Chapitre 2
Une voiture ? Cela semblait si simple. L’ambiance devint immédiatement plus détendue. Les ainés regardèrent le second avec défi. Ils trouveraient facilement une meilleure voiture que ce que pourrait choisir ce benêt. En plus, le couple royal n’avait pas précisé de somme, l’argent ne rentrait donc pas en ligne de compte, ils pourraient choisir ce qu’il y avait de mieux. Dès le lendemain, les deux frères s’en allèrent chercher la future voiture de leurs parents. L’ainé alla en Italie, passa commande dès le lendemain et demanda à la faire livrer sur le grand parvis devant le palais trois mois plus tard. Le second alla en Angleterre et fit de même. Kevin alla dans sa chambre se réfugier sous sa couette en tremblant. Pendant trois mois, il n’en bougea pas.
Ce fut la veille de l’échéance qu’il décida de se lever. Ses pensées étaient lâches et sombres : pour éviter le déshonneur, il avait décidé d’aller chercher une corde et la mort. Même à cet instant, il lui paraissait plus simple et facile de disparaître. Il avait eu beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, il n’avait rien trouvé. Il savait que ses frères trouveraient les meilleures voitures au monde. Il n’avait pas la moindre chance. Il descendit les marches du grand escalier extérieur, traversa le parc et alla tout au fond jusqu’à une petite dépendance où l’on rangeait tous les outils. Il voulut ouvrir la porte mais celle-ci était fermée par un cadenas. Il hésita un instant : où pouvait bien se trouver la clé ? Puis, il haussa les épaules, se redressa un peu et enfonça la porte à coup de pieds. Une fois entré, il commença à rassembler le matériel. Ce ne fut pas long, après tout, il n’avait besoin que de deux choses. Cependant, son intrusion avait fait du bruit. Non loin de là, une horticultrice du palais avait été alertée et se dirigeait rapidement vers l’épicentre. Elle découvrit le prince au moment où il poussait le tabouret. Sans un seul doute, ni une ni deux, elle s’empara de sa paire de sécateur et trancha la corde. Le prince rouvrit rapidement les yeux pour découvrir la femme qui l’avait sauvé.
– Pourquoi avez-vous fait ça ? demanda le prince.
– Parce que je ne tue que les fleurs, les autres plantes, je les épargne et les soigne.
– M’épargner ? fit le prince en riant tristement. Au contraire, vous m’achevez plus que tout au monde, madame.
– Allons, allons, pas tant de défaitisme. Dites-moi plutôt ce qui vous fait peur, mon prince.
– Si vous savez mon nom, vous savez ce qui se passe, répliqua-t-il.
– Oh, vous voulez parler de l’épreuve ? Tout le château ne parle plus que de ça.
– Je n’ai rien fait, je n’ai rien trouvé ! Je préfère mourir plutôt que de me présenter sans aucune voiture devant mes frères, pleura-t-il.
L’horticultrice se releva, remit le tabouret en place et s’assit dessus. Elle regarda attentivement le prince qui pleurnichait dans son coin. C’est vrai qu’il n’était rien d’autre qu’un enfant gâté, incapable de se débrouiller seul. Mais elle préférait son attitude à celle de ses frères, elle trouvait ces deux-là arrogants. Elle avait beau le regarder, malgré son air pitoyable, elle lui trouva quelque chose de touchant. A moins que ce ne fut ce fameux souvenir qui lui revenait à l’esprit.
– Vous savez, mon prince, je ne suis pas surprise que vous vouliez en finir ici.
Surpris, le prince redressa la tête, renifla, passa sa manche sous son nez et répondit d’une voix faible :
– Ce n’est pas très gentil de votre part.
– Parce que vous n’avez pas bien fait attention au dernier mot. J’ai dit ‘ici’. Vous avez toujours aimé les fleurs. C’est grâce à vous que j’ai gardé mon emploi au château. J’avais commencé jeune, j’avais eu la chance de pouvoir trouver un stage en été. Mais je ne faisais que des bêtises, je mélangeais les engrais, je me trompais de bulbes, j’ai même laissé des mauvaises herbes en croyant que c’était des plantes exotiques. Mes erreurs s’accumulaient et le jardinier en chef songeait à me renvoyer. Il m’a avoué plus tard que juste avant de me parler, il vous avait vu immobile, comme transporté, en train de regarder un parterre de fleur. Lorsqu’il vous a parlé, vous avez tressailli comme si vous sortirez d’un rêve et vous lui avez dit ‘ce bosquet est le plus beau que j’ai jamais vu. On dirait que chaque fleur chante de bonheur.’ Lorsqu’il a entendu cela, il a décidé de me garder : ce parterre, c’était la parcelle qu’on m’avait alloué pour que je le jardine. C’était un tout petit carré loin des grands chemins à l’ombre des cerisiers. Et pourtant, vous étiez venu jusque-là et vous m’avez permis de progresser vers mon rêve.
Le prince la regardait avec de grands yeux étonnés. Il ne se souvenait plus de cette histoire mais il réalisa qu’il avait peut-être fait quelque chose de bien dans sa vie. Il changea de position et s’assit sur le sol, devant lever la tête pour regarder la fille.
– Je ne suis pas surprise que vous soyez venu au jardin ce soir. Par contre, ne vous tuez pas. Nous allons chercher une solution. Mais avant cela, expliquez-moi. Pourquoi n’avez-vous rien commandé ?
– Je, je ne m’y connais pas en voiture, balbutia le jeune homme.
– Ah bon ? Je pensais que c’était quelque chose d’important pour les princes, que vous vous compariez en jouant à celui-qui-a-le-plus-beau-bolide.
– Mes frères, oui, pas moi. Je suis malade dans les transports.
– Comment faites-vous pour aller sur les lieux de vos discours alors ? Quand vous avez un musée ou un hôpital à inaugurer ?
– Et bien, la première fois, j’ai… Mmh vomi sur tout le pont tout neuf.
– Une inauguration mémorable ! se mit-elle à rire. Et la deuxième ?
– J’ai pris un médicament contre le mal des transports. Je me suis endormi, on n’a pas réussi à me réveiller.
– Non ?
– Si, le chauffeur s’est fait passer pour moi et a lu le discours qui était écrit sur mon pense bête.
A ces mots, l’horticultrice éclata de rire. Il lui fallut quelques secondes pour se calmer. Elle respira profondément pour reprendre son souffle. Le prince en revint à son sujet :
– Mais, alors ? Pour la voiture, vous avez une idée ?
– Ne vous inquiétez pas pour ça. Je m’en occuperai.
– Mais mes frères ont surement déjà trouvé la meilleure des voitures !
– Cela m’étonnerait fort, mon Prince. Ils sont partis dans leurs rêves et leurs pensées, ils n’ont pas bien écouté l’épreuve de tes parents.
– Hein ? Comment cela ?
– Vous verrez cela demain, fit-elle en clignant de l’œil. Permettez juste que j’envoie la facture au palais. Donnez-moi une preuve que le concessionnaire puisse croire que je vienne de votre part.
– Ma chevalière, ça ira ?
– Oui, tout à fait. Donnez-moi également votre carte de visite.
(la suite demain ;) )
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