5.
Au cours de la nuit, Ayden se réveilla en sursaut. Instantanément, son esprit fut happé par le cabanon. Bien que contraint de décamper aussi sec par son père, la petite maison l’avait profondément émerveillée. Il ouvrit des yeux ronds, persuadé qu’elle était magique, habitée par une fée. L’armoire cachait sûrement un coffre rempli de pièces et de bagues en or, une veste de corsaire, des bottes en cuir et un énorme tricorne de pirate.
Il fit soudain la moue en se remémorant le matelas abandonné au sol, les lambeaux de rideaux agités par le vent, renforçant une impression de désolation. Cette vision lui brisa le cœur.
Finalement, il se dit que sa chambre était plus belle, avec ses murs, pourvus d’alcôves, abritant sa collection de figurines, des Avengers, Saruman et Sauron de la trilogie du Seigneur des Anneaux, ainsi que son superbe T-Rex rugissant. Il tourna la tête vers l’angle de la pièce où trônaient son chevalet, ses pinceaux et une palette de gouache, puis leva les yeux sur l’immense poster des stars américaines de Basket qu’il adorait. Enfin, il lorgna en direction de la malle renfermant ses images de Pokémon.
Dans la pénombre, Ayden fixa l’étrange éclat aux yeux ronds et afficha un large sourire. C’était son ourson calé sur l’étagère d’en face.
« Waouh ! Captain Boum. Aujourd’hui, je suis allé dans une cabane géniale, la prochaine fois, tu viendras avec moi. Nous y jouerons à cache-cache », s’exclama-t-il, ravi.
Même s’il lui parlait à voix haute, il savait que ce n’était qu’une peluche.
Tout en suçant son pouce, il caressa son oreille de l’autre main. Dehors, lorsque le vent agita les branches, il se glissa sous la charpente, un son métallique s’en échappa. Ses yeux s’écarquillèrent et se levèrent vers le plafond d’où partait le bruit. Quand un nouveau coup résonna, il tira sur la couette pour la remonter et se couvrir le menton. Il renifla bruyamment et ouvrit grand les yeux.
« C’est où, cet endroit ? »
Il aurait juré que l’ourson venait de lui parler. Il resta pétrifié, se couvrit les oreilles avant d’appeler sa mère, mais le couloir demeura plongé dans l’obscurité. Peut-être cela relevait-il de son imagination.
« Ça a l’air rigolo ! On y va maintenant ? »
Cette fois-ci, une sensation de peur intense s’empara de lui. Ses mains tremblaient, le poussant presque aux larmes. Il repoussa la couette des pieds et bondit hors du lit. La pièce était sombre, la porte du couloir semblait bien loin. Il se précipita vers la fenêtre, l’ouvrit et écarta les volets. D’abord, il y eut un bruit sourd, bientôt suivi par une cacophonie de grondements. Dans l’airial, le ciel orageux nimbait la clairière de créatures monstrueuses, paraissant s’agrandir de façon démesurée, les chênes projetant leurs ombres, dessinant des formes de plus en plus terrifiantes. Des branches craquelaient dans le vent. Un éclair plus violent déchira le ciel. Horrifié, bouche bée, les yeux écarquillés, Ayden empoigna Captain Boum et s’enfuit se réfugier dans le couloir.
« Les peluches d’abord ! Ok Ayden, allons-y ! S’il te plait, arrête de pleurnicher.
— Je n’ai pas peur ! », se défendit Ayden.
Accroupi, il enfouit le visage entre les mains et avala la salive qui enflait dans sa gorge. Il serra la peluche très fort dans ses bras comme son meilleur copain. Puis, redressant la tête, il murmura une formule magique, convaincu qu’elle dissiperait sa peur et qu’ensuite tout redeviendrait calme.
« Illico disparito, le monstre devient un crapaud, illico disparito, le monstre… »
Les dents serrées, il aperçut au rez-de-chaussée le halo d’une lampe filtrant sous la porte du bureau. Cela le rassura et aiguisa sa curiosité. Descendant les marches, il se glissa dans la pièce à quatre pattes. Ses yeux se posèrent sur un livre qui reposait contre la machine à écrire de son père. S’approchant dans l’obscurité, ses yeux s’écarquillèrent quand il découvrit sur la couverture une scène macabre. Une femme était étendue sur le parvis d’une chapelle, une jambe coupée. Ayden étouffa un cri et se cacha le visage. Puis, lentement, il écarta les doigts pour examiner chaque détail. Au-delà du cadavre, une jetée se profilait, avec une bombarde prête à tirer en direction des eaux miroitantes de la baie. Plus étrange encore, une immense pinasse était amarrée. Ses pensées s’évadèrent, brossant le portrait d’un marin à l’allure de pirate, un rien animal, à bord du navire. Ayden l’imagina s’animer, frappant des mains, pour l’inviter à le rejoindre.
Fou de joie, il prit possession du livre, le fourra sous son pyjama, quitta la pièce et remonta jusqu’au palier. Là, il s’endormit en mûrissant l’idée de devenir le capitaine du voilier.
De son côté, après une soirée arrosée avec monsieur Tach sur le ponton, Erick riait aux éclats au point de s’étrangler. Sur le chemin du retour, il titubait et trébucha sur une pierre, s’effondrant au beau milieu de la piste. Après un long moment, il se releva et aperçut la masse noire de la créole. Il épousseta son pantalon, puis la chemise bouffante par-dessus, il se remit en route, l’index pointé sur la bâtisse. À mesure qu’il s’approchait, une sensation grotesque l’ahurissait. Il voyait la maison se dédoubler.
Parvenu en bas de la terrasse, il s’immobilisa sur la première marche, prit de l’élan et fonça vers l’entrée. L’éclairage éteint, ses doigts frôlèrent la porte sans trouver la poignée. Erick heurta le battant de l’épaule, incapable de freiner sa course, il chuta dans le vestibule, sa tête rebondissant sur le plancher.
À ce moment, une énorme créature poilue surgit du noir. Elle s’anima, remuant la queue avant de lui lécher le visage d’un grand coup de langue. C’était Flin, qui désormais ne se gênait plus pour se coucher sur le tapis dans le hall, bien plus douillet que le carrelage de la ferme. Erick essuya son nez, se déchaussa dos au mur, envoya valdinguer ses baskets contre le guéridon. Puis, il s’agrippa à Flin pour se diriger vers l’escalier. La rambarde en main, il n’osa plus la lâcher. En grimpant les marches, il s’interrogeait sur l’explication qu’il allait donner à Myriam. Elle devait être aussi extraordinaire qu’une comète avalée par le soleil. Plus c’est gros, mieux ça passera, songeait-il. Arrivé sur le palier, il desserra le col de sa chemise, avança et précipita la demeure dans un véritable bastringue.
Son pied buta sur la cuisse d’Ayden qui s’était endormi sur le parquet. Un cri aigu retentit dans tout le couloir.
« Oh, merde ! », s’écria-t-il tandis que ses mains tripotaient la bouche de son fils.
Ayden gueula de nouveau et lui mordit les doigts.
« Nom de Dieu ! C’est papa ! »
Reculant, les yeux emplis d’horreur, Erick agita ses bras dans le vide, en quête de la rambarde.
« Nooon ! » s’écria-t-il en basculant en arrière.
Ses fesses rebondirent sur la première marche avant qu’il ne dévale les escaliers sur le cul. Par bonheur, le porte-manteau du rez-de-chaussée le stoppa.
Réveillée par le vacarme, Myriam boula la couette au pied du lit et fondit sur le palier. En éclairant l’étage, Ayden réalisa que la créature maléfique qu’il imaginait l’étouffer n’était autre que son père, le visage aussi pâle qu’une oie.
Un silence pesant s’abattit dans l’entrée. Erick recouvra ses esprits tandis que Myriam, les mains sur les hanches, tentait de garder son calme.
« Chut, chut !!!, lui dit-il, éteint la lumière, ne fais pas de bruit !
— Ce n’est pas moi qui provoque tout ce raffut, souffla-t-elle, tu es complètement saoul !
— Parle moins fort, tu vas réveiller le petit. Je n’ai fait que siroter un verre avec monsieur Tach.
— Réveiller Ayden ? C’est déjà fait, imbécile ! Tu viens de lui marcher dessus.
— Ne crie pas ainsi, j’ai mal au crâne, gémit-il.
— Oh bon sang, arrête tes jérémiades ! Écoute-moi bien, Terreu, si tu penses que boire va arranger nos affaires… je suis certaine que tu n’as pas pris la peine de te renseigner sur les gens qui vivent dans la cabane !
— Bien sûr que si », dit-il d’une petite voix.
Myriam éclata en sanglots pendant qu’il essuyait ses genoux et se retirait dans le bureau. Hautes de plafond, les boiseries libéraient dans la petite pièce une forte odeur de cire.
Ayden se blottit dans les bras de sa mère, qui le serra fort et déposa un baiser sur son front.
« Qu’est-ce qui ne va pas, qu’est-ce qui ne va pas avec papa ? répéta-t-il.
— Je ne sais pas, mon cœur, depuis que nous avons emménagé ici, ton père se comporte de façon stupide. J’aimerais que tu ailles aux toilettes et ensuite, tu pourras venir dormir dans mon lit. »
Sans insister davantage, Ayden hocha la tête, se frotta les yeux et s’éclipsa. Myriam feignit d’ignorer le tapage d’Erick, jurant comme un diable, se cognant aux meubles. Elle remarqua le recueil de contes et légendes sur le plancher et le ramassa.
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