03) Draps
Au fond du terrain de la maison des parents, à un petit mètre de la haie de thuyas, le linge sèche avec paresse à l'abri de l'ombre clairsemée de trois bouleaux immenses. J'ai fini mes tâches ménagères et je sors tout juste de la douche. Nous sommes samedi, le clocher du village s'apprête à sonner midi. Le temps s'avère frisquet, mais le ciel se montre dégagé, d'un bleu léger. La lumière du soleil reste moins vive que pendant l'été et la vigne, au pied du jardin, apparaît maintenant sans son vert lumineux. Les assauts répétés des vendangeurs ont eu raison de ses feuilles quelques jours plus tôt.
Je me tiens debout entre deux fils tendus, un drap double, blanc, suspendu de chaque côté. Il fait frais, là, plus que nulle part ailleurs. Le tissus de coton épais reste encore humide. Je me sens entourée par l'odeur de lessive. Elle annihile toutes les autres, même si je sais qu'elles demeurent toujours à l'affût, le vent en soutien.
Le vent. Il siège toujours au fond du jardin. Il joue avec moi, il pousse un drap, puis le second, contre mes épaules et mes bras, comme une caresse, une invitation à tanguer, à danser. J'avance d'un pas dans ce corridor flottant, en direction des arbres. Au-dessus de moi, le bleu brille, pur et infini. Je ne sens plus l'air sur moi, je l'entends seulement. Il se tient à mes côtés, invisible, derrière le tissu tendu. Il voudrait m'attraper, mais je m'abrite dans ma citadelle blanche et fraîche où il ne peut pénétrer.
Le sommet des bouleaux bruisse plus fort pour annoncer ses efforts. Je feins d'avoir peur, je ris. Je roule sur les murs sans m'y appuyer, les bras levés, comme pour dévaler la pente herbue depuis la terrasse. Me voilà presque sous les arbres, déjà.
Ici, la hauteur de la haie empêche un peu les manoeuvres. En fonction de la direction des courants d'air, j'entends le chuintement de la cocotte minute, lointain et rythmé. Il provient de la cuisine dont j'ai laissé la porte ouverte.
Dos à la haie, les bras en croix, j'accueille mon ami contre moi. Je penche à peine la tête pour passer sous le fil qui résiste à la tension. Le tissu se tend, me colle au visage, me frotte les épaules, accroche mes membres nus. Mon linceuil blanc lumineux se lève, seul, oraison finale. Je sens que je pourrais m'envoler.
— À taaaable ! crie-t-on depuis la cuisine.
Zut. Déjà.
Le vent tourbillonne et soulève un coin du drap pour me saluer. Le sommet des bouleaux chante une dernière fois joyeusement comme se froissent les feuilles affolées.
À demain.
Annotations