PROLOGUE - Fin de saison 2025

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Siège d’Ashford Mecanics Formula One

 Le casque audio vole, vient se fracasser contre le coin de l’écran avant de tomber en arrachant les cables. Tu sors de ton baquet, les nerfs à vif, agacé par ce crash supplémentaire. Même en simulation, bordel. Jusque ici, jusque dans les locaux de l’écurie, alors qu’il y a encore une semaine, tu observais de loin la remise de la coupe au nouveau champion du monde. La colère bouillonait encore mais qui tu pouvais blâmer, au fond ? Tu savais parfaitement que tu étais le seul responsable, même en passant continuellement tes nerfs sur ton équipe.

 — C’est pas possible ces réglages !

 Encore une fois, tu tempêtes contre eux, jamais contre toi. Jamais à voix haute contre toi. Tu te blâmeras ce soir, à l’ombre des regards, dans l’intimité de ta chambre. Ton regard balaie la pièce, observe les pneus tombés sur l’écran et le casque qui gît misérablement au sol. Personne ne dit rien ; tu les as convoqué, tu leur a demandé d’essayer de nouveaux réglaces, t’as insisté. Et pourtant, tout vole en éclat, encore une fois. Les réglages sont cruciaux en vue de la prochaine saison, et pourtant tu t’acharnes sur ton équipe. Imbuvable, comme souvent ; mais avant, tu pouvais te le permettre. Intouchable.

 Véritable vainqueur, petit prodige de sa catégorie, à la fois rapide et brillant. Mais tu n’étais même pas sur le podium à la fin de la saison précédente. Une année de défaite, avec seulement quatre misérables victoires volées, malgré une voiture compétitrice. Ton binôme n’osait plus te reprocher tes déboires et tu continuais, inlassable, à blâmer l’écurie, convaincu de berner encore ton monde.

 La porte s’ouvre avant que tu n’ais pu, encore une fois, t’en prendre à tes techniciens volontaires. Terrence, le directeur de l’écurie, entre, la mine contrariée et fermée, doublée d’un sentiment que tu as déjà vu et qui n’augure rien de bon.

 — Jay, il faudrait qu’on discute. Vous pouvez nous laisser ? demande-t-il à l’équipe.

 Dehors, le soleil se couche, et tu n’entends même plus les mots incessants du directeur ; l’astre décline au même titre que la carrière de Jay Damon. Que ta carrière. Toi, le prodige de sa génération, le plus brillant de tous, le vainqueur invaincu pendant cinq saisons, quintuple champion du monde ; te voici à recevoir un ultimatum pour définir ton avenir au sein de ce sport.

 — Soit tu gagnes cette saison, soit on donne ton siège. Comprends bien, mon grand, que c’est pas contre toi. Mais si t’es pas foutu de gagner sans les thunes de papa, t’as plus rien à faire chez nous.

 L’affaire sombre éclabousse encore, un an plus tard. L’héritier de l’empire souillé a vu son paternel se faire embarquer pour fraude fiscale, pour du détournement de fonds. Et depuis, tu affrontes la chute, Jay, la descente aux enfers. Toi, l’imbattable, le promis, te faisais descendre en flèche par la presse. Peux-tu encore gagner sans l’argent de ton père ? Étais-tu là parce qu’on avait acheté ton siège ? Les défaites ont suivi les premiers gros titres que tu avais systématiquement jeté à la poubelle. Quatre podiums durement gagnés au cours d’une accalmie, puis des éliminations de plus en plus fréquentes.Tu serres le poing, rendu muet, Jay, mais tu ne baisses pas le regard devant le directeur. Ce dernier affiche finalement un sourire :

 — Mais, puisque je sais que tu as un talent fou, j’ai une petite surprise pour toi, glisse-t-il en reculant pour ouvrir la porte.

 La chevelure flamboyante est le premier truc qui attire ton regard ; puis sa taille, petite, plus que toi ; et enfin, son regard noisette, perçant et assuré, trop confiant à ton goût. Qui c’est cette meuf ?

 — Jay, voici Venus Marshall. Une jeune étoile montante qui roulait pour nous en Formule 2 il y a encore quelques années, avant de devenir ingénieure au sein de notre école. Meilleure que toi, assurément, dit Terrence en riant franchement tandis que la rouquine ne se laisse pas démonter.

 — On m’a beaucoup parlé de toi, Elijah.

 — Venus rejoint ton équipe en tant qu’ingénieure principale. Je suis convaincu que grâce à son talent, tu sauras mettre tous les atouts de ton côté pour remonter la pente. Elle n’a qu’une seule mission : te faire redevenir le champion du monde.

 T’es muet, et pourtant tu rêves de hurler. Hors de question qu’une gamine de F2 ne soit garante de tes victoires ! Mâchoire serrée, tu ne te détaches pas quand le directeur pose sa main sur ton épaule ; tu jurerais même entendre tes dents qui crissent entre elles. Tu donnes le change, mais t’es pas certain de pouvoir tenir bien longtemps, alors qu’une main se présente devant toi :

 — On va former une superbe équipe, je sens ! Tu peux m’appeler Vee, au fait.

 Sourire se dessine sur ses lippes quand les tiennes restent incroyablement closes. Tu serres sa main sans aucune conviction. Assurément, jamais tu n’avais détesté quelqu’un aussi vite.

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