Corruption
Je penchai ma tête en arrière en laissant échapper un long soupir.
Quelle journée de merde.
Rien n’allait bien. Je n’étais pas à ma place ici. Je n’avais rien à faire dans ce monde de magie, tout ce que je voulais c’était rentrer chez moi, me faire disputer par ma mère parce qu’il était tard, puis faire la même chose le lendemain, me retrouver à nouveau dans des bras inconnus, me laisser tâcher de ces doigts sales et de leurs caresses bien trop insistantes. Je voulais oublier tout ça, mais je ne pouvais pas. J’avais beau le vouloir, le rêve ne se finissait pas.
Ma mère était morte. Auguste me l’avait expliqué au moins quatre fois avant que mon esprit ne commence à y croire.
Une illusion hein ? La spécialité magique de sa race. Tout ce temps, dix-huit ans, à vivre avec l’illusion de ma défunte mère. C’était ridicule.
Dans un sens, cela expliquait pourquoi elle n’avait jamais été très câline. La dernière fois où elle m’avait prise dans ses bras devait remonter à ma petite enfance, et encore.
Comment faire maintenant ? Si le rêve se poursuivait ? Je devais vivre ainsi, sans elle. C’était facile à dire.
— Et voilà une belle fille qui pleure, fit la voix d’Aubin.
Je levai des yeux sévères vers ma droite. Il était debout, les mains dans les poches, juste à côté du banc sur lequel j’étais allé prendre l’air.
— Commence pas toi, dis-je.
Il sourit simplement en venant s’assoir à côté de moi. J’en profitai immédiatement, posant ma tête sur son épaule.
— J’ai pas besoin de commentaire, continuai-je.
— Tu as besoin de quoi ? murmura-t-il.
— Tais-toi.
Le silence s’installa, rythmé par les gouttelettes d’eau de la fontaine face à nous.
Ma mère, ça avait tout de même été elle, une illusion d’elle, mais elle quand même. Elle m’avait élevée, ça n’avait pas pu être une simple image durant toutes ces années. Les noëls, les anniversaires, toutes les fêtes et toutes les vacances que j’avais passé avec elle avaient été si doux. Ma vie avait été si loin de la magie tout en étant imprégnée d’elle en permanence sans que je ne m’en rende compte. Même si elle n’avait pas été réelle, elle resterait ma mère, pour moi.
Je me redressai rapidement. Aubin et les jardins avaient disparus, j’étais à présent dans une chambre, j’avais dû m’assoupir.
Les couleurs beiges et chocolats des murs se mariaient parfaitement avec le mobilier de bois clair. Tout était parfait, une fois de plus, dans cette maison de riche. En descendant du lit, je souris alors que mes pieds nus touchèrent le sol chauffant. C’était vraiment agréable, et c’était la première fois que je marchais sur un parquet pareil.
Deux portes différentes se dessinaient, je choisis celle aux pieds du lit double.
Un salon, presque identique à celui que j’avais brûlé. A ma gauche, à côté de la porte d’entrée, une lourde cheminée accompagnée de deux canapés de cuir bruns. A droite, parmi les hautes fenêtres couvertes de rideaux, une ouverture menait à un balcon.
Je me figeai dans un sourire en sortant dehors, l’air frai me fit du bien.
J’avais beaucoup dormi, pourquoi ? Peut-être l’utilisation de la magie m’avait-elle épuisée sans que je ne m’en rende compte. Il faisait encore sombre mais le soleil commençait à se montrer, ma première nuit dans ce nouveau monde, loin de ma mère et de notre ancien appartement.
— Comment tu te sens ? fit la voix de Quentin dans mon dos.
J’essuyai rapidement la larme qui venait de couler et me redressai tout en restant appuyée sur le balcon.
— Bien, mentis-je.
Il vient à côté de moi et regarda lui aussi dans le vide.
— Notre mère savait que le changement serait difficile, mais si elle l’a fait de cette façon c’est que c’était nécessaire, dit-il.
— Ça aurait été plus simple qu’elle me le dise elle-même.
— Non, tu te souviens, tu as eu des visions ?
— Oui, et ?
— Et elle était devin, elle pouvait en avoir quand elle le voulait elle, donc elle savait exactement quelle était la meilleure solution pour t’avouer la vérité.
Je me tournai vers lui pour le regarder.
— Comment ça marche ? demandai-je.
Il sourit et tendit sa main vers le salon. On rentra donc pour s’installer sur les canapés.
— C’est l’une des magies les plus complexes mais les plus simples en même temps, avoua Quentin.
Je remontai mes pieds sur le cuir, m’allongeant à moitié sur le bras du sofa pour l’écouter.
— Tout le monde peut avoir des visions, il est même arrivé que certain humain sans magie en ait, beaucoup plus floue et donc moins précises, mais ça peut arriver.
— Mais donc, ce sont des visions du future ?
— Pas toujours, tout dépend de la couleur.
La couleur, quelles avaient été les couleurs des miennes ?
La vision du jeune garçon, de la course, des images rouges globalement.
Celle de cet homme, de cette scène intense et sensuelle que j’aurais adoré réaliser en vraie, la lumière du couloir avait été jaune, dorée.
— Fait attention avec celle-là, fit Quentin.
Je fronçai les sourcils en me redressant.
— Pourquoi ? demandai-je.
— Les jaunes sont le futur, un futur possible mais qui ne se réalisera pas forcément.
— Donc ce garçon ne va pas forcément me baiser ?
Il eut un sourire amusé mais se pencha en avant, s’appuyant sur ses genoux pour me fixer ensuite.
— Ce que tu as ressentis dans cette vision, c’était pas une attirance normale on est d’accord ? dit-il.
— Avec un ou deux verres d’alcool ça peut se faire.
— Non d’après ce que je lis dans ta tête c’était un peu plus intense que ça.
Je croisai mes bras et fronçai mes sourcils pour le fixer.
— Arrêtez de lire dans ma tête, ordonnai-je.
— C’est à toi de nous en empêcher.
— Apprends-moi comment alors.
— Plus tard.
Il se redressa dans un sourire, écartant ses bras sur le dossier du canapé.
— Plus important maintenant, ce garçon, tu dois éviter de trop te laisser aller avec lui.
— De quoi tu parles ?
— Il y a une légende, une malédiction ou un mythe, appelle ça comme tu veux, qui dit que dans notre famille, l’un des deux jumeaux finira toujours corrompu.
Mon esprit tourna plusieurs fois sa phrase avant de comprendre. Je me raidis.
— Attend, j’ai une jumelle ? fis-je.
— Oui.
— Pourquoi vous ne me l’avez pas dit ?
— Ça fait déjà beaucoup d’information, on attendait un peu.
Je me levai pour le toiser.
— Et y’a quoi d’autre que vous me cachez encore ?!
— Calme-toi Clara, je suis en train de…
— Non je ne me calme pas ! Je découvre que la magie existe ! Que ma mère est morte ! Que j’ai un grand frère et maintenant une jumelle ? Elle est où elle ?!
Mes poings se serrèrent alors que je tentai de retenir mon cœur d’exploser.
Comment pouvait-il dire ça aussi calmement ? C’était ma vie ! Une nouvelle vie que je n’avais pas demandé et il me livrait les informations au compte-goutte.
— Je veux tout savoir, maintenant, ordonnai-je.
Il eut un soupir au moment où la porte du salon s’ouvrit. Mes muscles se détendirent d’eux-mêmes lorsqu’Aubin passa le seuil.
— T’as du mal à gérer ta petite sœur on dirait ? fit-il.
— Toi, dis-moi tout ce que tu sais sur ma jumelle, demandai-je.
Il referma une fois complètement entrer et se mit à rire en marchant vers moi.
— Parce que tu as une sœur maintenant ?
— Tu vas me dire que tu n’es au courant de rien ? demandai-je.
— Hey petite, je suis juste un gars avec des gros bras que ton père paye pour protéger des gens.
Il partit s’assoir à côté de Quentin, mais mon frère prit un air contrarié en le regardant.
— Ne me jette pas tout sur le dos toi, tu sais très bien de quoi elle parle, fit-il.
Aubin leva une main à son menton en regardant en l’air.
— Une sœur… une sœur, ah oui ! Peut-être que je suis au courant en fait ! La jumelle corrompue qui va chercher à détruire les mondes, c’est ça ? dit-il.
— Elle n’est pas encore corrompue, répondit Quentin.
— Bah, la légende est claire pourtant, l’un des deux jumeaux sera corrompu et les deux se battront jusqu’à la mort de l’autre.
Génial, que de bonnes nouvelles. J’étais censé me battre avec cette sœur jusqu’à sa mort ? Pourquoi ?
— Si elle n’est pas corrompue on peut encore aller la chercher et l’empêcher non ? fis-je en me rasseyant.
— Ça ne marche pas comme ça, répondit Quentin.
— Et quand compte tu m’expliquer ?
— Quand tu arrêteras de péter un câble pour rien.
Je serrai mes poings mais restai muette, autant ne pas lui donner raison.
Mon frère eut un léger sourire, il se redressa en me fixant.
— Cette magie de corruption, elle peut arriver n’importe quand, n’importe où, même si on la récupère et qu’on reste ensemble, elle pourrait vous atteindre.
Nous atteindre ?
— Vous ne savez pas encore laquelle de nous deux sera corrompue c’est ça ? demandai-je.
Ça pouvait très bien être moi, celle qui allait vouloir détruire le monde.
— Bon ! s’exclama Quentin en se levant. C’est pas tout ça mais on doit passer chez elle récupérer des affaires.
Aubin croisa ses bras et prit un léger sourire.
— Auguste m’a demandé de la protéger tant qu’elle ne savait pas utiliser sa magie, fit-il.
— Ça va elle sera avec moi, on rentrera vite.
Peut-être, ou peut-être pas. Je me levai sans un mot pour suivre Quentin vers la porte. Alors que je passai le seuil, la voix d’Aubin résonna dans mon dos.
— Pas de bêtises.
Je ne pus m’empêcher de sourire. Bien sûr, comme si j’allais me retenir.
Une fois assise derrière le volant de ma voiture je tournai la tête vers mon frère.
— Au fait il est où le livre ? demandai-je.
— Disparu.
Il leva ses pieds sur le tableau de bord et s’allongea un peu dans son siège.
Je démarrai le moteur tout en continuant la conversation.
— Comment ça disparu ?
— C’est un livre du temps, il fait ce qu’il veut, me répondit-il.
— Explique-moi c’est quoi.
— Un livre empreint de magie de divination, il devait appartenir à notre mère à la base, il a une volonté propre et est capable de se téléporter.
— Donc ce n’était pas vraiment ma mère qui écrivait dedans.
— Non.
Il se rassit normalement alors qu’on arrivait sur l’autoroute.
— T’as ton permis ? demanda-t-il.
— C’est que maintenant que tu te préoccupe de ça ? m’amusai-je.
— Accélère plus quand tu rentres.
Le silence reprit l’habitacle et dura près de vingt minutes. Je fini par me décider à engager une conversation.
— Tu ne m’as pas vraiment expliqué pourquoi je devais me méfier de ce garçon dans ma vision, fis-je.
— Je ne t’ai pas dit de te méfier mais d’aller doucement.
— Pourquoi ?
— On ne tient pas à avoir un autre jumeau maléfique à gérer.
Je ne pu m’empêcher un rire fort. Non sérieusement ? C’était juste pour ça ?
— Je sais me gérer ça va, je tomberai pas enceinte, annonçai-je.
— Sache qu’Auguste a tout fait pour ne pas avoir d’enfant et rompre la malédiction.
Je me raidis. Tout ? Jusqu’à quel point ? Et qu’est-ce qui s’était mal passé ? Ne pas avoir d’enfant était simple. L’abstinence pure et dure était une option, mais très peu envisageable pour la plupart des gens, même si certains la tenaient, il suffisait de tomber amoureux pour que ça devienne difficile. Les moyens de contraception étaient déjà bien plus efficaces. D’accord une capote qui craque ce n’était pas prévisible, ça pouvait toujours arriver, la pilule pour les femmes, il suffisait d’un oubli pour avoir un petit risque d’enfanter, le stérilet était déjà mieux, c’était ce que moi j’avais.
— Peu importe, les moyens de contraception humain ne fonctionnent pas sur ça, fit Quentin.
— Donc je pourrais tomber enceinte là ? Même en prenant miles précautions ?
— Oui.
Mes mains se crispèrent sur le volant.
— Il est hors de question que je me prive, c’est juste avec un garçon en particulier non ?
— En effet, un garçon dont tu tomberas amoureuse très vite, vous aurez du mal à vous retenir tous les deux.
— Je suis pas amoureuse pour l’instant.
— Parfait.
Être mère, c’était hors de question.
— Et sinon, pourquoi Aubin n’a pas été touché quand j’ai arrêté le temps ? demandai-je après quelques minutes.
— Parce que t’es nulle, répondit Quentin.
Mes mains se crispèrent sur le volant.
— Tu peux parler, je t’ai battu je te signal.
— A c’était un duel ? J’avais pas compris ça moi.
Donc il n’y était pas allé sérieusement ? Il aurait pu arrêter mon feu ?
— Mais pour répondre à ta question, continua mon frère, les wenun sont les plus doué pour la magie temporelle, tu n’as clairement pas le niveau pour rivaliser avec lui.
— Je pensais qu’il était humain.
— Non, il n’a pas du tout de sang humain.
— Mais donc toutes les races se ressemblent physiquement ?
— T’as regardé ses bras ?
— Quoi ? Il est musclé et alors ?
— C’est un peu plus que musclé, tu lui demanderas de te les montrer la prochaine fois.
Je fronçai les sourcils mais ne répondis pas. Ça me ferais une excuse pour le mater ouvertement.
— Vu ton caractère je ne pense pas que vous allez vous entendre, commenta Quentin.
— Et qu’est-ce que tu sais de mon caractère au juste ?
— Tu es impulsive, impatiente, impertinente et trop sûre de toi.
Il n’avait pas vraiment tort, même si ce n’était que des défauts.
— Je n’ai pas encore eu l’occasion de voir de qualité.
— C’est dommage ça, tu as dit qu’on se ressemblait.
Il eut un rire fort.
On quitta l’autoroute à ce moment.
Finalement il n’était pas si méchant que ça. Je savais très bien qu’il lisait mes pensées en ce moment-même, mais tant pis.
— Merci sœurette, fit Quentin en me lançant un large sourire.
— Commence pas avec les surnoms affectueux, on n’est pas assez proche pour ça, répliquai-je.
— Mais moi j’aimerais apprendre à te connaître justement, surtout que je serais ton professeur de magie.
— Il faut du temps pour se connaître.
— On en aura.
Je ralentis alors que l’on arrivait dans ma rue, ou bientôt mon ancienne rue.
Quentin descendit dès qu’on fut stationné alors que je préférai rester un instant immobile.
C’était la dernière fois que j’allais me garer ici.
Trois coups dans ma vitre me firent soupirer, mais je parlai en première dès qu’elle fut baissée.
— Je sais, c’est nul d’être déjà nostalgique, mais j’ai passé dix-huit ans ici alors j’ai bien le droit d’être un peu triste.
Quentin s’appuya sur le haut de la fenêtre pour se pencher vers moi.
— Tu veux qu’on reste dormir ? fit-il.
C’était gentil de sa part de proposer, oui je le voulais. Il ouvrit donc ma portière dans un sourire.
— Aller sort, on va faire les valises et ensuite on se pose jusqu’à demain.
Je le suivis sans un mot après avoir refermé la voiture.
Rien n’avait bougé dans l’appartement. La porte de la chambre de ma mère sur notre gauche dès l’entrée, le meuble à chaussure plein à droite, les manteaux qui nous cachaient le couloir, le passage toujours ouvert sur la gauche vers le salon-salle à manger et cette petite porte dans le fond, cachée derrière un miroir et cachant un bordel monstre.
Après s’être débarrassés des manteaux et chaussures, je suivis Quentin vers ma chambre. Il s’arrêta au milieu de la pièce en levant ses poings à ses hanches.
— Ah les murs roses, les meubles blancs et tout un bordel d’objets de fillette, fit-il.
Je m’avançai vers mon armoire sur la gauche.
— Ça te pose un problème ? dis-je.
— Je te pensais plus mature.
— Je suis mature.
Je sortis à ce moment l’une de mes robes favorites pour la lui montrer.
— Tu crois qu’une gamine s’habillerait ainsi ?
Son visage durci et il croisa ses bras.
— Non, mais il est aussi hors de question que ma sœur porte ce genre de chose.
J’eus un large sourire alors que, d’une main aveugle, je piochai une autre robe dans l’armoire.
— C’est dommage, toute ma garde rode est faite de ça, lançai-je.
Il s’avança rapidement pour refermer la porte près de moi.
— Dans ce cas on sort, maintenant, pour aller t’acheter des fringues convenables.
Je laissai les robes sur le lit et croisai mes bras face à lui.
— Ce n’est pas à toi de choisir comment je m’habille.
— Tu n’as pas intérêt à mettre ces robes devant notre père, je te préviens.
— Je vais pas me gêner.
On se défia un instant du regard. S’il croyait pouvoir m’imposer ses règles de cette façon, il se trompait lourdement, et puisqu’il lisait encore mes pensées, il allait vite le comprendre.
Il lâcha prise après plusieurs minutes, soupirant en décroisant ses bras.
— Tu dois comprendre que te comporter comme ça ne va pas nous aider à te protéger, dit-il.
— Quoi ? Je vais me faire attaquer par les azurios corrompus parce que ma robe est trop courte ?
— Non, mais les hommes te voudront et on devra aussi te protéger d’eux.
— Je n’ai pas besoin que tu me défendes pour ça.
— Quelle est la différence entre un homme qui veut te baiser et un azurio corrompu qui veut te corrompre ?
Je fronçai les sourcils mais ne répondit pas, je ne savais pas, évidemment, puisque je venais à peine d’entrer dans ce monde.
— Il n’y a aucune différence, fini par dire Quentin, ils t’approcheront de la même manière.
— Vraiment ? C’est étrange.
— Pas tant que ça, ils voudront que tu les suives, que tu reste avec eux.
Ça avait une certaine logique oui, mais c’était exagéré.
Je me penchai vers mon lit pour tirer une valise cachée en-dessous et la poser sur les draps.
— Peu importe, commençai-je, je les emmène.
— Clara, voulu s’imposer Quentin, mais je me tournai rapidement face à lui.
— Non, si je les porte c’est que je veux me faire baiser et t’auras pas ton mot à dire.
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