2.

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En s'efforçant de chasser l'image de la jeune fille de son esprit, Maude perçut une voix d'enfant s'animer et distingua Ayden dans l’allée.

Myriam le tenait par le poignet et l’entraînait vers la véranda en pressant le pas tandis qu’il se débattait. Ayden ralentissait des talons, traînant des pieds à mesure qu’elle le tirait. Ce n’est qu’au pied de la terrasse qu’il s’essuya le nez d’un revers de manche et tourna son regard vers l’airial, apercevant Maude sous la rotonde. Avant même qu’il ne puisse poser la question sur la présence de cette personne, Myriam l’incita à rejoindre Maude. Il se débarrassa de son cartable, le laissant glisser de ses épaules, et le projeta sur les marches. Puis, il s’assit au bas de l’escalier, affichant une mine boudeuse. Ensuite, il se gratta la tête, comme si des poux le démangeaient, et replaça sa Red Sox de Boston, une banale casquette de baseball, avec la visière sur la nuque. Il cessa de jongler avec les billes dans sa poche pour enfouir sa mine grognon entre ses mains.

« Ayden, peux-tu m’expliquer pourquoi tu boudes ? dit Myriam en fronçant le nez.

— J’veux d’abord aller m’amuser avec Flin, répondit-il en poussant un gros soupir.

— Je comprends, mais cette dame est venue spécialement d’Arcachon pour te rencontrer. Allez, file lui dire bonjour ! 

— Nooon ! Veut pas l’voir !

— Ayden, arrête ton caprice et va lui dire bonjour.»

Ayden soupira, se leva et s’éclipsa vers la rotonde sans plus insister. Il se garda d’emprunter le chemin le plus court, sautillant çà et là, à croire que la pelouse était jonchée de bouses de vache.

Pendant ce temps, Maude le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il s’arrête devant une merveilleuse motte de terre. Elle le vit reculer de quelques pas, prendre de l’élan et décocher un coup de pied dedans. La délicieuse petite butte vola en éclats au ras du museau de Flin, qui se prélassait sur l’herbe. Le museau couvert de terre, Flin pencha la tête, semblant apprécier ce nouveau jeu très drôle. D’un bond, il jeta ses pattes avant sur Ayden, qui voltigea pour atterrir sur les fesses.

« Pfff, t’es pas marrant, Flin ! »

Maude sourit intérieurement, remarquant qu’il ressemblait davantage à un enfant espiègle et non à un petit garçon tourmenté, avec son visage rond, sa peau constellée de taches de rousseur et cette lueur malicieuse dans les yeux. Lorsqu’il apparut au pied de la rotonde, les mains enfoncées dans les poches, Ayden s’assit docilement en face d’elle, puis se mit à se tortiller, le regard baissé.

« Bonjour, c’est maman qui m’envoie. Si j’te dis pas bonjour, elle va encore râler.

— Bonjour Ayden », répondit-elle d’une voix douce.

Maude esquissa un sourire alors qu’il sortait une grosse bille de sa poche, l’envoyant rebondir contre son sac.

« Wesh, tu veux jouer au foot avec moi ? lança-t-il.

— Pourquoi pas, mais pour être franche, je ne suis pas très douée.

grave, j’vais chercher le ballon dans ma chambre, attends-moi. Mais d’abord, j’retire la terre d’mon basket, lâcha-t-il en tenant sa chaussure à la main.

— On dit « ma basket », mais où as-tu appris cette expression, wesh, à l’école ? s’étonna-t-elle, surprise par son entrain.

— Ouais, mais maman n’aime pas que j’parle comme ça. »

Ayden se hâta en direction de la maison. Maude repéra Erick qui, à présent, traînait à l’arrière de la bâtisse, faisant mine d’inspecter les bardages pour s’assurer qu’aucune planche n’était détachée, tenant un marteau et des clous. Profitant de ce moment de quiétude, Maude repensa à l’apparition soudaine de la jeune fille à l’orée de la forêt. Cette gamine avait poussé des cris d’orfraie. Quels tourments l’assaillaient  ? Ce qui l’intriguait encore plus, c’était la rapidité avec laquelle elle s’était enfuie. Cette scène étrange lui donna la chair de poule. Quelques instants plus tard, Ayden revint, dissimulant sous son tee-shirt un objet qui déformait son ventre.

« Et hop ! S’exclama-t-il en montrant sa peluche, j’te présente Captain Boum !

— Enchantée de faire ta connaissance, Captain Boum, je m’appelle Maude. Que dirais-tu Ayden d’une promenade le long de la rivière ?

— Oh, oui ! s’écria-t-il, on pourrait aller jusqu’à la cabane dans la forêt.

— Est-ce loin d’ici ?

— Non, suffit d’suivre le chemin là-bas, dit-il, le bras tendu.

— Je préviens ta maman.

— Pfff… elle ne sera sûrement pas d’accord, murmura Ayden qui grimaçait.

— Oui, mais si tu es avec moi, elle peut changer d’avis, corrigea-t-elle d’un ton doux.

— Trop cool ! »

Au même moment, Myriam apparut sous la terrasse chargée d’un service à thé. Elle était énervée et maudissait Erick qui jusque-là n’avait pas brillé d’amabilité depuis l’arrivée de madame Duvignac. Quand Myriam se trouva au pied de la rotonde, le plateau se mit à vaciller méchamment. Maude accourut à son secours et s’en empara juste à temps pour éviter une catastrophe.

Myriam s’étonna de sa maladresse, d’une mimique de désolation. Puis, elle questionna Maude sur ce premier contact avec son fils.

« Comment se passent les choses avec Ayden ?

— Il est très gentil, avec votre permission, j’aimerais l’emmener marcher le long du chemin qui s’enfonce dans le sous-bois. »

Myriam sembla hésiter, le regard porté sur Erick. Ses mains tremblaient encore légèrement. Elle lissa sa robe, plaqua un sourire forcé sur ses lèvres et consentit d’un hochement de tête. Elle resta sur place suffisamment longtemps pour les voir disparaître, main dans la main, au bout du sentier.

La forêt baignait l’endroit d’une tranquillité à peine perturbée par le murmure de la rivière proche. Le soleil brillait de tous côtés, illuminant les buissons, sans un frémissement de feuille. Tout paraissait revêtir une douceur illusoire.

« Avec qui joues-tu pendant les récréations ? demanda Maude.

— Je ne joue avec personne, les garçons de ma classe sont trop bêtes, de vrais boloss, répondit Ayden d’une voix maigrichonne.

— Dans ce cas, pourquoi ne pas jouer avec les filles ?

— Maxine ne veut plus s’amuser avec moi, grave, maintenant, j’rigole avec Pauline.

— Pauline ? », insista Maude tandis qu’elle apercevait sur sa gauche la baraque en bois ombragée par un énorme cyprès chauve.

La maison était pourvue d’un escalier en piteux état, la rampe recouverte d’un tapis de mousse. Sur le toit, des herbes colonisaient une partie des tuiles. Nul doute que le temps avait tissé son œuvre.

« Cette cabane est magique ! s’exclama Ayden en sautant sur les marches.

— Oui, le coin est… charmant, répondit-elle peu convaincue, mais es-tu déjà venu jusqu’ici ?

— Pfff… bien sûr ! Pa connait l’endroit, reprit-il, c’est ici que vit Pauline !

— Pauline habite vraiment dans cette maison ? s’étonna Maude en lisant le nom « la Bruyère », gravé sur le linteau en pierre au-dessus de l’entrée.

— Oui, c’est ce qu’elle m’a dit. »

Il lâcha sa main, traversa la clairière, grimpa les marches pour se laisser tomber sur le fauteuil à bascule. Elle se précipita dans ses pas et nota l’éclat de joie dans ses yeux. Ayden entra et parut aussitôt à l’aise dans la cabane, galopant dans tous les recoins de la cuisine. À sa sortie, il riait aux éclats. Soudain, il décocha un coup d’œil en direction de la rivière, où se dressait un énorme buisson.

En un soubresaut, son excitation joyeuse s’évanouit, laissant place à un air abattu, puis une brusque colère l’envahit. Il grinçait des dents, articulait des mots incompréhensibles, les mâchoires serrées.

« Ne t’approche pas, c’est mon territoire ! », ordonna-t-il d’un ton méchant.

Sa bouille malicieuse s’était envolée, et Maude décela une transformation dans sa voix, qui avait perdu sa douceur pour devenir grave.

« Que t’arrive-t-il, Ayden ?

— Pourquoi viens-tu me déranger ? »

L’air devenait étouffant et Maude succombait à la moiteur des lieux. Sa robe si légère lui plombait les épaules, tandis que la chaleur la piégeait, resserrant son étreinte. Ayden affichait un visage métamorphosé, arborant une terrible grimace s’étirant des lèvres aux pommettes. Ses yeux étaient d’un noir profond. Tendant la main dans sa direction, Maude échappa un cri quand Ayden la repoussa avec force.

« Ne t’avise pas à aller plus loin !

— Ayden ! Cela suffit ! Rentrons immédiatement !

— Non ! Je reste ici ! »

Ce non lâché d’une voix glaciale fondit sur elle telle une lame tranchante. Elle recula, saisissant Ayden avec une force inouïe par le bras.

« Partons ! », s’écria-t-elle, submergée par un sentiment d’urgence.

Alors qu’elle avançait d’un pas précipité, il se débattait. Puis, de manière subite, la voix douce d’Ayden émergea, semblant repousser un monstre qui le possédait l’instant d’avant. Maude ressentit un soulagement en le voyant se calmer. Elle avait déjà été confrontée à des patients dont le comportement changeait brusquement, mais jamais avec de telles transformations physiques.

Ils s'éloignèrent rapidement lorsque Ayden s'arrêta brusquement, ôta sa casquette et sortit le dessin de sa poche.

« Hier, j’ai dessiné un bateau. J’ai utilisé mon crayon bleu préféré pour dessiner les yeux du pirate. J’aimerais voyager à ses côtés. Mais c’est surtout la nuit qu’il navigue, pile-poil au moment où je m’endors, pfff, c’est agaçant ! Toi aussi, tu inventes des histoires ?

— Oui, je fais des rêves. Ayden, laisse-moi regarder ton dessin. »

Elle prêta une attention particulière à l’embarcation dessinée par Ayden, ainsi qu’à l’immense gaillard se tenant à la barre. Le bateau était amarré à un quai et un canon tirait un boulet.

« Avec un si beau dessin, ton ami pirate est prêt à affronter mille périls.

— Oui, il vole vers la victoire ! Parfois, il doit lutter contre les grosses vagues. »

En y regardant de plus près, l’étrange cauchemar qui assaillait Maude chacune de ses nuits se matérialisait au travers du dessin d’Ayden. Dans chaque mauvais rêve, elle se voyait naviguer en pleine mer, menacée par une tempête imminente. Le gros temps se profilait au large. Alors qu’un premier éclair claquait quelque part au-dessus du banc d’Arguin[1], un vent violent s’abattait sur le bateau. Effrayée, Maude se réfugiait à l’intérieur du cockpit juste avant qu’une déferlante ne retourne le voilier. L’eau envahissait l’habitacle, le plongeant dans une obscurité oppressante. C’est ensuite, que dans le noir absolu, une voix résonnait à ses oreilles et qu’une main vigoureuse la tirait hors de la cabine pour la ramener à la surface. C’est à ce moment-là qu’elle se réveillait en sursaut.

[1] Le banc s’étale au pied de la dune du Pilat et face à la pointe du Cap Ferret. Il change continuellement de forme au gré des vents et des courants marins.

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