6.
En fin de matinée, le professeur tapa au 111. Durant son cours, il avait ressassé les excuses improbables qu’il allait présenter. Elles étaient toutes aussi plates les unes que les autres.
« Arrêtez de tambouriner, j’arrive ! oh ! … non, pas vous, lança Maude en ouvrant la porte.
Les lèvres d’Étienne ne parvenaient pas à former les mots.
« Si vous avez quelque chose à dire, dépêchez-vous, j’ai des coups de téléphone à donner », reprit-elle d’un ton sec.
Il réussit enfin à parler la voix basse.
« Je me présente, professeur Denis, j’occupe le bureau d’à côté, le 112. »
Il se tut.
« C’est tout ?
— Vous m’avez sûrement prise pour un fou. »
Elle esquissa un léger sourire.
« je suis désolé, mais vous êtes apparue comme par enchantement au milieu du passage, dit-il soulagé de la voir de bonne humeur.
— Ça m’arrive tous les jours d’être bousculée et de me retrouver au sol. C’est tout moi. Je suis heureuse quand quelqu’un se comporte comme un goujat, j’ai dû me tromper en pensant que le couloir était sans danger », dit-elle gardant un calme olympien.
Étienne se pinça les lèvres.
« Vous ne devriez pas flâner au beau milieu de l’allée, dit-il en lui tendant la main, souvenez-vous en lors de votre prochaine escapade dans le couloir, bien je vous laisse, je dois préparer mon cours de cet après-midi. »
Cette fois, Maude écarquilla les yeux, et perdit son sang-froid.
« Pardon ? C’est tout de même un monde ! Vous me foncez droit dessus, m’envoyer valdinguer au sol et vos excuses se limitent à vous ne devriez pas flâner au beau milieu du couloir ! J’ai sacrément envie de vous faire avaler votre porte-document ! »
Il se sentit si stupide, qu’il prit un air gêné.
« Je suis vraiment navré. »
Maude le laissa incrédule, en lui claquant la porte au nez. Elle retourna à son bureau, buta contre le pied de la chaise. Elle essayait de se calmer et de reprendre le contrôle. Je crois rêver ! s’écria-t-elle. Puis, elle finit par admettre que cet homme n’avait pas voulu se montrer prétentieux. Il manquait simplement de tact.
Elle relisait ses notes pour sa conférence de lundi quand elle repensa à lui, s’étonnant du contraste entre son charisme et sa maladresse. Elle se dit qu’à la différence de ses collègues, le professeur Denis avec son visage hâlé, sa barbe poivre et sel et son regard azur devait apparaître comme irrésistible pour certaines femmes. Elle sourit, il était en effet séduisant. C’était dommage que sa froideur et son hostilité à peine voilée viennent tout gâcher, s’amusa-t-elle.
Elle ne perdit plus de temps, attrapa le document posé sur le haut de la pile de son pupitre et le compléta avec ses annotations.
Vers sept heures du soir, Maude hésita à appeler Cleo, puis y renonça. Il devait déjà être sur le chemin du retour. Elle sentit la fatigue l’envahir, ferma le dossier, se leva et récupéra sa veste et son sac sur le porte-manteau. Maude traversa le bureau, éteignit la lumière, ouvrit la porte et demeura un instant sur le seuil à observer le halo qui filtrait sous la porte du 112. Elle se faufila dans le passage, esquissa un sourire en se disant que cette fois, le mufle d’à côté ne viendrait pas la bousculer. Maude longea l’aile du bâtiment, négligea l’ascenseur pour emprunter l’escalier. Elle salua d’un signe le vigile à l’accueil et quitta la faculté.
La nuit était tombée. Le réverbère se mit à grésiller puis il s’éteignit la privant d’éclairage. L’obscurité noya d’un coup l’aire de stationnement. La Zoé était la plus éloignée. Dans le parking, quelques sacs poubelles jonchaient le trottoir. Elle perçut des bruits de pas dans son dos. Elle accéléra l’allure. Ils se rapprochaient. Un sentiment de frousse s’empara d’elle. Maude sentit son corps se raidir. Elle se présenta devant la Zoé, et fouilla son cabas Chanel à la recherche de la clé. Ses doigts tâtonnaient. Dans la précipitation, le sac lui échappa des mains. Alors qu’elle se baissait, une odeur poisseuse remontant d’une bouche d’égout l’assaillit. Elle entendit les grognements d’un chien le long du boulevard derrière la haie. Les jappements redoublaient. Elle ramassa le Chanel au moment où un mouvement lui frôla les reins. Elle sursauta et poussa un hurlement, appréhendant aussitôt que quelque chose d’anormal se tramait. Elle se redressa d’un bond, et s’adossa contre la carrosserie. Il n’y avait personne. Quand la chose repassa très vite au-dessus d’elle, Maude suivit du regard le bruissement d’ailes, et comprit qu’il s’agissait d’une chauve-souris. Mais, en baissant la tête, elle repéra tout de suite la silhouette qui l’observait à l’entrée du parking.
— Qui est là ?
D’un grand gabarit, la forme poursuivit sa marche dans sa direction.
— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? répéta-t-elle.
Maude appuya sur la télécommande et souffla au déclic de la portière. Elle s’engouffra dans la Zoé, puis les nerfs en pelote, elle démarra en trombe. Elle s’apprêtait à quitter l’allée quand la silhouette se rua devant le capot. Maude pila. Elle tremblait, mais voyant le logo des ouvertures verrouillées allumé, elle resta sur place. Étienne frappa à la vitre. Elle eut un moment d’hésitation avant de la baisser.
« N’ayez pas peur, vous avez oublié vos clés du bureau sur la porte », dit-il en lui tendant le trousseau avant de sourire devant son air dubitatif.
Elle les saisit et le remercia avec froideur. Une fois sur le boulevard, elle regretta de s’être montrée aussi dure.
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