J'adresse cette lettre à mon moi d'il y a dix ans.
 J'écris à une petite fille de huit ans, qui n'a jamais su où était sa place dans ce monde.

Leslie. Petite Leslie, je suis toi. Celle dans dix ans, celle qui est plus grande, mais pas encore totalement. Depuis déjà trois ans, tu vis des choses difficiles, un peu trop dures à porter pour les épaules d'une enfant innocente.
Tu ne connais pas ton père, et les questions à son propos torturent ton esprit. Tu es malade, ne le nie pas petit trésor, je le sais, je le sens, puisque je suis toi.
Tu pleures chaque soir dans tes draps, serrant entre tes bras charcutés Pinou, ton lapin en peluche que tu aimes tant. Tu sais, aujourd'hui, Pinou est toujours là. Il l'a toujours été pour moi, il le sera toujours pour toi.
L'année prochaine tu seras admise à l'hôpital, et tu en souffriras. Tu auras peur, je ne te le cache pas.
Mais tu y survivras. Tu survivras toujours, quelle que soit la douleur.
Tu vas vivre beaucoup de choses en dix ans, et pas que des bonnes. Tu rencontreras ton père, mais tu finiras déçue en tentant de le connaître. Ta mère quittera celui qui t'as élevée comme sa fille, elle vous abandonnera, ta soeur et toi. Mais tu surmonteras ça. Elle reviendra quelques mois plus tard pour te récupérer.
Tu verras différents psychiatres pendant de longues années, et aucun ne te prendra au sérieux. Tu rentreras chez toi chaque fois plus écorchée, plus abîmée. Tu déménageras plusieurs fois par an, tu ne te feras pas beaucoup de copains.
Et tu entreras au collège. Tu ne seras pas très bien dans ta peau, mais tu commenceras à sourire un peu plus. Tu te feras quelques amies, tu seras harcelée, mais elles te donneront la force de ne pas sombrer.
Et tu tomberas amoureuse, en 3e pour être exacte. Tu seras heureuse, un court instant, mais tu le seras. Et puis ta mère va sombrer dans l'alcool, et tu subiras ses coups. Tu ne diras rien, parce que tu es comme ça Petite Leslie, tu as mal mais tu n'en parles pas. Tu souris parce que c'est la seule chose que tu arrives à faire à peu près correctement. Et puis tu mens bien, c'est pratique pour tout cacher au monde extérieur. Tu cacheras tes quelques bleus sous des pulls et du maquillage.
Au lycée, ta vie va changer. Tu apprendras à t'affirmer, à accepter qui tu es. Mais ta maman deviendra de plus en plus malade, elle tentera de te faire tomber avec elle. Tu enchaîneras les insomnies, tu sècheras les cours, tu perdras du poids. Et tu boiras beaucoup. Le soir, en cachette, tu piqueras dans les réserves de ta mère, tu videras les fonds de whisky et tu t'enfileras ceux de vodka. Tu achèteras des bières en sortant du lycée et tu les cacheras sous ton lit pour que personne ne puisse les remarquer.
La situation va s'empirer, tes joues et ton ventre vont continuer de se creuser, et tu seras crâmée.
37 kilos c'est pas grand chose, tu seras surveillée par le lycée.
Tu tairas la situation à la maison, tu ne voudras pas qu'ils sachent que ta maman te bats.

Tu retomberas amoureuse en Première, de façon très innatendue et un peu brutale.
Il te rendra heureuse dès les premiers instants, et tu recouvreras tout ce poids que tu as perdu.
Et un soir où tu sentiras que ta mère va te tuer, tu l'appeleras lui.
Et il viendra à ton secours, et tu comprendras que tu n'es plus seule.

Les choses ne seront pas plus simples par la suite, mais tu en finiras toujours gagnante.
Je t'écris dix ans dans l'avenir, j'ai dix-huit ans aujourd'hui, et je suis bien en vie.
Et je suis heureuse de l'être.
Je t'écris depuis mon canapé, dans l'appartement où je vis avec celui qui m'a sauvé la vie. Je n'ai pas eu mon Bac, mais j'ai un travail, j'ai un toit.
Je t'écris pour te dire que tu auras mal pendant encore de très longues années, tu auras souvent envie de mettre fin à tes jours, de tout envoyer foutre. Mais avec le temps, tu verras du bon dans toutes ces mésaventures. Tu deviendras plus forte, plus mature, plus résistante.
Tu deviendras une jeune femme intelligente, qui sait ce qu'elle veut et qui refuse de se laisser marcher sur les pieds.

Crois-moi Petite Leslie, la vie aura beau te faire tous les plus grands malheurs du monde...

Tu finiras par être heureuse. Et tu aimeras le fait d'être en vie.