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Mon café ingurgité, je retournai aux pieds des pilotis puis sortis d’un coffre une pelle et un râteau. Je pris la direction du pin courbé, repère vivant du passage à emprunter pour rejoindre la route. Je creusai le sable à gauche du tronc, à cinq mètres de sa base. Quelques pelletées suffirent pour qu’apparaisse le haut d’une malle en bois. Cette crapule de Batbedat ne l’avait pas trouvée, j’en fus soulagée. Couvercle dégagé, je l’ouvris. Une cloison séparait le butin volé par mon père et celui de Marc. Deux sacs de tissus noir imperméable comblaient le petit coffre. Je défis le cordon du moins volumineux, puis étalai son contenu sur le fond de la caisse. Colliers, montres, bagues, bracelets apparurent. Je ne me rappelai pas qu’il y en eut autant. Le méfait avait rapporté gros ! Après la mort de mon père, la vente d’une partie des bijoux m’avait permis de vivre, aujourd’hui, j’avais besoin d’argent. Le peu de liquidité que j’avais avec moi se tarissait. Un acheteur ambulant venait à Saint-Julien, j’y passerai avant de rejoindre la galerie afin d’écouler un peu d’or. Je saisis deux chevalières, puis ressentis un pincement au cœur.
Avec Marc, le jour suivant, nous partions de bonne heure au réapprovisionnement. Janet manquait de tout et le groupe de touristes ne se nourrirait pas que de paysages. J’avais grimpé dans un vieux pick-up cabossé au tableau de bord déformé et aux assises éventrées. Il m’avait dit que cette rogne appartenait à Ryan et Janet, et que, depuis qu’il les connaissait, jamais ses amis n’en avaient changé. Je déduisais que l’antiquité avait plus de trente ans. La piste qui descendait à Stewart Crossing traversait d’un bout à l’autre la forêt et s’étalait sur vingt-quatre kilomètres. Son apparent bon état cachait par endroit de profondes ornières que nous devions éviter, le trajet avait duré plus d’une heure. Marc avait garé l’engin devant un magasin, puis m’avait aidée à sortir. J’avais le dos en compote ! Il avait embrassé une dénommée Myriam, lui avait demandé si la commande était prête, puis m’avait présentée. La vendeuse avait contourné son comptoir et m’avait serrée dans ses bras.
« Ne me dites pas que vous avez attendu ce vaurien de chercheur d’or pendant tout ce temps avant qu’il ne daigne venir vous chercher ! » s’était-elle exclamée avec un accent insaisissable.
Marc avait traduit, je rétorquais.
« Non, je lui avais dit de ne revenir que lorsqu’il aurait fait fortune. »
Myriam avait pouffé.
Nous avions ensuite stoppé devant le poste de police. Là, il échangeait quelques mots avec les agents, puis m’attirait dans le bureau du chef. Il avait expliqué qui j’étais et le vol de mes papiers lors de notre dernière escale. Le responsable avait affiché une moue. Il avait dit, après réflexion, qu’il allait se renseigner sur les démarches à suivre pour de nouveaux documents, mais que, de toute façon, les formalités prendraient du temps.
Plus loin, nous traversions la Stewart River, puis il avait engagé le pick-up sur droite. Je demandais où nous allions, il me répondit « là où j’ai vécu pendant presque trente ans. »
Le panneau Elk Mine marquait la fin d’une piste défoncée et le début d’une clairière. De grands pins aux branches charnues l’encerclaient, de l’herbe haute tapissait le sol. Au fond, contre la paroi rocheuse, je devinai la mine et des machines, plus bas, sur la gauche, une maison. Une cheminée sortait du toit, mais pas de fumée. Personne n’avait racheté la concession laissée vacante, sa réputation de mauvais rendement la précédait. Nous avions fini à pied, j’avais remarqué une certaine lenteur dans ses pas. Mes doigts s’étaient accrochés aux siens.
Nous avions pénétré dans la cabane, la grandeur de l’unique pièce m’avait surprise, mais aussi son agencement. Tout ici se trouvait à sa place, le fourneau, le poêle, le garde-manger, la table, le lit, et conférait un aspect cosy. Marc avait ajouté une salle de bain dans la continuité de la cuisinière, un ingénieux système de conduite apportait l’eau chaude jusqu’à un lavabo et une douche. Il ne manquait de rien, j’avais compris son attachement à ses murs de bois. Nous nous étions assis.
« Tu sais, je ne suis pas venu depuis un moment, je me sens bizarre. J’ai passé tellement de temps dans cette bicoque et cette mine que j’ai l’impression de n’avoir connu que ça. En soi, ce n’est pas faux ! Mais j’ai été heureux ici au milieu de nulle part. J’ai trimé comme un dingue dans ce trou à fleur de montagne pour ne sortir que quelques pépites, mais, à bien y réfléchir, avais-je besoin de plus ? Maintenant, en te regardant, je dirais oui, et tu devineras que ce n’est pas d’argent dont je parle. »
Ces dernières phrases résonnèrent dans ma mémoire. Marc avait vécu avec le minimum et cela lui suffisait. Je me souvins de sa colère lorsque je lui avais parlé du hold-up et du butin qui lui revenait de droit. Il n’en voulait pas de cet héritage de lâche, moi, je piochai dedans. Solution de facilité, comme si ce temps passé avec lui ne m’avait servi à rien. Je me dégoûtai. De rage, je fermai le sac et la caisse, puis l’enfouis à tout jamais.
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