Disloqué
Mike vient d’abattre le soldat avant qu’il ne se décide à tirer. Il me lance un bref regard pour s’assurer que je vais bien, puis nous reprenons notre course à travers la ville morte. Avant les multiples explosions qui ont plu dessus depuis quelques semaines, elle ressemblait à toutes les autres : il y avait du monde dans les rues, les maisons tenaient encore debout et le sol n’était pas recouvert de débris et de poussière. Depuis, les trafics en tout genre et les violences ont explosé, alors les soldats tirent sur tout ce qui bouge, puisque tout ce qui bouge, ce sont forcément des délinquants. Les victimes des bombes, les jeunes enfants et les personnes âgées dont la famille a disparu sont morts, et ceux qui pouvaient partir l’ont fait depuis longtemps. Et puis il y a nous. Mon frère et moi. Nous ne sommes pas des délinquants, mais vivre dans cette atmosphère sans arme, c’est la mort assurée, alors Mike nous en a dégoté. Nous sommes restés aux abords de la ville pour espérer retrouver notre famille. Lorsque les dernières explosions ont retenti, elles ont soufflé les quartiers vers lesquels travaillaient nos parents. Ils ne sont pas revenus depuis. Quant à notre petite sœur Kaitlyn, elle était chez une de ses copines et nous n’avons aucune nouvelle d’elle. C’était il y a huit jours maintenant. Mais nous espérons les retrouver, alors nous arpentons la ville depuis presque une semaine. Nous revenons de quelques jours de recherches dans le quartier où travaillent nos parents, puis du secteur où aurait pu être Kaitlyn mais nous ne les avons pas trouvés. Maintenant, nous nous dirigeons vers la maison dans l’espoir de peut-être y voir nos parents si jamais ils ont réussi à revenir jusqu’ici. Cependant le trajet est long car la ville est très étendue et nous prenons soin d’emprunter des routes peu passantes, plutôt discrètes et faisons des détours pour éviter d’être suivis.
Je trébuche sur un bout de béton égaré sur la route et tombe lourdement sur le sol. Mike s’arrête, sort son arme et scrute les alentours.
— Ça va, frérot ? me demande-t-il tout bas.
Mon genou droit est salement amoché et ma cheville a souffert du choc, mais nous ne pouvons pas rester là. Je hoche la tête et me relève. Cependant lorsque j’essaie de courir, un élancement me parcourt la jambe et je retiens un cri. Mike me soutient jusqu’à une maison en ruine dans laquelle nous pouvons nous arrêter sans rester à découvert. Je m’assois et Mike regarde ma plaie de laquelle s’échappe un filet de sang. Il sort sa gourde de son sac à dos, passe de l’eau dessus et me fait signe d’enlever les graviers incrustés et autres saletés dans la blessure, après quoi il panse le tout avec un bandage trouvé dans une pharmacie à la devanture fracassée.
— Pas foutu de regarder où tu marches, hein ! me reproche-t-il en chuchotant.
— Désolé.
— Allez, on y va ! Et tombe pas, imbécile.
Il sort de la maison et reprend la route au petit trot, ralentissant tout de même l’allure pour moi. Cependant, au bout de quelques dizaines de minutes, il devient évident que je ne peux plus suivre le rythme.
— Mike ! J’en peux plus, arrête-toi !
— On n’a pas le temps, frangin !
— Mike ! Écoute-moi deux secondes ! Je suis pas un héros, moi. C’est pas dans mes habitudes de courir à longueur de journée, et encore moins de tenir une arme à feu. Alors je sais pas comment ça se fait que tu maîtrises et que tu sois autant en forme, mais moi c’est pas mon cas.
Résigné, il nous trouve un refuge dans une maison en assez bon état. Une fois un peu reposé, j’entreprends de nettoyer correctement ma plaie sanglante. Il faut dire que courir n’a rien arrangé.
— Viens manger ! me lance Mike. On est bien tombés, il y a encore des boîtes de conserve dans les placards.
Je suis allongé près de Mike et mes yeux commencent à papillonner.
— Bonne nuit, murmuré-je à mon frère en étouffant un bâillement.
— T’as intérêt à être en forme, demain, me dit-il.
Cependant, la nuit passe et la douleur ne diminue pas. J’ai toutes les peines du monde à persuader Mike d’attendre encore un peu. Énervé, il quitte la maison et je ne le vois pas de la matinée. Il revient aux alentours de ce que j’estime être midi d’une humeur encore plus massacrante qu’il n’était parti.
— Viens, on part tout de suite.
— Quoi encore ? Les parents ont attendu plus d’une demi-journée, ils attendront demain, dis-je agacé.
— La réalité, c’est que les parents attendent rien du tout. Pendant que tu restais assis là toute la journée, j’ai été voir à la maison. Ils sont nulle part. Ils sont morts.
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