans un village à quelques kilomètres au sud, Varenes. En entendant ces hurlements la posture de Zola changea immédiatement. Les pillards semaient la terreur mais avec parcimonie : aucun parasite n'avait intérêt à tuer son hôte trop vite.
_Ce ne sont pas des pillards, chuchota presque sa mère tant cette vérité l'effraya.
Et tout ce qui parvenait à effrayer sa mère n'avait rien de bien rassurant pour quiconque ayant un peu de jugeote.
Une fumée noire s'épaississait à mesure qu'ils se rapprochaient des quais. Les toits de chaumes disparaisaient dans une fumée noire. Au détour d'une ruelle, Homère vit une femme qui courait vers eux. Elle hurlait en leur direction en faisant de grands signes de mains.
_Fuyez, partez, allez-vous en! Hurla-t-elle dans un cri qui se faisait de plus en plus animal à mesure qu'elle répétait cette horrifiante litanie.
_Arrête de crier idiote, susurra sa mère entre ses dents. Ça va les attirer.
Ces quelques mots de sa mère furent une prédiction : sortant de derrière une grange ils virent une dizaine d'hommes habillés de cuirs et de loques, leurs visages recouverts de peintures de guerres comme les démons que représentaient l'Ancienne Humanité dans ses mythes et légendes. Armés d'épées, de poignards et de lances, ils se jetèrent sur la pauvre femme qui hurlait, comme une meute de loups affamés sur une proie esseulée. Sa mère le tira par le bras violemment et lui barra le regard de son bras. Elle le maintint ainsi pendant de longues minutes ou secondes, il n'aurait su dire, tout contre elle. Mais il entendait encore les hurlements! Ils n'avaient plus rien d'humain, on ne pouvait plus saisir le moindre son articulé. Ils devenaient de plus en plus humides et suintants, durèrent une éternité comme si ses hommes prenaient un réel plaisir à la laisser agoniser avec une extrême lenteur.
Et puis le silence succéda aux cris... Un silence si pesant... Et pourtant le massacre continuait dans le village mais Homère n'entendait plus rien d'autre que le silence de cette femme.
_Il faut qu'on s'en aille Homère! Chuchota sa mère.
_Mais papa et tonton?
Il ne s'en était pas rendu compte jusque-là mais il pleurait, ses yeux débordaient de larmes que rien ne semblaient pouvoir arrêter. Et aucune larme chez sa mère. C'était à peine si elle semblait émue. Il n'y avait dans tout ce corps tendu et alerte rien d'autre qu'une froide détermination.
_Ils n’étaient pas loin de la Seine, s'ils sont malins ils ont dû rejoindre le convoi et prendre la fuite aussi vite que possible. Et crois-moi c'est aussi ce qu'on doit faire. Si on tente de traverser le reste du village on est mort.
_Mais qu'est-ce qu'ils nous veulent si ce n’est pas des pillards?
_J'en sais rien, Charlie, peut-être juste nous massacrer les uns après les autres. Allez relève toi doucement. On est pas loin de la sortie du village. Y a un bosquet à quelques mètres, là on est trop visible!
Ils se dirigèrent accroupis vers le grand bosquet situé à moins d'une centaine de mètres. Cent petit mètres, c'était tout et rien à la fois. Homère tenta de courir courbé le plus vite possible. Sa mère avait saisi à nouveau sa main et le serrait si fort que s'en était presque douloureux.
_On y est presque, allez juste encore un petit peu.
_Hé! Vous là-bas! Leur cria une voix d'homme agressive.
Homère se retourna et regretta presque aussitôt son geste. La voix venait d'un des hommes qui avaient massacré la pauvre femme. Les mains de l'homme étaient encore recouvertes par son sang. Tout ce qui restait d'elle était une masse informe et sanguinolente à leurs pieds. Un haut de coeur le saisit brutalement.
_Cours! Lui ordonna sa mère dans un cri.
Sa main ne le lâchait plus. Quelque chose se brisa dans son esprit. Il n'était plus rien d'autre qu'un animal fuyant son chasseur. Ils atteignirent le bosquet très rapidement mais il aurait bien été incapable de dire comment. Son cerveau ne parvenait plus à former la moindre pensée cohérente. Son cœur battait si fort, comme s'il voulait s'éjecter de sa poitrine et il sentit apparaître un point de côté. Mais il s'en foutait! Hors de question de ralentir sa mère, ils devaient survivre ensemble!
Il les sentait confusément derrière lui. Ils se rapprochaient, il s'en rendait bien compte. Il entendait leurs bottes, leurs souffles de plus en plus rapides et de plus en plus proches. Des chiens haletants.
Un choc violent dans son dos le fit chuter la face contre l'humus. Par réflexe sa main lâcha celle de sa mère mais elle se retourna pour l'aider à se relever. Mais il était déjà trop tard : six hommes les encerclaient. La peinture sur leur visage formait des dents, des crocs et des cornes factices pour créer la peur chez son adversaire. Homère jeta un regard vers sa mère qui avait adopté une posture défensive, son poignard tordu de chasseur sorti de son fourreau.
La lame eut pour effet de provoquer une hilarité angoissante chez les hommes.
_Alors la p'tite dame elle pense qu'elle nous fait peur avec son petit couteau, éclata dans un rire gras un de leurs agresseurs. Les gars, personne ne nous interdit de nous amuser un peu? Questionna-t-il les siens, goguenard.
Des rires sonores et l'acclamation de ses camarades lui firent office de réponse. Il commença donc à défaire sa ceinture quand un éclair d'acier jaillit devant ses yeux. L'homme se tint la gorge, essayant en vain de contenir le sang qui commençait à s'en échapper. Il tenta vainement d'appeler ses compagnons à l'aide mais ne put émettre que de vagues borborygmes humides. La lame de sa mère était couverte du sang du mourant. La tête de corbeau gravée à même le bois de la manche du poignard semblait boire le sang de son ennemi.
Les yeux de Zola étaient devenus ceux d'une bête sauvage acculée. Son fils à ses côtés elle avait tout à perdre. Elle les avait vu agir avec la villageoise : ils ne voulaient aucun de leurs biens, impossible de négocier leur survie, ils n'étaient pas venus là pour ramener des esclaves. Ils étaient là pour faire un massacre, un bain de sang. Homère sentit à son attitude, à la posture de tout son être tendue, qu'elle était décidée à ne pas les laisser s'en tirer à si bon compte.
L'un deux se détacha du groupe pour s'adresser à elle. Les autres restaient légèrement en retrait, déstabilisés par la mort plus que soudaine de leur compagnon, pas vraiment habitués à ce qu'on leur résiste ainsi.
_Allez, on se calme, commença l'homme au visage peint en rouge à tel point qu'on ne pouvait discerner le maquillage du sang de la femme qu'il avait massacré. Tu ne veux quand même pas que ton petit nous voit t'écorcher devant ses yeux?
Il avait adopté une démarche et une voix faussement rassurantes mais tout dans son être hurlait la violence. Zola tenait son poignard recourbé, prête à s'en servir à tout moment.
_De toute façon vous allez nous tuer? Dit-elle en crachant presque ses mots.
Homère ne reconnaissait presque plus sa mère : tout en elle n'était plus que rage, colère et hargne.
_Oui mais si tu te montres gentille avec nous on pourrait faire ça vite.
Et il avança vers elle, sa main caressant son visage. Le poignard de sa mère jaillit à nouveau. Elle voulait lui trouer le crâne pour le faire taire à tout jamais mais l'homme projeta son bras pour se défendre par réflexe. Mais il ne fut pas suffisamment rapide.
_Rhaa, la pute! Hurla-t-il plein de douleur.
Sa main couvrait son œil crevé qui n'était plus qu'une crevasse de chairs palpitantes et à vifs. Homère eut été incapable de dire si à cet instant il était fier de sa mère ou horrifié par ses actes. Elle ne manifestait aucune hésitation quand lui était purement et simplement tétanisé.
_Sale pute! Éructa le borgne.
Sa mère lui sourit carnassière.
_Salope! On va effacer ce sourire du visage à tout jamais! Allez tenez là moi! Ordonna-t-il aux autres.
Ils se jetèrent tous sur la mère de Homère et la plaquèrent au sol. Elle se débattit comme une furie mais elle ne pouvait rien faire contre tant d'hommes.
_Va-t-en Charlie! Va-t-en! Le supplia-t-elle, toute agressivité disparue.
Il sorta de sa turpeur et fuit le plus rapidement possible en direction de la Seine.
_Vous deux, rattrapez-le ! Je veux pas que cette race survive!
Homère courut comme il ne l'avait jamais fait. Ses pieds évitèrent chacun des obstacles, il ne sentait pas les petites branches qui venaient lui fouetter le visage et l'écorcher. Très vite il rejoignit les bords de la Seine. A sa gauche le village des maraîchers qui s'effaçait de plus en plus dans les flammes et à sa droite il vit des vapeurs blanches qui s'élevaient au loin. Le convoi de péniches s'éloignait aussi rapidement que possible des assaillants. Ils avaient mis en route les moteurs à fuel… Ils ne les utilisaient jamais, uniquement en cas d'urgence… Et qu'était-ce d'autre qu'un cas d'urgence?
Les jambes du jeune garçon cédèrent sous son poid. A genoux il observa les siens fuir au loin. Impuissant, il ne put retenir un sanglot. Il tenta de l'étouffer comme il le pouvait en posant sa main contre sa bouche mais il était brisé, en milliers de morceaux.
Quand les deux assaillants partis à sa poursuite le trouvèrent sur la rive, il n'était plus qu'un jeune enfant tremblotant et craintif. Il ne bougea même pas quand un des deux lui asséna un coup de masse à l'arrière du crâne. Tout bascula dans le noir, un noir imperceptible.
_Allez réveille toi mon petit! Lui dit une douce voix de femme un peu grave et qui semblait venir de loin.
Homère sentit un objet dur qu'on appuyait contre ses lèvres. On tentait de lui faire boire un liquide amer. Par réflexe, et parce que tous ses souvenirs ne lui étaient pas encore tout à fait revenus, il avala le liquide qu'on lui présenta sans protester. Sa tête le faisait atrocement souffrir. Il essaya avec sa main de toucher l'arrière de son crâne qui le faisait souffrir. Sous ses doigts il sentit un tissu imbibé d'un liquide chaud et visqueux.
_Tut tut, touche pas à ça! Je t'ai fait un pansement, ils t'ont sacrement amoché, tu sais?
Cette voix lui paraissait étrange pour une raison qu'il n'aurait su déterminer. Il ouvrit alors les yeux tout doucement. Ils étaient dans ce qui semblait être la ruine d'une maison appartenant autrefois aux Ancêtres. A travers la toiture à moitié effondrée il pouvait apercevoir le ciel. Il était du bleu léger qui précède le jour où lui succède. Entre quelques pierres un petit feu crépitait à leurs pieds. Les souvenirs d'Homère jaillirent en même temps que la panique.
_Éteins ça ! Ils vont nous retrouver! Dit-il pris d'une panique soudaine.
_Calme toi petit. Ils sont déjà bien loin lui dit-elle pour le rassurer. Et puis ton village émet encore tellement de fumée qu'ils seraient bien incapables de discerner celui-ci parmi les autres.
Ces quelques mots mirent le cerveau encore embrumé du jeune homme en branle : elle n'était ni une villageoise ni un membre de sa tribu sinon elle l'aurait reconnu immédiatement. Homère se redressa un peu pour essayer de voir le visage de celle qui s'adressait à lui. La luminosité était si faible qu'il discerna mal ses traits. Il vit juste qu'il s'agissait d'une grande femme à la peau sombre. De longs cheveux noirs et crépus entouraient son visage, lui donnant une silhouette presqu'irréelle.
_Qui êtes-vous? La questionna Homère d'une voix encore faible.
Sa tête le faisait énormèment souffrir.
_Je suis celle à qui tu dois la vie. Ça ne fait peut-être pas de moi une amie mais bien une alliée, non? Alors arrête de me regarder comme ça, assena-t-elle un peu brusquement
Il y avait quelque chose d'étrange dans son accent : elle parlait vite et semblait mâcher ses mots. Il aurait bien été incapable de dire d'où provenait sa manière de parler. D'aucun village qu'il connaissait en tout cas.
_Qui êtes-vous? répéta Homère. Vous faites partie de ceux qui nous ont attaqués?
La femme partit dans un rire sonore.
_Tu es drôle toi! Et pourquoi je t'aurais sauvé si j'en avais fait partie? Dit-elle tout en rigolant.
_Sauvé? Répéta-t-il.
Elle lui tendit un petit bol emplitd'une étrange soupe au fumé des plus particuliers.
_Oui je t'ai sauvé. Les deux affreux qui t'ont défoncé le crâne à coup de batte allaient t'achever. Je les ai déjà vu faire : ils massacrent, pillent, violent et emmène avec eux les femmes encore en bon état et les enfants. Je crois qu'ils en font des esclaves mais t'es trop vieux pour eux : ils les choisissent plus jeunes : sont plus facilement manipulables.
Tout en l'écoutant Homère but une gorgée du bouillon qu'elle lui tendait. Il ne put réprimer un rictus de dégoût : c'était amer et rance tout à la fois.
_Oui, désolée je manque de pratique dans ce domaine.
Mais le liquide chaud lui fit tout de même un bien fou : il avait si soif. Et la chaleur du breuvage lui réchauffait les entrailles.
_Je suis resté dans le coma combien de temps?
_Deux jours.
Deux jours! L'information finit de l'éveiller complètement.
_Ma mère! S'écria Homère en se relevant soudainement.
La brusquerie de ses mouvements n'eut pour effet que de faire tomber son bol qui s'éclata contre ce qui était un vieux carrelage recouvert de feuilles mortes et de le faire vaciller. Le bruit de la faillance se brisant contre le sol raviva son mal de crâne et laa tête lui tourna violemment.
_Hé calme toi petit! Quoi qu'il soit arrivé à ta mère ça pourra attendre quelques heures que le jour se soit complètement levé! Lui conseilla-t-elle en le plaquant d'une seule main pour qu'il se rasseye.
Ce geste attira l'attention d'Homère sur ses mains. Il n'en avait vu qu'une jusqu'ici, l'autre restait cachée au milieu d'un amas de tissus ligaturant sa manche droite. Elle devait être manchote. En tout cas elle avait une sacrée force.
_D'accord mais dès que le jour se sera levé on ira là sur ses traces, lui affirma-t-il d'un ton de défi.
Elle hocha la tête verticalement.
_Vous m'avez toujours pas dit qui vous étiez? Vous êtes d'un village proche? Ou une nomade? Et votre nom?
Un nouvel éclat de rire.
_Hé ben toi une fois bien réveillé on t'arrête plus avec tes questions.
Elle marqua une pause en passant sa main dans ses cheveux épais, cherchant visiblement ses mots avec attention.
_On peut dire que je suis comme toi : j'ai été séparée des miens il y a bien longtemps de ça. Et je m'appelle Perséphone.
Le petit conteur ouvrit grand ses yeux de stupéfaction.
_Perséphone comme la reine des Enfers? Comme la fille de Déméter et l'épouse d'Hadès?
Ce fut autour de la femme d’écarquiller les yeux de stupeur.
_Tu connais les mythes de la Grèce antique? Lui demanda-t-elle abasourdie.
_Oui, je dois mon nom à un de ses auteurs : Homère!
_Attends tu ne ferais pas partie de cette tribu qui célèbre les savoirs et la culture d'avant l'apocalypse?
_Oui.
Il n'osa en dire plus : il ne pouvait s'empêcher de se montrer un peu suspicieux à son égard. Après tout elle pouvait très bien faire partie de ceux qui avaient attaqué le village et essayait de le faire parler. Mais elle ne lui demanda rien de plus : sa réponse affirmative semblait l'avoir plongé dans un état songeur. Il ne savait plus très bien s'il devait se montrer reconnaissant ou suspicieux.
Les heures s'écoulèrent avec une lenteur perceptible. Perséphone s'affairait autour du feu : elle faisait bouillir des morceaux de tissus pour changer le pansement qu'elle lui avait mis autour de la tête. Elle les remuait dans l'eau frémissant avec un petit bout de bois tout en chantonnant des airs de musiques parfaitemeent inconnus pour le gamin. Une fois que cela lui parut satisfaisant elle sortit la casserole du feu et entreprit de changer son pansement. Homère ne put s'empêcher de se crisper, peu à l'aise avec le fait qu'une inconnue prenne ainsi soin de lui. Il voyait bien qu'elle peinait à le faire avec une seule main valide.
_ça fait longtemps que vous avez perdu votre main? Questionna Homère en jetant un regard insistant vers la masse de tissus qui nouait sa manche. Il n'avait pu s'empêcher de poser cette question, les conteurs étaient toujours avides d'histoires.
_Non, c'est assez récent, répondit-il sans s'étendre plus que ça, elle aussi gardait jalousement ses secrets.
Une fois le pansement fait, elle jeta l'eau sale sur le feu et estima qu'il faisait assez jour pour aller à la recherche de la mère du petit. Elle l'aida à se relever tout en douceur et ils se mirent en route dans l'aube de ce nouveau jour.
En sortant de la maison en ruine, Homère s’aperçut qu'ils étaient sur l'autre rive : dans la ville des anciens non restaurée par les maraîchers. Ils évitaient autant que possible de s'y rendre craignant de perturber le repos éternel de leurs ancêtres. Homère avait vu tant de ces villages tout le long de ses migrations annuelles : des amas de petites habitations, d'immeubles, de hangars pourrissant lentement à ciel ouvert, agonisant sous les assauts répétés des plantes. Certains en Francie avaient décidé de vivre de la récupération des matériaux pour en faire commerce. Homère n'était ni un membre de la tribu des Collecteurs, un autre groupe faisant partie de la Citadelle, ni un paysan superstitieux. Il prenait ces villes fantômes pour ce qu'elles étaient : l'empreinte d'êtres humains qui l'avaient précédé.
Il fallait se montrer précautionneux lorsque on traversait ces rues : le béton était éclaté à de très nombreux endroits où les racines des plantes poussaient dans une anarchie toute végétale. On pouvait facilement faire une mauvaise chute et il n'avait certainement pas besoin de se tordre une cheville. De plus on n’était jamais à l’abri que des pierres ou des morceaux de ciment se disloquent. Il arrivait parfois qu'en traversant ces villages on entende un bruit violent de gravas : juste une ancienne construction qui avait rendu les armes face au temps. Mais ce n'est pas ça qui effraya le plus Homère.
_Vous avez traversé le pont des anciens? S'exclama Homère.
_Oui, lui répondit tout simplement Perséphone.
Homère était effaré : le pont construit par les anciens hommes était une ruine branlante au-dessus de la Sequenae brumeuse. Les maraîchers eux même se servaient d'un baque les rares fois où ils voulaient traverser le fleuve.
_Avec moi sur le dos?
_Oui, avec toi sur le dos et un millier de guerriers armés jusqu'aux dents à mes trousses! Ironisa Perséphone. Et tu connais la meilleure? Il va falloir recommencer, ils ont cramé le baque et je vois bien quelques embarcations mais elles sont de l'autre côté. Mais si tu veux on peut traverser à la nage?
Homère la regarda en fronçant les sourcils : c'était absurde. Par ce temps ils tomberaient malades très rapidement. Et puis il suffisait de regarder le fleuve pour se rendre compte que le courant risquait bien de les emporter. Il la suivit donc à peine rassuré. Perséphone tenta de lui donner un peu de courage en lui assurant que le poids de deux personnes ne changerait pas grand-chose. Le pont avait bien tenu deux siècles après tout. Ce qui était inutile : l'idée de retrouver sa mère bien en vie sur l'autre rive lui aurait fait traverser de bien pire ruines. Mais il ne pouvait pas s'empêcher, dans un coin de son esprit, d'imaginer le pont cédant sous leur poid et le courant les trainant vers une mort des plus amères.
_On a pas besoin de traverser la ville on peut longer les berges, je te ramènerais où je t'ai trouvé et tu referas ta route en sens inverse, tenta Perséphone anxieuse à l'idée qu'il voit les horreurs qu'elle avait pu voir elle-même en traversant le village des maraîchers.
Le jeune garçon s'enfonça dans la rue principale hypnotisé par une silhouette accrochée à ce qui avait été tour à tour un lampadaire, un porte-drapeau et un arbre à pendu. Il le reconnut très rapidement : c'était le chef des maraîchers, pendu là par le cou à deux mètres du sol et le visage livide. En deux jours son corps avait commencé à être lacéré par de nombreux corbeaux qui s'envolèrent dès que le gamin s'était approché. Accroché à ce lugubre mât un drapeau bleu, blanc et rouge. C'était le drapeau que les anciens hommes avaient donné à ce pays autrefois, un pays qui s'étendait bien plus loin que les frontières floues de l'actuelle Francie. Mais un détail différait : dans la partie blanche du drapeau un bouclier et une épée étaient peints. Homère ne put détourber ses yeux du cadavre, et surtout de cette orbite vide et noir que les corbeaux avaient commencé à nettoyer. Il entendit Perséphone qui lisait les avertissements que les assaillants avaient noté en rouge et en noir contre les façades des bâtiments de la grande place du village : « la force seule nous fera survivre », « les forts doivent régner », « soumettez-vous et vous survivrez » et encore bien d'autre de cette teneur. Tout cela n'était qu'un macabre avertissement.
_Ils... ils ont tués tous ces gens juste pour envoyer un message...
Perséphone le regardait au loin tentant de le détourner de tous ces corps mutilés. Mais le garçon continua de s'enfoncer un peu plus dans les rues du village, totalement apathique. Partout des corps allongés, gisant dans la boue et les cendres. Certains avaient même été carbonisés. La cendre et la fumée brulaient ses yeux et ses bronches mais le garçon ne pouvait retenir son regard sur ce macabre spectacle. Il devait bien ça à ces gens avec qui les siens avaient partagés tant de repas, tant de rires, tant de contes. Il en connaissait beaucoup parmi eux, il avait presque grandi avec certains puisque Mamèse était un arrêt systématique sur le voyage d'aller et de retour, de vieux amis toujours avides d'aide et d'histoires au coin du feu.
Il reconnut dans un fossé la tête de Michel, un gamin à peine plus âgé que lui et qui ne le serait plus jamais. Il y avait aussi Laure, une jeune femme magnifique adossée à une maison, comme si elle se reposait après une dure journée dans les vegrers, les jupes retroussées sur ses cuisses blanches. Il fermait systématiquement les yeux de ceux qu'il pouvait, comme si cela pouvait apaiser leurs pauvres âmes. En fermant leurs paupières il répétait sans cesse cette prière de sa tribu : « Vas en paix conter ton histoire au Grand Conteur. Qu'il t'en donne une nouvelle à faire vivre. »
Perséphone restait un peu en retrait derrière lui. Elle n'essaya même plus de le détourner de son chemin de croix. Mais en voyant une femme clouée contre la charpente en bois d’une maison elle ne pût retenir un faible et presque muet « oh mon dieu! ».
Homère se retourna soudainement et poussa un cri si violent que tous les corbeaux qui les observaient en silence s'envolèrent : c'était là le corps de sa mère, planté à de multiples endroits de son corps et sur son torse nu gravé ce simple mot « putain ».
Le jeune garçon se jeta, pris part une violente frénésie, sur le corps de sa mère pour en retirer toutes les lames qui la maintenaient empalée contre la façade d'une petite maison de pierres grises. Perséphone approcha pour l'aider. Les gestes du gamin étaient saccadés et ponctués de sanglots qui faisaient trembler tout son corps.
_Maman, maman, maman, non, c'est pas possible, maman, maman qu'est-ce qu'ils t'ont fait!
Ils portèrent le corps lourd et le déposèrent tout doucement sur les pavés froids. Homère était penché contre le corps sans vie qui avait été autrefois sa mère et se laissa totalement aller, pleurant si longtemps qu'il ne se rendit même pas compte du départ de Perséphone.
_Prends-ça! Lui dit-elle une fois revenue.
C'était un grand drap blanc. Un linceul.
_Non, pas avant de l'avoir lavée. Je ne peux la laisser allez ainsi au-devant du Grand Conteur, lui répondit-il entre deux violents sanglots. C'est ma mère tu comprends?
Perséphone et Homère portèrent sa mère dans la maison contre laquelle elle avait été empalée et la posèrent sur la table du salon avec toute la délicatesse possible. Homère alla chercher un torchon et un bol dans la cuisine et entreprit de laver sa mère avec atteintion. Il frottait avec une infinie douceur afin d'effacer tout le sang et la souillure que ces monstres avaient posés sur sa mère. Bizarrement, il avait cessé de pleurer, cette toilette mortuaire accaparait toute son attention. La tradition voulait que ce soit les membres les plus âgés de sa tribu qui procèdent à cela mais en leur absence il devait le faire.
Homère n'avait vu cette cérémonie qu'une seule fois dans sa vie : lorsque sa grand-mère paternelle s'était chargé de mettre en beauté son grand-père avant qu'il ne parte définitivement pour sa rencontre avec le Grand Conteur. Il n'en avait que de vagues souvenirs mais il tentait de répéter le moindre des gestes que sa mémoire avait conservé.
Une fois sa mère propre il prit le drap que lui tendait Perséphone et en couvrit sa mère totalement. Elle peinait à l'aider avec sa seule main valide mais elle insistait.
_Tu as besoin d'autre chose? Murmura-t-elle presque inaudiblement.
Homère contempla sa mère silencieusement encore quelques instants. Une fois le rite mortuaire accompli il n'aurait plus jamais l'occasion de voir le visage de sa mère. Mais ce n'était pas le visage de sa mère : le visage de sa mère avait les joues rosies par le froid ou l'effort, les cheveux bruns se balançant au vent, un sourire aux lèvre ou un regard sévère… Il était tout sauf ce masque ridicule, pâle et froid!
_Oui d'un peu de temps seul, je te prie.
Perséphone inclina la tête en signe de compréhension et quitta la maison.
Quand Homère sortit de la maison, le soleil commençait à se faire très haut dans le ciel et la brume automnale s'était complètement dissipée. Il y avait presque quelque chose d'indécent dans ce temps radieux. Comme si le Grand Conteur se moquait d'eux. Sa mère avait cessé de respirer mais la vie continuait comme si de rien n’était. Tout son corps n’avait jamais été aussi lourd même après les plus dures récoltes, même lors des premiers jours de printemps où les péniches devaient être entretenues dans les chantiers navals au sud de la Citadelle. Il n’avait rien connu de comparable. La femme à qui il devait la vie s’approcha de lui et posa cette question :
_Que veux-tu que je fasse pour t’aider?
C’était une parfaite inconnue mais pourtant dans ce village habité par la mort et la souffrance elle était sa seule amie et alliée. La seule en mesure de l'entendre.
_Il faut qu’on trouve une barque, un canot, un radeau même, n’importe quoi qui puisse allez sur l’eau et de quoi allumer un feu, dit-il en songeant à toutes les étapes d’un enterrement de conteurs.
Un hochement de tête et elle s’éloigna vers la Seine ou Sequenae comme l'appelle les conteurs. De son côté, il chercha de quoi allumer un bûcher. Impossible de trouver le moinde ballots de paille bien sèche : les quelques granges en périphérie du village étaient carbonisées, juste un tas de cendres fumantes. Homère se dit qu’au moins il ne manquerait de rien pour amorcer le brasier. Il finit par trouver enfin ce qu'il cherchait dans une des maisons les plus excentrées : un tas de bois bien sec qui n’avait pas été touché par l’incendie. Il en prit un maximum et rejoignit Perséphone sur les quais. Les embarcations ne manquaient pas : si les siens avaient pu fuir ce n’est pas ce que disaient tous ces bateaux abandonnés. Son choix se porta sur un canot tout simple au bois vernis.
Les allers-retours pour charger l’embarcation leur prirent bien l’après-midi. Homère n’avait rien avalé d’autre que l’infâme gruau que lui avait préparé Perséphone à l’aube mais il était surpris de ne ressentir aucune sensation de faim, ni même de faiblesse. Il se sentait déterminé à offrir un départ digne à sa mère, peu importe ce que ces monstres avaient pu lui faire subir avant son trépas.
Tant qu'il était occupé entièrement à sa tâche son esprit pouvait repousser le caractère immuable de la perte de sa mère, ne pas y penser totalement. Comme si tout cela n'était pas sérieux, n'avait rien de bien réel.
Perséphone l’aida à transporter le corps de sa mère enveloppé dans son linceul. Il avait seulement laissé son visage découvert et sous ses deux yeux, il avait noté avec un peu de suie son nom de conteuse Zola. Il es pérait qu'elle soit heureuse de se présenter au Grand conteur avec son nom de conteuse et non de chasseresse.
Il saisit une planche de bois dont l’extrémité était encore couverte de braises faiblement rougeoyante et la posa sur la barque. Il souffla doucement prenant soin de ces jeunes braises et petit à petit elles finirent par se propager. Quand les flammes furent assez vaillantes pour s’approcher du corps de sa mère, il repoussa l’embarcation avec l’aide de Perséphone. Avec une rame il la poussa vers le centre du fleuve et les courants firent le reste.
C’était donc fini à présent, sa mère était définitivement partie.
_Ton histoire se termine, ta mémoire sera nôtre. Va en paix chez le Grand Conteur, chuchota-t-il presque pour lui seul.
Les flammes d’abord minuscules embrasèrent progressivement tout le canot enveloppant celui-ci d’une lueur orangée. Au loin il ne voyait plus que le halo des flammes. Elle était partie avec tout ce qui faisait d’elle une personne unique : sa voix, son regard, ses gestes, sa mémoire. Elle le quittait en laissant derrière elle tellement d’ombres et de questions. Les larmes revinrent, douces et amères.
_Au revoir maman, sanglota-t-il.
Le repas de soir se déroula en silence. Homère restait songeur en croquant dans une poire juteuse qu’il était allé cueillir dans le verger au-dessus du village. Perséphone l’avait obligé à manger et c’est ce qu’il faisait méthodiquement, un profond sentiment de vide au creux du ventre. Il avait vu l’embarcation portant le corps de sa mort s’éteindre paisiblement devant lui, la coque noircie finissant par sombre dans les flots de Sequenae. Dans sa tradition cela voulait dire que l’âme de sa mère était partie en paix rejoindre le Grand Conteur.
_Je t’ai entendu parler d’un Grand Conteur, c’est votre dieu? Le questionna Perséphone.
Cette dernière se tenait en face de lui, à l’autre bout de la table du salon de la petite maison qui les abritait et qui était encore relativement en bon état, une construction en pierres massives datant de l’Ancienne Humanité mais entretenue par les villageois.
_Oui, c’est notre dieu à nous les conteurs. Il est le conteur au-dessus de tous les autres, omniscient.
Perséphone poussa un soupir.
_Vous autres, vous me surprendrez toujours… Comment peux-tu croire en un dieu bienveillant après ce qui vient de passer aujourd’hui?
_Je ne t’ai jamais dit bienveillant mais omniscient. Il est au-dessus de tous car il est celui qui conte le récit de toute vie et de toute chose. Ça ne veut pas dire qu’il prenne soin de nous : il ne punit pas, n’apporte aucune récompense, nulle autre ne peut le faire à notre place.
_Hé ben! Il n’a pas l’air drôle votre Grand Conteur, dit-elle en allant mettre une nouvelle buche dans le feu.
Homère la regarda sans répondre : depuis une journée qu’il la côtoyait il ne l’avait vu ni boire, ni manger, ni montrer le moindre signe d’épuisement. Il voulut tenter quelque chose.
_Tiens, lui dit-il en tendant une des poires qu’il avait cueillies, tu n’as rien mangé de la journée.
Elle refusa poliment arguant qu’elle ne se sentait pas bien.
_Bon, laisse-moi un peu te rendre service à mon tour : tu veux que j’examine ton bras? Tu m’as dit que tu avais perdu ta main récemment. Ça c'est peut être infecté!
Homère avait désespéremment besoin de faire quelque chose. Il ne savait pas s'il pourrait affronter le flot d'idées noires qui flottaient dans les recoins de son esprit.
Perséphone passa sa main à l’arrière de son cou grattant sa nuque, mal à l’aise. Un geste programmé, songea Homère.
_Bon arrête de tourner au pot, soupira-t-elle. Je crois qu’on a très bien compris, tous les deux où tu voulais en venir. Tu connais trop bien les savoirs de tes ancêtres pour que je puisse t’abuser plus longtemps.
_Montres-moi ta blessure au poignet, insista Homère.
De mauvaise grâce Perséphone défit tous les morceaux de tissus qu’elle avait noués autour de sa manche. Homère put discerner un liquide blanchâtre qui recouvrait certains des derniers morceaux à tomber sur le sol. Une fois fini elle lui tendit son moignon. Homère s’approcha et remonta sa manche et ne put s’empêcher de pousser un petit cris de surprise. Il n’y avait ni sang, ni chair cicatrisée ou encore palpitante. Rien que quelques tuyaux que quelques agrafes maladroites suturaient, quelques fils électriques et ce qui semblait être un squelette mécanique recouvert de lambeaux de muscles synthétiques. En levant la tête vers elle, il fut surpris de voir que Perséphone tournait la tête comme dégoutée. Il remit la manche en place et essaya de lui dire conciliant.
_Tu ne devrais pas avoir honte de ce que tu es : c’est fantastique ce que savaient faire l’Ancienne Humanité!
_Je vais t’ouvrir le bide et te laisser contempler tes entrailles en te disant aussi à quel point c’est fabuleux ce que la sélection naturelle est capable de faire. On verra si tu trouves ça merveilleux, lui asséna-t-elle hargneusement.
Homère se recula, surpris par la violence de ses paroles.
_Je… je suis désolé… Je ne voulais pas te vexer…
_Hé ben c’est quand même ce que tu as fait. Mais bon vu les circonstances je ne t'en veux pas vraiment
_Enfin… Je veux dire… Bien au nord de la Citadelle, là où l’Ancienne Humanité a bâtie de hautes tours de fers et de verres il y a une véritable cité de machines et fiers de l’êtres… Je pensais te faire un compliment s’excusa-t-il surpris de l’impact que ses mots avaient pu avoir sur Perséphone.
_Je ne suis et ne serais jamais comme eux. Je suis un être humain synthétique aussi proche de ce que peuvent être ces machines que de toi!
_Je te prie de m’excuser, je n’avais vraiment pas l’intention de t’insulter.
_J’accepte tes excuses. Changeons un peu de sujet, s’il te plaît. Que comptes-tu faire à présent?
Que comptait-il faire à présent? Au fond de son être avait envie de faire souffrir chacun des hommes qui avaient massacré sa mère. Un sentiment étranger normalement chez les conteurs mais qui lui irradiait l'esprit. Mais la voix de la raison était plus forte en lui : que pouvait-il faire contre ses hommes seuls? Pas grand chose, mais il pouvait les empêcher de faire souffrir encore plus les siens.
_Je… Je dois essayer de retourner à la Citadelle au plus vite pour tenter de retrouver les miens et les prévenir du danger que ces monstres représentent.
_Bien. Et comment tu comptes t’y prendre? Lui demanda-t-elle froidement.
_Je pensais longer Sequenae…
_Sequenae? Tu parles de la Seine?
_Oui, elle est notre chemin pour rencontrer le Grand Conteur et pour rentrer chez moi, à la Citadelle.
_N’y compte pas. Nous serions trop visibles et surtout pas assez rapide. Il faut prendre le chemin le plus droit en destination de Paris.
Paris, l’ancien nom de la capitale… Homère se rendit compte alors d’une évidence : Perséphone avait probablement côtoyé ses ancêtres de leur vivant. Elle avait connu ce monde avant que la grande catastrophe ne se produise. Elle avait connu un monde de lumières, de savoirs, de techniques, un monde où les gens allaient même sur la lune! Si sa mère l’avait connue elle lui aurait posé surement tant de questions! Elle était si curieuse et avide de connaître de nouvelles histoires, de rencontrer de nouvelles personnes… Penser à sa mère était presque douloureux dans son corps. En évoquant ses souvenirs, son visage, sa voix il eut pour effet de sentir une boule monter dans sa gorge et tentât comme il le put de contenir les larmes qu’il sentait venir.
_Tu vas m’aider? Supplia presque l’enfant qu’un tel périple en solitaire angoissait au plus haut point.
_Oui. Mais nous n’allons pas suivre la Seine mais les anciennes lignes de chemins de fer. Il y a deux chemins possibles : sur ce côté de la Seine au Nord il y a une Gare encore debout ce serait facile de retrouver la voie de chemin de fer et nous n’aurions plus qu’à la suivre mais nous allons être obligés de faire un détour.
_Pourquoi allons-nous y être obligé? Questionna Homère.
_J’ai des alliées dans les bois : elles pourront surement nous fournir un peu d’équipement, peut-être une monture et surtout je sais qu’il y a là-bas de quoi m’aider à réparer ceci, lui dit-elle en pointant son moignon de sa main valide.
_Nous allons faire comme ça alors! Accepta-t-il un peu rassuré par l’idée d’avoir un objectif précis. Mais tu penses que nous allons pouvoir arriver avant ceux qui ont attaqué ce village?
_Oui, j’en suis sure et certaine : une troupe entière ne se déplace pas aussi rapidement que deux personnes seuls. D’autant plus s’ils prévoient d’attaquer d’autres villes et villages sur leur chemin.
_Une troupe? Mais ils étaient quoi une petite centaine… Pas plus.
_Oui et tu as vu ce qu’une centaine d’hommes armés, agressifs et entraînés peut faire à un village de cinq cent âmes composé d’enfants et de vieillards… Et j’ai vu leur campement plus au Sud : je peux t’assurer qu’ils se chiffrent pas en quelques centaines de soldats mais en milliers, plus organisés et armés que tout ce qu’ils ont sur leur route. Excepté…
_La Citadelle, coupa Homère.
_Oui, exactement, la seule ville sur des centaines de kilomètres à la ronde réputée pour son nombre d’habitants élevés et sa connaissance des techniques de l’Ancienne Humanité. Je peux t’assurer que ta cité est leur objectif. Plusieurs années que je traverse cette région et lorsque les habitants de ces terres parlent d’une grande ville il parle de la tienne Homère. On ne monte pas une telle armée pour des villages de cultivateurs ou d’artisans.
_Ils auront une mauvaise surprise en arrivant, alors. J’ai vu presque tout le convoi prendre la fuite avant qu’ils ne m’assomment.
_Je les aie vu aussi au loin : mais j’ai également vu plusieurs escouades sur des chevaux les suivre. Il faut croiser les doigts pour qu’ils fassent une mauvaise rencontre sur leur chemin. Bon, dans tous les cas, il faut que tu dormes.
Elle se leva, remis une buche dans la cheminée et lui passa une couverture. Ce soir il dormirait en face du feu dans le salon d’une famille qu’il avait surement côtoyée et qui gisaient dans la rue à présent. Même si il sentait la fatigue et la torpeur dans chaque parcelle de son corps, ses yeux refusaient obstinément de se fermer.
_Perséphone? Appela-t-il.
_Oui?
_Raconte-moi comment c’était avant! Quémanda-t-il.
_Non, répondit-elle fermement. Tu dois dormir sinon tu seras épuisé, on a beaucoup de route à faire.
_Justement, si je te perds je ne veux pas regretter de ne pas t’avoir assez posé de questions comme pour ma mère.
Un soupir grave, les épaules qui s’affaissèrent. L’argument d’Homère fit mouche et Perséphone commença alors son récit.
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