1. "Bienvenue en Terres d'Hiver"

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Décidément, ce n’était pas le pays idéal pour fuguer de ma propre existence.

Un aéroport assailli par la neige en avril, un maudit train annoncé avec cinq bonnes heures de retard, un bus de ville à trouver pour rejoindre la gare et je ne vivais pourtant que les premières minutes de ma fuite à travers ces contrées enneigées.

Seul, je grelottais devant le hall des arrivées en sentant un froid vif me congeler jusqu'aux os, pendant que le ballet des voyageurs pressés et leurs dialogues creux m’occupaient l’esprit. Je m’adossai contre un des imposants piliers en béton de l’aéroport de Centrale, porte principale des Terres d’Hiver. Mes mains engourdies touchèrent quelques reliques du voyage, perdues au fond de mes poches ; mon billet d’avion pour ce pays glacial, un briquet solitaire et une mince liasse de billets fraîchement échangés. Une petite foule se tenait un peu plus loin dans un nuage de fumée, près d’un cendrier recouvert d’une épaisse couche de verglas. Près d’une montagne de valises, j’aperçus un groupe, visiblement de la même tranche d’âge que la mienne qui ricanait bruyamment autour de l’écran réduit d’un téléphone. Je m’approchai, frigorifié. Mes semblables, probablement espagnols, se retournèrent en interrogeant ma présence soudain envahissante. Je tentai une discussion maladroite avec ce qu’il me restait de grammaire et de vocabulaire incertain, pour exprimer un vague :

—  Bonjour, je suis un peu perdu, est-ce qqu’il y a moyen de se rendre à… Qilamiq autrement que par le train ?

Jeu de regards, échange rapide de mots entre les protagonistes, alors que le froid me grignotait peu à peu la peau.

— Tu peux prendre le bus, il est juste à côté, là, m’indiqua une fille brune, dans un français fluide.

Je les remerciai un peu penaud, en essayant d’empêcher mes dents de claquer. Mes semelles écrasaient la neige poudreuse dans un bruit réconfortant, en direction d’un car dont le moteur grondait sous la lumière blafarde du hall des arrivées. Une silhouette se détachait de la surface blanche de la carrosserie, cigarette entre les lèvres, chapka en peau de bête vissée sur le haut du crâne. Je m'approchai. Les yeux noirs d’un conducteur à la peau tannée par l’âge se posèrent sur moi, sans grande surprise.

— Pas d’billet ?

Je m’éclaircis la voix, pour bredouiller un simple :

— Non je… j’avais prévu de prendre le train mais…

Le chauffeur soupira et prit ma valise.

— J’vais te laisser rentrer. Y’a pu l’moindre train jusqu’au matin, fait froid et c’est la nuit. On réglera ça à l’arrivée, monte p’tit gars.

Je n’avais qu’une petite valise, remplie d’habits beaucoup trop légers pour cet hiver assassin. Une vie facile à trimballer à l'autre bout du monde, en somme. Je me précipitai à l’intérieur du car chauffé. Trois personnes avaient déjà baissé le dossier de leur siège et s’appuyaient contre la vitre recouverte d’une épaisse buée. Les odeurs de plastique, de carburant, de nettoyant à vitre mêlées à un fumet de sandwich poulet-mayo me prirent les narines. Je me hâtai de m’écraser dans la garniture d’un siège au fond du bus. À une distance raisonnable des toilettes, dans le cas où un passager porteur d’une gastro virulente aurait décidé de compléter le panel olfactif du car. À l’aide de ma manche, j’entrepris de débarrasser la vitre de la buée pour jeter un coup d’oeil à ce premier paysage nocturne des Terres d’Hiver. De l’eau glacée me coula le long du bras, mais j’arrivais désormais à discerner le couvre-chef en poils du chauffeur, juste en-dessous de moi.

Quelques personnes prirent leur place dans le car juste avant le départ et un homme choisit de s’installer juste devant moi. Je m'étais toujours demandé pourquoi les gens choisissaient de se coller aux autres, même dans un bus ou une salle de cinéma vide. Pourquoi diable leur choix se portait toujours sur cette place juste là, devant moi ? Je ravalai mon amertume. Les portes des soutes claquèrent brusquement, puis le chauffeur reprit sa place en soupirant dans son micro :

« Liaison Snowflake, Aéroport Central à Qilamiq. Merci de n’pas manger dans l’car et bon voyage.»

Le moteur gronda, laissant l'aéroport sous une épaisse couche de neige. Je regardais les lumières du hall des arrivées défiler de plus en plus vite, pendant qu'une boule se formait dans ma gorge. Je sentis mon cœur se serrer à la vue du défilement ininterrompu des bandes réfléchissantes tracées sur le bitume salé. Une violente envie de pleurer me fit serrer les dents. Les panneaux d’indications à fond vert scintillaient maintenant au-dessus du véhicule glissant dans la nuit.

Tout était noir, tout était froid au dehors, et une question m’arrachait désormais les tripes ; celle des raisons de ma venue dans ce pays au souffle polaire.

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