Chapitre 2 : Jean

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- Vous avez un CV ?

- Oui, répondis-je, tendant le document au recruteur.

 Fraîchement diplômé, je cherchais un emploi en finance. Je sortais d'une bonne école de commerce, j'avais fait plusieurs stages dans des entreprises réputées, et j'avais déjà eu vent d'anciens étudiants de ma promotion ayant décroché un job dans cette entreprise. Autant dire que j'avais normalement les qualifications requises : ne manquait plus que l'entretien.

- Monsieur Jean de Montgolfier, je vois que vous sortez de l'EDHEC, que vous avez déjà fait de l'audit et du service en transactions. Pourquoi voulez-vous rejoindre notre entreprise ?

- Après des expériences approfondies dans le secteur et un goût prononcé pour le travail des chiffres, je me suis découvert une vocation pour l'analyse financière. J'ai déjà travaillé en comptabilité dans un grand cabinet, mais c'est le service en transactions qui m'a le plus intéressé par la suite. L'étude des chiffres y est plus poussée, les hypothèses plus rigoureusement justifiées, et la complexité des travaux de valorisation d'entreprises renforce encore ma motivation et mon goût d'apprendre.

- Cela tombe bien, nous recherchons justement des personnes motivées et prêtes à s'engager pleinement dans leur emploi. Quels étaient vos horaires dans les entreprises au sein desquelles vous avez travaillé ?

 J'avais anticipé la question. Il faut dire qu'avant de me lancer dans ce parcours, j'avais déjà pris l'initiative d'effectuer plusieurs stages justement pour prouver ma capacité d'implication, et montrer que je n'avais pas peur de travailler tard le soir. Très carriériste, j'étais extrêmement motivé, et n'avais pas peur de le montrer.

- Lors des projets les plus intenses, il m'est arrivé de finir régulièrement entre une et trois heures du matin pour produire des documents urgents. J'ai conscience que le métier dans lequel je m'engage nécessite un rythme d'une grande intensité, et ce n'est pas quelque chose qui m'effraie.

- Très bien, il est vrai que les soirées au bureau sont plutôt monnaie courante dans nos équipes. Lors de votre parcours scolaire, comment vous débrouilliez-vous ?

- J'étais major de promotion pendant toute la durée de mon cursus, déclarai-je, fier de montrer que j'avais travaillé dur.

- Impressionnant !

- Merci, monsieur.

 L'entretien semblait très bien se dérouler, et à mesure que les minutes s'écoulaient, je sentais que j'étais fait pour ce poste. J'en étais certain.

- Une dernière question, monsieur. Pourquoi n'avez-vous pas mis de photo sur votre CV ?

- Dans un secteur comme la finance, j'ai jugé qu'il serait plus intéressant de me concentrer sur l'expérience et les compétences.

- Vous avez sans doute raison. Merci monsieur, ce sera tout.

 Quelques jours plus tard, alors que je vaquais à mes occupations, je reçus un e-mail de l'entreprise qui avait organisé l'entretien. Mon coeur se mit à battre la chamade. J'allais enfin obtenir le fin mot de l'histoire, et peut-être un CDI à la clé.

"Monsieur de Montgolfier, nous sommes au regret de vous annoncer que malgré la qualité que présente votre candidature, nous ne pouvons lui donner de suite favorable. Nous vous souhaitons beaucoup de réussite dans la suite de votre parcours."

 Déçu, puis surpris, je pris l'initiative d'appeler la responsable des ressources humaines afin de demander un retour sur les raisons de mon refus dans l'entreprise. Cela m'aiderait sûrement à progresser pour la suite. Cependant, malgré mes fréquentes relances dans les jours qui suivirent, je ne pus obtenir en guise de réponse que la rengaine suivante : "le courant n'est pas passé avec le recruteur". Sous le coup de l'émotion et en l'absence d'éléments plus concrets, je fus contraint d'accepter cette seule justification. Puis, à mesure que le temps passait, je me surprenais à repenser à la fameuse dernière question qui m'avait été posée. En quoi une photo aurait-elle pu avoir une quelconque importance ? Etait-ce pour mon origine qu'il m'avait refusé ? Non, il devait sans doute y avoir une autre raison.

 Ou peut-être pas.

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