Chapitre 10 : Au cœur de la lande

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 À mesure qu'Otto s'éloignait de la ville, Nellie se sentait comme déchirée en deux. À présent, Scuttlebury ne ressemblait plus qu'à une vague silhouette sombre au milieu du paysage désertique. Elle lui donna un coup de pied dans le torse en rageant :

 - Repose-moi tout de suite, Otto !

 - Pour que t'y retournes et qu'Abiel te mette la main dessus, jamais.

 - Qu'est-ce que ça peut bien te faire ! fulmina-t-elle, il n'y a même pas quelques heures tu ne savais plus qui j'étais, et t'en avais rien à faire !

 - Et toi alors ? Tu m'as cassé les noix pour m'accompagner et quitter cette ville. C'est chose faite.

 - Mais pas comme ça ! Et pas sans Titus !

 L'automate ne lui répondit rien, l'ignorant royalement et continuant sa course effrénée. Nellie se remit à hurler face à ce silence et frappa ses poings contre son dos. Elle frappa encore et encore, à chaque pas qui l'éloignait de son précieux ami, à chaque souffle de vent qui lui apportait les odeurs inconnues de la lande. L'insupportable sensation qu'elle éprouvait alors l'emporta et elle donna un puissant coup. Brusquement, une succession de cliquetis métalliques résonna dans le coffrage d'Otto et il perdit subitement le contrôle de son bras droit qui tenait la mallette. Il s'arrêta net en fixant son unique bagage gisant au sol, tandis que Nellie restait figée de stupeur. Otto poussa un long soupir et déposa doucement la jeune fille :

 - Je...je suis désolée, je voulais pas te détraquer, je...

 - C'est rien crevette, ça doit être le foutu rouage que j'ai fait changer. Je me disais bien que ça allait être de la camelote.

 Nellie s'avança timidement pour ramasser la mallette. Otto repéra un rocher assez haut pour les dissimuler quelque temps et alla s'asseoir derrière :

 - Bon. Répare-moi vite avant que les hommes d'Abiel ne nous rattrapent.

 - Pourquoi il enverrait des hommes nous chercher ? s'étonna-t-elle en s'agenouillant devant lui.

 Otto se contenta de retirer son manteau et de lui tourner le dos pour lui présenter la plaque de métal qui fermait son coffrage. La jeune fille retint son souffle face à ce qu'elle considérait comme une merveille. Elle caressa du bout des doigts les fines gravures s'entrelaçant les unes aux autres, remontant des omoplates à la nuque. Soudain, elle stoppa ses doigts sous une gravure située à la base du cou. Elle ne se mêlait pas aux autres et Nellie reconnut sans mal les doubles "S" qui formaient un symbole infini :

 - Smith & Stanway... souffla-t-elle

Elle se pencha sur son épaule, le visage remplit d'incompréhension :

 - Tu as été fabriqué par Levi Smith ?!

 Elle n'attendit pas la réponse pour soudainement prendre conscience de ce qu'elle venait elle-même de dire. Elle se mit brusquement à inspecter le moindre aspect du coffrage qui composait le dos d'Otto :

 - T'excite pas comme ça, y a rien d'impressionnant à ça.

 - Tu veux rire ! Tu as été conçu par un génie ! Il était mille fois plus talentueux que Wallace, c'était...c'était...

 - Tu parles de choses que tu n'as pas connues crevette. Levi n'était pas un visionnaire, c'était un passionné.

 - Et tu as eu l'honneur de te faire fabriquer ton propre corps par lui !

Otto lâcha un rire sarcastique :

 - Comme si il avait eu le choix, Levi ne m'aurait jamais laissé faire tout seul. Après tout, l'intégralité de nos automates, on les faisait ensemble.

Nellie se figea quelques instants avant de se repencher sur son épaule :

 - "Vos" Automates ?

 - Levi et moi on était associé. Smith & Stanway c'était nous deux. Bon maintenant tu veux bien me réparer, s'il te plait ? Je croyais que c'était ton futur boulot !

 La jeune fille s'activa rapidement en ouvrant la plaque en en farfouillant l'intérieur pour retrouver le fameux boulon qui avait sauté :

 - Alors c'est toi Stanway ?! J'ai toujours entendu parler de Levi Smith, mais les rumeurs étaient incapables de mettre un nom et une personne derrière Stanway. C'est donc toi !

 Otto poussa un long soupire et intima à la crevette surexcitée de se dépêcher. Il ne voulait pas que Wallace leur tombe dessus :

 - Mais alors, pourquoi tu voulais des informations venant d'Abiel ? Si tu en cherchais à propos de S&S tu devrais au contraire, être le mieux renseigné ?!

Au bout d'un énième soupir, Otto accepta de lui répondre pour la faire taire :

 - Les rumeurs que tu peux entendre sur la mort de Levi sont toutes fausses. Certes Levi avait contracté la maladie de la main noire, mais elle ne l'a pas tué. Ce sont les hommes d’Obadiah Wallace qui l'on assassiné sur ses ordres.

 - Quoi ? Mais pourquoi ?

 - C'est ce que je cherche à comprendre. Et si il s'agissait seulement d'éliminer la concurrence, je compte bien lui rendre la pareille ! Maintenant, dépêche-toi de remettre ce foutu rouage, merde !

 Nellie sentit la même nuance de tristesse dans sa voix, que lorsqu'il avait parlé de la photo dans la montre. Elle décida d'abandonner le sujet malgré la curiosité ardente qui lui brulait la gorge. Elle finit par mettre la main sur le petit rouage et l'aida à retrouver sa place initiale. Il était très évident, même pour les yeux encore novices de Nellie, que ce dernier n'était absolument pas de la même qualité que le reste des mécaniques. Son métal semblait banal et était déjà quelque peu raillé, alors que tout le reste étincelait comme s'ils étaient neuf. Nellie s'émerveilla une dernière fois face à cette merveille. Le moindre composant était d'une qualité exceptionnelle, encore plus que celle de Titus.

 Otto fit quelques moulinets avec son poignet droit pour vérifier que tout était en ordre, puis se releva en rabattant sa plaque :

 - Allez crevette, faut pas trainer.

Il enfila son manteau et s'apprêtait à partir, mais stoppa son geste :

 - Je...Je suis désolé pour ton oiseau. Je sais que ce sera pas pareil, mais si tu veux je pourrais t'en faire un autre, dit-il calmement sans même se tourner vers elle avant de reprendre sur son ton habituel, allez en route, monte sur mon dos, ce sera mieux pour toi.

 La jeune fille étira un triste sourire avant de s'agripper à ses épaules. Otto la fit rebondir pour s'assurer qu'elle était bien installée et se remit à courir à pleine vitesse. Elle ne put s'empêcher de jeter un œil derrière eux, vers la masse sombre à l'horizon qui devait être Scuttlebury. Elle avait cette désagréable sensation d'y avoir laissé la moitié d'elle-même. Son cœur se mit à se compresser dans sa poitrine et la simple pensée d'imaginer Titus entre les mains d'un autre lui arracha un sanglot. La jeune fille se laissa aller à son chagrin et plongea sa tête dans le col d'Otto. Le vent de sa course emportait derrière eux la chevelure de la jeune fille et les larmes qu'elle ne voulait plus retenir.

 La lande désertique du Plateau de Rosalind formait toute la partie sud-est du pays. C'était un paysage morne, composé de terre tellement aride qu'elle s'effritait au moindre pas. Le peu de végétation, quelques brins d'herbe et bruyères d'ordinaire si colorés, étaient sèches et ternes. Ni arbre ni collines n'offraient de couverts dans cet endroit. Par moments, quelques amas rocheux pouvaient laisser apparaitre une petite parcelle d'ombre pour se protéger du soleil aride et impitoyable qui asséchait la lande. Aucune trace d'eau ni d'une quelconque forme de nourriture. Otto continuait pourtant de courir vers le cœur de ce paysage aride, mue par un instinct plus fort que sa raison.

 Lui qui ne souffrait d'aucune fatigue, continua d'avancer, mettant le plus de distance possible avec d'éventuels poursuivants. Mais la crevette sur son dos ne pouvait pas en dire autant. Il devait la replacer sans cesse pour pas qu'elle ne tombe. Cela faisait presque deux jours qu'Otto arpentait à grande foulée le Plateau de Rosalind et cela se ressentait dans l'état de la jeune fille. Sa respiration était rauque et ses lèvres desséchées. Elle qui avait l'habitude d'être privée de nourriture, il en était autrement pour la privation d'eau. Mais Otto ne comptait pas l'abandonner à un sort dans lequel il l'avait lui-même jeté. Il savait de rumeurs sûres qu'un hameau avait été installé autour d'une des rares sources d'eau de la zone. L'Oasis, ainsi était-il nommé, accueillait les réfugiés et imprudents s'étant égarés dans la lande. Malgré le manque de précision quant à son emplacement exact, Otto savait qu'il le trouverait. Le long terrain sans relief qu'était la lande permettait de voir à des kilomètres la moindre silhouette.

 Nellie se mit à tousser et de ses maigres forces, elle serra le manteau de son compagnon :

 - Otto...

 - Préserve ta salive.

 - Non...Otto....Là...

 Son bras peina à se lever, mais l'automate perçut tout de suite ce qu'elle voulait lui montrer. Sur sa droite, au loin à travers les déformations arides, les masses noires et ondulantes d'un campement.

 L'Oasis.

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