Chapitre 5 et fin

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Les dernières paroles du roi ne furent pas entendues par les princes. Les ainés se regardaient abasourdis. Femme ? Alors, ils ne pourraient plus flirter au vu et sus de tous ? Ils devraient dire adieu à leur vie de célibataire insouciant ? Néanmoins, le trône était en jeu, c’était une raison suffisante pour céder ces quelques plaisirs. L’esprit du troisième des fils naviguait dans des eaux tout à fait contraires. Femme ? Alors, il devrait aller dans des fêtes, se mêler à ces arrogants petits fils et filles à papa ? Il évitait toutes ces soirées comme la peste. Sous l’ordre de leur père, ils s’en allèrent de la salle du trône. Pour Juan et Godefroy, la cause était entendue : ils allaient trouver une femme. Oui, mais laquelle ? Il fallait que ce soit la meilleure pour qu’ils puissent obtenir la couronne. Ils s’en allèrent chacun dans l’heure découvrir leur dulcinée. Kevin, lui, retourna directement dans sa chambre et alla de nouveau sous sa couette en tremblant. Pendant trois mois, le couple royal reçut des nouvelles de Londres et de Milan. Pendant trois mois, Kevin resta prostré dans son lit. La veille au soir, il se dirigea à nouveau vers les jardins, espérant secrètement que l’horticultrice l’aiderait encore. Il la retrouva accroupie en train de tasser la terre au pied d’un jeune arbre qu’elle venait de planter.

– Bonsoir, mon prince. Comment allez-vous ?

– Mal. Il faut que je trouve une fiancée. Je, je suis trop timide, jamais je n’ai osé faire la cour à une demoiselle.

– Effectivement, sourit l’employée, cela diminue vos chances de succès. Vous êtes venue me voir pour me faire part de cela ?

– Oui, en effet et…

– Et ?

– Peut-être… Auriez-vous une amie, une connaissance, euh, gracieuse et distinguée qui serait digne d’être la reine du royaume ? Connaitriez-vous quelqu’un ?

– Je connais quelqu’un. Vous n’avez qu’à me choisir moi, proposa-t-elle doucement.

Elle souriait dans son habit tâché de terre avec ses grosses mains rudes aux ongles souillés par l’humus, faites pour arracher les plantes les plus tenaces et non pas pour tenir une flûte de champagne. Le prince ne put s’empêcher un sursaut de rire.

– Excusez-moi, mademoiselle. Mais… Enfin, comment dire… Je ne voudrais pas vous vexer mais… Vous n’êtes à vrai dire pas tout à fait la dame qu’on penserait pour l’emploi.

– Peut-être, répondit-elle sans se vexer, comme si c’était une vérité évidente. Mais c’est toujours mieux que de n’avoir personne, non ? Et toutes les filles que je connais sont déjà mariées.

Le prince ne répondit rien et baissa juste la tête. Elle se leva, mit ses mains gantées sur ses hanches, le regarda et annonça :

– Alors, c’est entendu, nous irons demain nous présenter devant le roi et la reine. Je vous retrouverai à l’heure dite. En attendant, prêtez-moi votre carte bancaire.

– Ma carte bancaire ?

– Oui. Et le code aussi.

– C’est que… Enfin…

– Que craigniez-vous ? Que je parte avec ? Vous n’aurez qu’à faire opposition si je ne reviens pas demain. Et ne faites pas de bêtises d’ici là.

Elle avait terminé cela en attrapant le morceau de plastique et s’en alla, sans un regard en arrière. Le lendemain, le prince devenait de plus en plus nerveux au fur et à mesure que l’heure approchait. Ses frères étaient déjà arrivés avec leur compagne. Ils s’étaient moqués de lui en riant :

– Alors, encore seul ? Qu’est-ce que tu as ramené ? Un crapaud ?

– Non, non, elle va venir tout à l’heure, répondait-il sans y croire.

Mais alors qu’il trépignait d’impatience dans l’antichambre de la salle du trône pendant que les autres discutaient tranquillement, un employé vint leur demander d’entrer, deux par deux, pour présenter leur fiancée au couple royal. Kevin attendit jusqu’au dernier moment puis, la mort dans l’âme, les larmes aux yeux, commença à marcher, seul, à la suite de ses frères. A peine eut-il dépassé le seuil qu’il sentit une main s’agripper à son bras. Il tourna la tête et découvrit la jeune fille. Elle semblait transformée, comme si c’en était une autre. Elle avait ramené ses cheveux en un chignon élégant décoré de perles, elle portait une élégante robe jaune et verte qui allait parfaitement avec son teint mat, son visage était parfaitement maquillé mettant en valeur ses prunelles noisettes. Elle courbait la nuque avec élégance et regardait son fiancé avec un regard en coin, un peu complice.

– Referme la bouche, Kevin.

– Je, je… Tu es magnifique.

– Merci, cela me fait très plaisir à entendre. J’ai toujours dit que l’argent pouvait faire des miracles, fit-elle en glissant discrètement la carte bancaire dans la poche du veston du prince.

– Oui mais… Il n’y a pas que ça, tu as,

– Le roi et la reine ! interrompit un employé en criant.

Le couple entra de manière décontracté. Il sembla même à l’assistance que la reine avait jeté un regard courroucé à l’homme qui venait de les présenter de manière si formelle. En face des deux sièges magnifiquement sculptés disposés sur une estrade haute de trois marches, les trois couples étaient alignés l’un à côté de l’autre.

– Bien, commença le roi, je suis heureux de voir que vous avez joué le jeu et accepté de chercher une femme. Je suis particulièrement fier que vous en ayez tous une, j’avais cru la situation désespéré pour certains d’entre vous.

– Veuillez nous présenter nos futures brus, s’il vous plait, continua la reine. Godefroy, je t’en prie, avance.

– Bonjour Mère, bonjour Père, salua l’ainé en approchant de deux pas, tenant la main de sa femme dans la sienne. Voici la femme sur laquelle j’ai jeté mon dévolu : elle s’appelle Christiane Martelli, je l’ai séduit à Milan ces trois derniers mois. C’est la mannequin la plus connue de la planète.

– En effet, confirma la mère, je l’ai souvent vu dans les défilés. C’est bien. Juan, c’est ton tour.

– Bonjour Mère, bonjour Père, reprit le second en ayant les mêmes gestes. Celle qui se trouve en face de vous est Luz Marina Zuluagista. Elle vient de remporter le concours de miss univers et est donc la plus belle femme du monde.

– Ah ! En effet ! Vous portiez un très très beau maillot de bain au concours, ma chère enfant, fit le roi avec enthousiasme. Je suis ravi de vous voir parmi nous.

– Chéri !

– Erm, oui, erm, enfin, toussa un peu le souverain. Kevin, il ne reste plus toi, fit-il pour changer de sujet.

– Bonjour Mère, bonjour Père, commença le benjamin, voici, euh… Voici… Celle qui m’a aidé dans les premières épreuves et…

– Je m’appelle Fleur, vos majestés. Je suis ravie de me trouver parmi vous aujourd’hui.

– Bien, bien, fit le roi pensif, et qui êtes-vous en particulier ?

– Je suis horticultrice dans les jardins du palais. Madame, c’est moi qui fait pousser et cueille tous les matins les fleurs qui ornent votre commode. Je prépare également les plantes qui permettent de soulager votre majesté de ses douleurs articulaires.

– Oh, d’accord, je vois, répondirent-ils en cœur. C’est bien, c’est bien. Bon, nous allons rendre notre jugement.

Ils se penchèrent l’un vers l’autre et murmurèrent pendant quelques minutes :

– Alors, qu’est-ce que tu en penses, ma chérie ?

– Je suis surprise que Kevin nous ait ramené quelqu’un.

– Oui, ça, je le suis aussi mais au niveau des candidates ? Celle de Godefroy est… Carrément maigre.

– Anorexique, oui. Il a dit que c’est une mannequin. Ce ne sont que des portes manteaux à pattes. Je me demande combien il a dû dépenser pour qu’elle accepte de venir avec lui. Quant à l’autre…

– Elle est bien mignonne, non ? fit le roi en souriant. Personnellement, je voterai pour elle.

– C’est amusant que ce soit toi qui propose ça.

– Ah, comment ça ?

– Je croyais que tu détestais les femmes qui se font retoucher chirurgicalement. Celle-ci est passée sous le bistouri, ça se voit.

– Vraiment ? Tu crois ?

– Chéri, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir.

– On ne va pas voter pour elle, alors. Si elle commence à mentir aux gens sur son apparence, elle pourrait finir par mentir pour tout et n’importe quoi. Mais quand même, choisir une simple employée… Je vois déjà les gens dire ‘c’est la jardinière du roi ! c’est la jardinière du roi !’ Je ne suis pas d’accord.

Pendant que les parents pesaient le pour et le contre, les deux frères regardaient Kevin avec un air hautain. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de ramener une paysanne ? Une employée du palais en plus ! Il avait vraiment pris ce qui lui passait sous la main. Si le benjamin avait su ce qu’ils étaient en train de penser, lui-même n’aurait pas cherché à contester. Mais il chuchotait plutôt avec l’horticultrice :

– Tu t’appelles Fleur ? Tu te fiches de moi ?

– Non, c’est vrai ! Il faut croire que c’est cela qui m’a donné ma vocation.

– Bref, tu m’as fait peur tout à l’heure à arriver à la dernière minute, j’ai cru que tu allais me poser un lapin.

– Je me suis perdue dans le palais. Je n’ai jamais eu un très bon sens de l’orientation et la manucure a été un peu longue, forcément, avec mes mains, s’excusa-t-elle.

Ils furent interrompus par le couple royal.

– Pour le gagnant de cette dernière épreuve, nous choisissons Kevin et sa chère Fleur. Bien qu’elle n’ait ni la beauté ni la célébrité de vos dulcinées, son charme et sa hardiesse prend le pas sur le reste, déclara la reine.

Dès lors, un grand vivat explosa dans la salle. On entendit des bravos, des ‘vive le roi’, ‘vive la reine’. Et pour fêter l’événement, un grand banquet fut dressé. On y mangea pendant deux jours et deux nuits des mets plus succulents les uns que les autres, des viandes fines et relevées, des légumes oubliés et remis au goût du jour, des desserts fumants, vaporisés et respirables tous aussi surprenants. La nuit, la musique résonnait dans les couloirs, les gens dansaient sur les parquets centenaires et les frères furent les rois de la piste. La cérémonie d’investiture se passa le troisième jour dans la plus belle cathédrale du pays, décorée de tentures dorées et solennelles. Le prêtre en habit d’apparat attendit le prince venir dans un manteau d’hermine et commença les paroles rituelles. Au moment où le prince s’agenouillait pour recevoir la bénédiction, la reine se pencha à l’oreille de l’horticultrice.

– Mon fils m’a parlé de votre rencontre dans le jardin. Vous lui aviez dit qu’il vous aidait à accomplir votre rêve, il ne m’a pas dit ce que c’était. Puis-je le demander ?

– Oh, c’est assez simple comme rêve. Devenir reine.

Les deux femmes se regardèrent alors avec de grands sourires complices, pendant que, devant elles, Kevin se relevait la couronne sur la tête, désormais souverain du royaume.

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