Chapitre 3

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Je suis enfin de retour dans la première moitié du jardin. La marche a été longue. Le gamin, bien qu'il soit petit, commence à peser lourd sur mes épaules. Mes bras, déjà fatigués par l'effort, sont sur le point de lâcher. Chaque pas devient un défi, mais je m'efforce de maintenir le rythme.

« E– Excusez-moi mais... pourquoi faites-vous cela ? » murmure soudainement le petit, sa voix à peine audible.

« Quoi ? »

« Pourquoi me portez-vous, vous semblez épuisée pourtant... » poursuit-il, son ton empreint d'une sincère inquiétude.

Je respire profondément avant de répondre, essayant de ne pas laisser transparaître mon épuisement : « Eh bien, parce que tu es blessé, voyons. »

En effet, après le départ précipité de l'homme, j'ai remarqué que la cheville du garçon était rouge et légèrement enflée. Il avait tenté de cacher sa douleur, refusant mon aide au début. Mais voyant qu'il peinait de plus en plus à marcher, j'ai insisté pour le porter sur mon dos. Il avait fini par accepter, bien que ce soit plus par résignation que par véritable accord. De toute façon, je ne lui avais pas vraiment laissé le choix. Il était hors de question que je le laisse seul et blessé.

« Je ne dois pas être très léger, désolé... » murmure-t-il encore.

« Ça va faire la septième fois que tu t'excuses, » dis-je en esquissant un sourire. « Je te promets que ça ne me dérange pas. »

Un silence s'installe entre nous, rempli seulement par le bruissement des feuilles sous nos pas et le chant lointain des oiseaux. Je lève les yeux et aperçois enfin la table en bois.

« Je m'appelle Hanaroshi Kibara, » dis-je alors pour briser le silence, espérant détourner son esprit de sa douleur et de la gêne qu'il ressent. « Et toi ? »

Il hésite un instant, semblant peser chaque mot avant de répondre dans un souffle presque timide : « Je m'appelle Kojiromi Kaito. »

Kojiromi ?

« Tu... es le fils du daimyo ? »

Ma voix trahit ma surprise tandis que je prononce ces mots, mes yeux s'écarquillant légèrement.

« Oui. Tu connais mon père ? » répond-il calmement, sans un brin de vantardise.

Je m'arrête devant la table en bois et, avec précaution, je me tourne pour permettre à Kaito de s'asseoir dessus. Son poids quitte enfin mes épaules, et je ressens un soulagement immédiat, bien que mes bras continuent de trembler légèrement.

« Oui, c'est un ami de mon père, » répondis-je en déposant les fleurs que j'avais cueillies le long du chemin, juste à côté de lui sur la table.

Kaito observe les fleurs avec curiosité. « Pourquoi as-tu cueilli ces fleurs ? »

Je lève les yeux pour balayer la table du regard, cherchant ce dont j'ai besoin, puis j'attrape un bol en céramique.

« Je vais te faire du lait d'or, » dis-je en commençant à rassembler les ingrédients dans mon esprit.

« Du lait d’or ? » répète-t-il, intrigué, ses yeux s'illuminant un peu.

« C'est une boisson à base de curcuma, de lait et de miel, » expliquai-je avec un sourire. « Ça atténuera la douleur à ta cheville. »

Kaito incline légèrement la tête, ses yeux scrutant le travail que je fais avec une curiosité sincère. « Tu es médecin ? » me demande-t-il.

« Non, je suis herboriste, » réponds-je en souriant. « Comme le médecin, je me dévoue au bien-être et à la santé des malades et blessés, mais je me base sur les remèdes végétaux et naturels. »

Il m'écoute attentivement, ses grands yeux noirs, semblables à ceux de l'homme, mais pourtant empreints d'une douceur et d'une chaleur réconfortantes.

Je me tourne vers le hibachi installé au coin de la table et l'allume. Le feu doux commence à réchauffer l'espace petit à petit, et je vois Kaito observer chacun de mes mouvements. Son regard commence à dissiper les tourments que ma mésaventure précédente m'a laissés.

Je rassemble les ingrédients nécessaires : du miel, du lait, du poivre noir et de la cannelle, tous soigneusement conservés dans les petites cabanes. Le lait commence à bouillir doucement au-dessus du feu. Pendant ce temps, je prends les rhizomes de curcuma que je m'apprête à piler dans un mortier.

L'arôme puissant et épicé emplit l'air. Cela faisait tellement de temps que je n'avais pas préparé de lait doré. Je lève les yeux vers Kaito, qui regarde mes mains avec une admiration timide. Il est vraiment adorable, malgré que sa peau pâle et ses mèches noires me rappellent fâcheusement l'autre idiot.

« Tu veux essayer ? » lui demandai-je en m'arrêtant.

Kaito se met soudainement à paniquer, comme tiré de sa contemplation. « Euh– oui... si ça ne vous dérange pas... »

Un sourire s'échappe de mes lèvres alors que je lui tends le mortier et le pilier. Il les prend et commence immédiatement à écraser les rhizomes avec concentration.

« Et donc, cet homme aux cheveux noirs... Je t'ai entendu l'appeler grand frère ? »

Il lève les yeux vers moi puis les rabaisse rapidement. « Il s'appelle Ryoma, et oui, c'est mon grand frère. »

Je me tourne vers le hibachi et éteins le feu, le lait cessant aussitôt de bouillir. Je suis consciente que parler de cet homme pourrait être délicat, mais Kaito ne semble pas vraiment montrer de signe d'irritation ou de rancœur.

Comment fait-il ? À sa place, j'aurais déjà ressenti une colère noire envers cette personne. Comment pouvait-il traiter son petit frère ainsi ?

« Pourquoi était-il si violent avec toi ? » demandai-je finalement, espérant ne pas le mettre mal à l'aise.

Kaito, toujours concentré sur le pilage des épices, garde son regard fixé sur le mortier. « Nous nous entraînions, c'est tout. »

Je reste perplexe face à sa réponse, mais j'insiste encore : « P’tit Kai, si je ne m'étais pas interposé, il t'aurait forcé à te relever malgré ta douleur. »

Kaito ralentit soudainement son mouvement circulaire, ses yeux tombant sur sa cheville rougie. Il reste silencieux, évitant désormais mon regard, une gêne palpable s'installant entre nous.

Super... c'est exactement ce que je voulais éviter...

Sentant l'embarras grandir de part et d'autre, je cherche rapidement à changer de sujet. Je me penche pour observer le contenu du mortier entre ses mains, essayant d'alléger l'atmosphère.

« Wow ! C'est parfaitement pilé ! » m'exclamai-je avec enthousiasme, et pas seulement pour détourner l'attention, mais parce que je suis réellement surprise et impressionnée. À son âge, je galérais encore à transformer les ingrédients en une poudre aussi Micronisée.

« Je devrais songer à t'engager comme assistant ! » ajoutai-je sur un ton plaisantin en reprenant le mortier et le pilon de ses mains.

Un rire cristallin s'échappe alors de ses lèvres, doux et contagieux, dissipant enfin la tension entre nous. C'est tellement plus agréable de le voir sourire ainsi, même si c'est juste pour un instant.

« Ça serait amusant, mais je ne peux pas devenir jardinier. Mon père et Ryoma veulent que je devienne samouraï et que j'entre dans l'armée du shogun, » déclare-t-il, son ton neutre ne trahissant ni bonheur ni tristesse.

« Her-bo-riste, P’tit Kai, » rétorquai-je en serrant légèrement les dents, feignant une exagération comique. Puis, plus sérieusement, je demande : « Mais as-tu vraiment envie de cet avenir ? »

Il réfléchit un instant, ses yeux perdus dans une pensée lointaine, avant de répondre honnêtement : « Je ne sais pas. Mais dans tous les cas, Ryoma m'a dit que j'y étais obligé. Sinon je serai un vaurien qui aurait raté sa vie et qui lui aurait fait honte. »

Mes mains se resserrent instinctivement autour du mortier à ces mots, et je sens une colère monter en moi. Mes ongles crissent contre la céramique tandis que je murmure, plus pour moi-même que pour Kaito : « Ce salaud... »

Kaito, percevant ma réaction, rétorque aussitôt, défensif, ses poings se refermant : « Ne l'insultez pas, il veut juste que je sois fort. Je ferai tout pour qu’il soit fier de moi… »

Son attitude protectrice envers son frère me désarçonne. Il est si jeune, et pourtant, il semble déjà prêt à excuser l'inexcusable.

Je me calme progressivement, laissant la colère s'évanouir peu à peu. Cet enfant a vraiment un cœur en or, et il ne mérite pas d'avoir un frère comme Ryoma. Il est trop pur, trop gentil pour être traité de la sorte.

Je pose doucement le mortier sur la table, puis m'avance de quelques pas vers lui. Avec une tendresse que je ne peux réprimer, je dépose une main sur sa tête, ébouriffant légèrement ses cheveux déjà en désordre. Ses mèches noires glissent entre mes doigts, et je sens un léger frisson d'affection me traverser.

Un petit sourire se forme sur ses lèvres, et je ne peux m'empêcher de penser que si j'avais eu un petit frère, j'aurais aimé qu'il soit comme Kaito. Sa douceur et sa résilience sont touchantes.

Mais je me reprends rapidement, me rappelant que j'ai une infusion à terminer, même si Kaito semble déjà beaucoup moins souffrir, son sourire rayonnant chassant toute trace de douleur.

Je me concentre sur la préparation, et enfin, le lait doré est prêt.

Je tends à Kaito un pot rempli de l'infusion dorée. « Merci ! » dit-il avec enthousiasme avant de porter le pot à ses lèvres pour en prendre une première gorgée.

À peine a-t-il éloigné le pot que son visage s'illumine, un sourire large se dessinant sur ses lèvres maintenant colorées d'une légère teinte orangée. « C'est délicieux, et ça sent si bon ! » s'exclame-t-il avec joie avant de boire à nouveau.

Je ris doucement en voyant son enthousiasme. « Ha ha, ralentis un peu ! » dis-je, un soupçon de fierté traversant mon sourire. « Je suis ravie de voir que tu te régales. La douleur à ta cheville devrait s'estomper rapidement, et pour la rougeur, un peu de glace suffira. »

Kaito hoche vivement la tête, ses joues gonflées de l'infusion, une expression de contentement pur sur son visage. Sa réaction me réchauffe le cœur, me rappelant pourquoi j'aime tant préparer ces remèdes simples mais efficaces.

En voyant Kaito autant apprécier la boisson, une envie soudaine me prend de goûter moi aussi. Cela me ramène à mes souvenirs d'enfance, où je tentais, sans grand succès, de recréer les infusions que me préparait mon père. À chaque échec, son rire moqueur et agaçant résonnait dans la maison.

Je tends la main, un sourire aux lèvres. « Tu me laisses goûter ? » lui demandai-je.

Mais à ma grande surprise, Kaito éloigne le pot en secouant la tête, un sourire espiègle sur le visage.

Je fais mine d'être vexée, prenant un ton faussement dramatique. « Vraiment !? Où est passée ta gentillesse ? » m'exclamai-je en essayant de lui attraper le pot des mains.

Son rire cristallin résonne dans la tranquillité du jardin alors qu'il esquive mes tentatives maladroites. La scène devient vite un jeu pour nous deux, un moment léger et joyeux. Mais soudain, une voix au loin nous interrompt.

Une jeune femme, debout à l'entrée du jardin et vêtue de l'uniforme des servantes, nous fait un signe de la main. « Mademoiselle Hanaroshi, jeune maître, c'est bientôt l'heure du dîner ! »

À cette annonce, Kaito et moi échangeons un regard complice. Je décide alors de contourner la table d'un bond et de me lancer en courant vers la servante, riant à haute voix. « Le dernier arrivé est une souche toute décrépite ! » crié-je en m'éloignant.

Kaito, pris de court, termine son verre en une gorgée rapide avant de poser le pot. Il essaie de descendre de la table en toute hâte. « Ce n'est pas juste, tu es partie en avance ! » proteste-t-il en contournant la table.

Il semble avoir complètement oublié la douleur à sa cheville, signe que l'infusion commence à faire effet. Cela me réjouit, bien plus que la petite compétition que nous venons d'improviser.

* * *

Après la course, je n'ai même pas eu le temps d'admirer la grandeur et la beauté de ma chambre que la servante m'a aussitôt prise en charge.

Elle s'occupe de mes cheveux, les peignant avec soin tout en me complimentant sur leur couleur chocolatée. Avec une dextérité remarquable, elle les tresse en une élégante natte, qu'elle orne à l'extrémité d'un joli nœud bleu assorti au yukata qu'elle a choisi pour moi. Ce dernier, un superbe vêtement aux motifs étoilés, m'enveloppe avec grâce.

Une fois prête, elle me conduit à la salle du dîner. En toquant doucement, elle annonce mon arrivée, et Uruma m'accueille avec un sourire chaleureux, m'invitant à entrer.

Le zakishi est baigné d'une douce lumière dorée, diffusée par des lanternes en papier de riz. Les shoji qui entourent la pièce sont décorés de magnifiques motifs de soleils éclatants illuminant des forêts de bambous.

À l'extrémité de la table se tient le daimyo, imposant et serein. À sa gauche, Kaito est déjà assis, son sourire encore visible. À sa droite, une femme d'une beauté envoûtante attire mon regard. Mais ce qui me fait légèrement froncer les sourcils, c'est de voir assis à côté d'elle, Ryoma.

« Kibara, venez prendre place ! » m'invite le daimyo, sa voix profonde résonnant dans la pièce.

Je lui adresse un sourire respectueux, tentant de masquer la nervosité qui m'envahit soudainement. Je referme doucement la porte derrière moi et avance vers la table, le cœur battant légèrement plus fort.

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