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À Saint-Julien, je pris la direction de Contis, puis insérai, à coups de Klaxon, ma vieille guimbarde au milieu du flux continu de véhicules. Lente procession de vacanciers, j’imaginai le cortège s’étirer jusqu’aux plages océanes. J’enrageai. Août battait son plein, les estivants, soumis au soleil de plomb, roulaient au pas, le temps leur appartenait. Moi, j’étais en retard, et à cette vitesse, la distance ne se comptait pas en mètres, mais en longues minutes pour les parcourir. Nathalie m’attendait. Elle avait convié le maire et d’autres personnalités de la ville au vernissage de mon exposition, sans doute devait-elle bouillir. La boite vocale de mon portable gémissait sans arrêt, maudite machine. Je savais ses messages du même acabit que celui qu’elle m’avait envoyé la veille, peu avant minuit.

« Caroline, je te connais, sois à l’heure demain, sinon je t’étripe. »

Je ne l’avais lu qu’en rejoignant l’endroit où je cachais ma voiture, derrière une butte couverte de fougères, non loin de la route. Là-bas, dans ma cabane isolée au pied de la dune, mon téléphone ne captait aucun réseau. Je ne m’en portais pas plus mal, au contraire.


Nous étions devenues amies très vite. C’était à la fin de l’hiver, trois mois après mon retour du Canada. Je peignais au bord de l’étang de Sanguinet, elle s’était approchée, avait trouvé mon travail lumineux. De fil en aiguille, elle m’avait dit être à la recherche de nouveaux talents afin de les exposer dans sa galerie de Contis. J’avais refusé, arguant d’un flagrant manque de maîtrise. Après tout, je n’avais pas donné de coups de pinceau depuis longtemps. Son rire avait résonné, elle m’avait tendu sa carte de visite en m’invitant à venir dans son atelier le lendemain. Je m’y étais rendue, plus par curiosité que par envie, je n’en étais partie que tard le soir, convaincue par son enthousiasme. Je peux dire que, grâce à elle, j’ai repris un peu goût à cette vie que j’avais ensevelie sous les neiges du Yukon.


Ce fut une furie qui, à la manière qu’ont ces acteurs d’amplifier leurs gestes, s’avança à ma rencontre lorsque je passai le seuil de la galerie. Tous les yeux se braquèrent sur nous. Je fis deux pas en arrière. Mais Nathalie, emportée par son élan, me rattrapa et me tira à l’intérieur.

— Chers tous, s’écria-t-elle, voici enfin Caroline, celle que nous attendions avec impatience !

Une salve d’applaudissements suivit sa phrase, elle se détacha, me laissant seule au milieu de mes admirateurs. Émue, je ne sus que dire et baissai la tête, j’estimai ne pas mériter un tel engouement. Les claquements cessèrent, je profitai de l’occasion pour me rapprocher de la table où se trouvaient des flûtes remplies de Champagne et en saisir une. Les bulles aidant, ma langue se délia, je souris davantage, puis fis le tour des visiteurs. Chacun y alla de ses éloges, tous me questionnèrent sur ma technique, sur les teintes employées, leurs mélanges, le choix des sites croqués. Je répondis, volubile comme jamais, décrivant la dimension des pinceaux, la forme de la spatule couteau me servant à appliquer la peinture, la posture de ma main face aux toiles. Je n’esquivai aucun sujet. Nathalie, aux anges, vint à plusieurs reprises me serrer dans ses bras et déposer des bises sur mes joues. Elle accrocha « Vendu » sur plusieurs tableaux. Cette première soirée se déroulait à merveille. Soumise que je fus aux vagues de paroles et de rires, mes émotions affleurèrent. Tout, je ressentis tout. Le sable sous mes pieds, l’air de l’océan, le ressac de l’eau salée. J’entendis le cri des mouettes. Je me noyai dans l’écume de la réussite avant que la porte de la galerie s’ouvre. Là, à contre-jour, je crus reconnaître ta silhouette. Marc ! Non, impossible, mes yeux se trompaient. Mon être se brisa, je chancelai. Alors que je cherchai un appui afin de me retenir, une baïne de souffrance m’emporta au large.

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