11) Armoire
Ventrue sans excès, cette vieille dame sent la lavande même les portes fermées.
Toute de noyer massif, elle habite une pièce de la maison qu’on pourrait croire construite pour elle, et qu’elle emplit plus que de raison, et une fois la porte fermée, on ne voit plus qu'elle. Les deux bibliothèques de la pièce ont l'air frêles malgré leurs rayons surchargés. Pourtant elle se sent probablement remisée dans ce petit espace, derrière une porte et face à un lit d’appoint qui n’est guère utilisé.
Chevilles, mortaises et tenons, elle ne connaît du métal que sa serrure et sa clé, énorme, qui permet d'ouvrir les deux vantaux grinçants. Ah oui, et quelques pentures !
Elle garde en elle le linge de maison, des parures de lit principalement, empilés avec rigueur par dimension et par type : simple ou double, draps anciens, plats, du dessus ou du dessous, taies d'oreiller, de polochon, housses de couette, drap-housses... avec quelques couvertures, au fond, et un duvet antique, jaune d'or, dont les plumes d'oie se sont hélas tassées.
Cette comtoise est ma préférée. J'aime comme ses pieds s'écrasent au sol, sous son poids. J'apprécie son bandeau simple et sa frise austère. Autrefois, je m'asseayais à ses pieds, pour lire, le dos collé à son tablier...
Ah ah ! je lui ressemble un peu maintenant, ventrue aussi et antique à ma façon, entourée de mes livres dans ma petite maison.
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