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Je m’enfuis de la galerie et, insensible aux mots que Nathalie me criait, me réfugiai dans ma voiture. Un spasme me tordit le ventre, ma vision devint floue. Tremblante, j’eus du mal à engager la clé dans le Neiman et fus incapable de lancer le moteur. J’appuyai mon front contre le volant, mes mains serrèrent mes cuisses, des larmes coulèrent sur mes joues. Parfois, un rien suffisait, mon angoisse surgissait de nulle part, en un claquement de doigts, je passai de l’euphorie à une profonde détresse. Là, seule une ombre semblable à ton image était responsable. Jamais je n’aurais dû venir ! Jamais je n’aurais dû partir !
Nathalie tambourina contre la carrosserie, ses paroles, étouffées, produire l’effet de me secouer. J’essuyai mes yeux puis me redressai afin de reprendre un brin de contenance. Je ne voulais pas qu’elle me voie dans cet état et m’assaille de questions auxquelles je n’aurais pu répondre. Mon amie ne connaissait rien de mon ancienne vie, c’était mieux ainsi. J’abaissai la vitre, puis la rassurai.
— Excuse-moi, j’ai eu un coup de cafard. Tout ce monde et cette liesse, je n’y suis pas habituée et ne le mérite pas.
— Ah, ce n’est que ça ! J’ai cru que tu avais vu un fantôme quand ce type est entré. Tu es toute chamboulée.
Sans le savoir, elle visait juste, quelque chose d’indéfinissable dans mon comportement le lui confirma.
— Ta grimace me fait penser que j’ai raison ! Bon, ce n’est pas le moment des confidences et je ne souhaite pas qu’on dise que je ne prends pas soin de ma peintre préférée. File, je dirai à l’assemblée que tu avais oubliée un rencard. Demain, tu viens en début d’après-midi, on accrochera d’autres toiles. Tu sais que tu fais un carton ?
Tant bien que mal, je souris.
— Voilà quand tu veux ! Je prends ça pour un merci. À demain.
Je ne pris pas la direction de ma cabane de bois blanc. Je n’avais pas envie de m’effondrer une fois de plus sur le lit et pleurer tout mon saoul. J’allais mieux depuis plusieurs semaines, enfin, je le croyais. Je roulai sans but précis, traversai Parentis, puis filai sur Sanguinet. Pourquoi là ? Je ne sus, ou plutôt, je sus, mais ne voulus pas me l’avouer. Je garai ma bagnole au bout du chemin de Sabas, puis empruntai un sentier forestier.
Le soleil déclinant, je croisai des gens qui rentraient de la plage, tous avaient le sourire de ceux qui connaissent cet endroit abrité et peu connu. Je n’y étais pas retournée depuis longtemps, avait-il changé ? J’espérai que non, la magie dégagée par le lieu guérissait mieux qu’une consultation chez un spécialiste. J’hésitai à franchir la dernière rampe, derrière l’ultime haie de genêts attendaient les eaux calmes et limpides du lac. Mais aussi le point de départ d’une aventure qui allait faire de moi la femme la plus heureuse qui soit : une maisonnette de pêcheur perchée au-dessus des flots.
La bicoque n’avait pas bougé, j’en distinguai la façade noire, placide, alors que la nuit envahissait le ciel. Je n’avançai pas jusqu’à l’abri et m’assis à même le sable, face à l’étang, face à moi.
Un coup de feu ! Une vitre volait en éclats. Marc m’avait prise par la main, nous avions dévalé les escaliers, et nous nous étions enfuis dans la forêt. Les sbires de Claude Batbedat, sur nos semelles, tiraient en l’air en nous ordonnant de stopper. Mais nous courions plus vite qu’eux. Après une folle cavalcade parsemée de chutes, nous étions arrivés à la voiture déglinguée de Marc. Dans la seconde, à son bord, nous avions disparu.
Égarée dans le contrecoup de notre fuite, je n’écoutais pas les explications de Marc. Mon cerveau traçait des lignes imaginaires entre ma maison et le néant. Certaines s’alignaient aux balles qui avaient sifflé, d’autres se perdaient dans un avenir sans teint. Ce déluge d’action s’était déroulé en quelques minutes, sans réfléchir, j’avais suivi ce drôle de type surgi d’un passé commun, mais maintenant qu’allait-il se produire ?
La main de Marc sur mon bras m’avait tirée de ma léthargie. Il retournait au Canada, et me demandait de venir avec lui. L’émotion et la timidité coulaient dans ses mots, il m’avouait des sentiments que mon cœur partageait, mais que mon esprit repoussait encore. Je n’étais pas prête à m’envoler avec lui, mes mensonges avaient mis à mal le début de notre relation. Il s’en foutait. Pour me convaincre davantage, il m’avait raconté les dernières années de son épopée de chercheur d’or et de l’entreprise qu’il avait, avec ses amis, montée sur les rives sur l’Ethel Lake. Le travail ne manquait pas.
Nous avions décidé de nous cacher pour la nuit et, sur mes indications, avions rejoint une cabane de pêcheurs. Là, il avait éclaté de rire, le lieu lui rappelait son dénuement canadien. Il m’avait alors parlé de sa vie, de ses activités, de la nature qui l’entourait, de ses camarades, de la solitude qu’il avait souhaitée, mais qui aujourd’hui lui pesait.
Au bout des ténèbres, je prononçais les mots qui allaient changer mon existence.
« Marc, je vais venir avec vous. »
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