Métro-boulot-porno
Bon sang qu'il fait chaud !
Paris est le pire endroit où se trouver lors d'une canicule. Certains soirs, il faut patienter des heures que la température passe enfin sous la barre du supportable. Attendre, couverte de sueur, le moment où l'on va enfin pouvoir ouvrir ses fenêtres en grand à la recherche d'un courant d'air qui amène avec lui le bruit de la ville.
Je suis nue et trempée après une seconde douche. Sous mes fesses, le drap de mon lit s'imbibe. Je regarde ma peau, elle sèche à vue d'oeil. J'observe en face de mon lit les appartements voisins. Vides. Personne pour me voir m'ébrouer dans la pénombre.
Je saisis mon téléphone machinalement, pas de message. Que faire ? Je n'ai ni faim, ni soif, et pas non plus l'énergie de faire des plans pour ce soir. J'ai souvent cette insatisfaction : l'impression de perdre mon temps parce que ma vie sociale est trop calme, parce que je passe mes soirées seule. D'ailleurs, le summum de ma frustration survient lorsque j'entends les voisins faire la fête. Je ressens alors l'envie de les rejoindre, mais jamais je n'oserai. Je me dis parfois — alors même que je ne connais rien d'eux — qu'ils ont plus de chance que moi, parce que moi je suis très souvent seule. La vérité, c'est que cette solitude, je l'aime. J'aime quitter le travail en me demandant ce que je vais lire ce soir, ce que je pourrais écrire, peindre, chanter, danser, que sais-je encore! Et puis les heures passent : il est déjà minuit, et j'ai passé cinq heures sur YouTube.
J'enfile une culotte propre et un débardeur, puis je me dirige vers la cuisine. Dans mon frigo, il y a quelques légumes en mauvais état, cachés par des barquettes à demi-vides qui contiennent les ingrédients aujourd'hui desséchés de trois cakes réalisés pour un anniversaire. J'aperçois deux yaourts qui me regardent en se demandant si je les préfère à un burger et des frites. J’hésite, puis les saisi. Assise à table et privée de mon téléphone resté sur le lit, je n'ai rien d'autre à faire qu'à observer les appartements voisins. À dire vrai, c'est une activité que j'adore et cela me ferait presque aimer la canicule. En effet, pendant ces quelques semaines, nous vivons pour ainsi dire tous ensemble. Nous partageons le même inconfort, tout d'abord, mais on profite aussi du film que le voisin regarde et dont le son nous parvient par les fenêtres ouvertes. Le couple au second avec leurs deux chiens au premier, le quinquagénaire qui fume sur son balcon du troisième en observant la rue, la voisine au premier dont la silhouette apparaît chaque soir derrière les carreaux déformants de sa salle de bain quand elle se douche, nous amenant inexorablement à nous interroger sur le degré de perversité du propriétaire qui a fait le choix d'installer une douche à la vue de tous, seulement dissimulée par un écran plastique collé sur la vitre ? Parfois, lorsqu'elle se penche, on devine vraiment sa silhouette, et mes yeux ne peuvent plus dévier de ses courbes enmoussées. Je ressens alors une drôle d'émotion, un désir autrefois sans expression, sans images et désormais animé du souvenir de mes ébats avec Maria.
Mais revenons-à mes voisins.
Voyez-vous, j'apprécie tout particulièrement l’observation de mes contemporains. Je suis d'un naturel curieux, et mon rêve a toujours été d'habiter en face d'un grand immeuble, constellé de dizaines fenêtres, comme autant d'écrans sur la vie de ces inconnus. Pour le moment je me contente des quelques voisins qui habitent ce batîment de l'autre côté de ma rue, et je chéris d'autant plus les rares moments d'intimités que je parviens à dérober chaque été.
***
Il est maintenant vingt-trois heures et je suis à la fois excitée et fatiguée. Dans ces cas-là, et au grand dam de mon esprit romantique, je me soulage généralement sans ménagement, une main entre les cuisses et l'autre sur le clavier de mon ordinateur. Ce soir, comme tant d'autres soirs, je suis allongée sur le dos, les jambes écartées sans pudeur, et les épaules enfoncées dans un oreiller rebondi.
Le plus difficile avec la pornographie, c'est de trouver le moment parfait, la vidéo qui sera digne de nous faire jouir. Et ce soir, comme tant d'autres soirs, je pars à sa recherche. Je commence par les chemins connus, les sites que j'affectionne. Je balaie du regard les vignettes, obscènes, des scènes d'amour brut que l'écran me propose. Parfois, il y en a une qui déclenche en moi une réaction de chaleur et d'envie. Un soupçon, si infime, mais suffisant pour libérer une dose de plaisir dans mon cerveau. Dans quelques secondes, lorsque celle-ci sera dissipée, j'en chercherai une autre, pour irriguer à nouveau mon esprit assoiffé.
Les minutes passent et mon corps est prêt. Mon esprit, lui, ne l'est pas encore. Je veux que le plaisir continue, éternellement, qu'il ne retombe ni n'explose jamais. Que c'est bon ! Les mouvements entre mes cuisses se précisent doucement. On se dirige vers la mécanique gagnante.
Les images que j'ai sous les yeux sont à présent si graphiques, si pleines de corps, de sueur, et de cris qu'elles en sortent presque de l'écran. Elles m'entraînent avec elles dans ce moment animal. À chaque mot cru, mon corps se contracte.
Salope.
Oui, je me dis. Dis-le-moi encore. Plus fort.
Petite pute.
Han! Bon sang!
Avale tout.
J'avale. Oh... oui! ça y est! une, deux, trois, quatre vagues se succèdent tandis que dans ma tête c'est l'explosion des images et des sons, le chaos érotique. Quelques secondes qui font tambouriner mon coeur, suivies par celles du retour à la réalité de mon appartement.
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