23 Janvier 1991, 192e Escadron d’Avions de Combat, Golfe Persique.
Deuxième briefing de la journée, énième vol de la semaine. Je suis éreinté… Le sommeil me manque, et de toute manière, je dors mal. Mais c’est le cas de beaucoup de monde ici. Lorsqu’on a lancé l’opération « Desert Storm », notre bon vieux USS Midway était le plus proche du Golfe. Et bien évidemment, j’ai choisi la meilleure période pour y être déployé. Parfois, je maudis le sort… Ça fait des jours qu’on largue tout ce qu’on a sur ce bout de désert, vivement que ça se termine.
J’observe le second-maître se débattre avec ses cartes et autres fiches. Une jolie fille, si l’on fait abstraction des immenses cernes et de son teint pâle. Taz, mon ailier, semble la trouver à son goût. Suffit de suivre son regard…
- C’est bon pour vous, commandant ?
- Pardon ? Ah oui, euh… Les systèmes sont ici, là, et par-là. Portée habituelle, tout ça tout ça. On les détruit et on rentre au bercail. On est d’accord ?
- Oui, c’est à peu près ça.
Je farfouille les comptes-rendus de préparation de mission. Configuration habituelle, soit deux HARM, deux Sparrow et deux Sidewinder. Bidons, pétrole, tout est bon. Je jette un coup d’œil aux sept autres aviateurs rassemblés autour de la table. Ça va être une belle chevauchée.
- Pilotes, à vos machines ! "Soyez prêts, notre ennemi doit perdre."
Direction l’équipement, puis les chasseurs. Ah, les Hornet… Incroyables oiseaux. Sur le pont d’envol, les effluves marins s’engouffrent dans mes poumons, revigorent mon esprit embrumé. Espérons que le café fasse effet. Autour des avions proprement alignés sur la passerelle, tous les « dogs » s’affairent. Les « raisins » finissent de remplir les derniers chasseurs tandis que les chiens rouges les arment. Je rejoins mon intercepteur et en fais le tour ; un gilet blanc me talonne.
- Mes respects Commandant, hurle-t-il, tentant de couvrir l’agitation. L’avion est prêt, rien à signaler. Bon vol !
Je le salue d’un geste, il transmet au chef de pont, en brun. Je m’installe tranquillement aux commandes et démarre la bête. Lentement, le son des turbines se mêle à celui de la climatisation et de l’électronique. Check list : OK.
Je roule jusqu’au pont d'envol, guidé par un « dog » jaune. Tandis que les opérateurs catapultes en vert m’accrochent, je déplie les ailes pour que les derniers missiles soient montés par les chiens rouges. Ils me font un peu de peine à les porter à bout de bras.
- Striker-91 de Contrôle.
- Striker-91, j’écoute Contrôle.
- Paré pour lancement. Vous êtes vraiment de "big balled sons of bitches". Bon vol aux Dragons dorés.
- Merci du compliment Contrôle. Les B.B.S.O.B. vous embrassent !
Le bouclier se lève derrière moi, tous les chiens dégagent le passage. Je salue. Plein gaz. Lancement. En deux secondes, je dépasse les 280 kilomètres-heure et me voilà en l’air. Rapidement rejoint par mes partenaires, la mission commence.
**\*/**
- Striker-91 à Skyhowl, on est dans vos 160, pour 130 nautiques à FL210. Arrivée sur zone estimée dans 35 minutes.
- Skyhowl, bien pris. La sweep est là, canal 7.
- Striker-91, reçu.
Ça fait du bien de se sentir épaulé par nos amis de l’Armée de l’Air. On n’est pas seuls dans le ciel ; pas encore. J’ouvre la liaison de donnée 11 et vois maintenant en temps réel la situation tactique. Je change de fréquence et contacte notre escorte.
- Striker-91 à Raider-15, on arrive au point de rendez-vous dans 30 minutes. Content de vous avoir parmi nous.
- Raider-15, on quitte le ravitailleur. On y sera dans 25 minutes. Plaisir partagé Striker-91. Terminé.
Sur ma droite, je vois mon ailier et ami me faire signe. J’ouvre le canal radio. Le connaissant, il va raconter une connerie.
- Qu’est-ce que tu vas encore me sortir Taz ?
- Oh j’me disais qu’on pouvait papoter un peu, vu qu’on a une demi-heure d'vol d'vant nous. Elle était bien mignonne la p’tite rens’ dis donc !
J’éclate de rire dans mon cockpit, à deux doigts de pleurer. Il ne changera jamais, c’est ce qui fait son charme.
**\*/**
Nous avons retrouvé notre escorte au point de rendez-vous à l’heure dite. Au-dessus du désert, la manette des gaz poussée à fond, on vole à deux doigts du Mach. Frapper vite, frapper fort. Les Eagles nous encadrent, rien ne passera.
- Skyhowl à Raider-15, on perçoit six pistes à vos 80, pour 65 nautiques, à FL220. Classifié « Zombie ». Aux vues de la cinématique, possiblement du Fishbed.
- Raider-15, bien reçu. Skip-it, cap sur le package. Terminé.
Les choses sérieuses commencent. Je les envie presque, la « Grande Chasse » et leurs campagnes aériennes. Chacun sa mission ; la nôtre ne devrait pas tarder à rentrer dans le vif du sujet. On a beau faire la même chose depuis des jours, la tension reste la même. On risque toujours autant nos peaux, peu importe le vol.
- Messieurs, on descend à 1000 pieds. Grillez-moi ces batteries sol-air.
- Et c’est parti !
- Yeeeha !
Cent cinquante nautiques.
On pousse le manche, nos oiseaux de fers plongent à toute allure. Si près du sol, la moindre erreur est fatale. Entre le paysage qui défile à toute vitesse, le radar qui balaye le terrain, l’écran de ma L11 qui me montre la route à suivre…
Cent nautique.
Plus aucun son sur la fréquence. Nous sommes cachés des radars ennemis, mais pour combien de temps ? Les huit Hornet jouent avec les vallons et les cols, poursuivent leur course effrénée jusqu’à l’objectif.
Soixante-cinq nautiques.
C’est parti.
- Striker-91 sur zone. On engage.
Je tire sur le manche et instantanément, l’avion cabre. La force G m’écrase dans mon fauteuil, alors je force ; je pousse jusqu’à la butée la manette des gaz. Postcombustion enclenchée, je grimpe encore et encore. Dans le cockpit, les systèmes s’affolent : les batteries sol-air nous accrochent.
Soixante-deux nautiques.
Mon ailier et moi ouvrons le bal. À deux kilomètres derrière nous, les six autres pilotes nous suivent en formation large. Ma main tremble, je dois rester concentré. "Sois prêt, ton ennemi doit perdre…" Je prends une grande inspiration.
Soixante nautiques.
Par deux fois, je presse la gâchette. L’un après l’autre, mes deux HARM se décrochent de l’aile et s’éloignent à toute allure dans un panache blanc. Les missiles grimpent, je continue ma progression. Dans le cockpit, l’électronique hurle. Merde !
- J’suis ciblé ! Striker-92, engagez !
Je manœuvre avec force mon appareil, m’élançant en direction du sol. Taz a plus de chance : il tire et dégage. Des paillettes de fer se répandent derrière mon avion tandis que le désert se rapproche. Je serre les dents et prie pour que les HARM impactent. Les secondes s’étirent à l’infini tandis que l’altimètre décompte à vitesse grand V. Pourvu que ça passe…
La perception s’efface, les bips cessent.
- Striker-92, cibles détruites. Je réengage.
- Reçu Striker-92. À tous les Strikers, espace aérien dégagé. À vous de jouer.
Les six autres chasseurs frappent le site ciblé. Les bombes pleuvent, soufflent bâtiments, hangars et véhicules. Mon ailier et moi patrouillons autour de la zone à la recherche de potentiels intercepteurs ennemis.
- Skyhowl à Striker-91, possible piste inconnue à vos 300 pour 42 nautiques, à FL010. Demande une levée de doute.
- Striker-91, bien reçu. Changement de mission pour Striker-91 et Striker-92.
Modification de cap, formation de combat. Espérons que ce ne soit qu’une fausse piste… Je passe mon radar en mode air-air et scanne l’espace devant moi.
- Un mec tout seul, comme ça, tu n’trouves pas ça bizarre, Taz ?
- Ouais. Y a moyen que ce soit les Ailes Noires d’Abdali.
- Qui ?
- T’as pas entendu parler d’ça ? C’est un pilote de MiG-29 qu’aurait abattu au moins six avions de la Coalition. Il aurait peint deux ailes noires sur le dos d’son appareil. Tous les chasseurs du coin l’redoutent.
- C’est rien qu’un excellent pilote, rien de plus. Ou même carrément un mythe.
Sur l’un des écrans du cockpit, une perception radar apparait. On le tient ! Aucun retour IFF, ce n’est peut-être pas un allié, on attend de voir. Il approche très vite et très bas…
- Striker-91 à Skyhowl, confirmation d’un appareil inconnu en rapprochement. Position : dans nos 310 à 35 nautiques, FL005. Pas de réponse IFF, vitesse supersonique. Demande conduite à tenir.
- Ici Skyhowl, observation visuelle avant engagement.
- Bien reçu, terminé.
Je n’aime pas ça, quelque chose cloche. La distance se réduit à grands pas, nous serons fixés. La tension dans l’appareil est intense. Les mains moites glissent le manche. La bouche pateuse, je déglutis difficilement. Mon sang palpite dans mes tempes. Le soleil écrasant d’Irak n'arrange rien : ses rayons frappent la verrière, je sue malgré la climatisation. Cap des vingt nautiques passés, je décide d’éloigner mon ailier sur ma droite. Si l’un de nous se fait abattre, il laisse à l’autre la possibilité de finir la mission.
- Striker-92, je suis accroché ! Je suis… Putain ! Missile sur moi ! Je break, je break !
- Reçu, j’engage. Striker-91 à Skyhowl, appareil confirmé hostile. Tir sur notre position, nous attaquons la cible.
- Reçu 5 Striker. Vous êtes seuls, bonne chance.
Mon radar accroche le chasseur ennemi avec difficulté, la tonalité tarde à venir. Un long bip résonne, je presse la gâchette.
- Fox-1 ! Reste avec moi Taz !
Telle une furie, mon Sparrow s’élance en direction de mon adversaire. Je continue d’avancer, cherchant à tout prix à lui faire faire demi-tour. Lui comme moi sommes obligés d’éclairer notre cible jusqu’à l’impact si nous voulons le descendre. Ce sera le jeu de « Qui décrochera le premier ». Au radar, huit nautiques ; les distances ont largement diminué. D’ici quelques instants, je pourrais le voir. Mon premier missile rate, je lance le second. Pendant ce temps, mon ailier tente de revenir dans le combat.
- Fox-1 ! Taz, j’ai besoin de toi !
- J’suis sur le coup. J’ai… Argh !
La radio grésille.
- Striker-92 ?
Le silence pèse.
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L'Escadron d'Avions de Combat 192 (de son nom anglais Strike Fighter Squadron 192, ou VFA-192), connu également sous le nom de "Dragons dorés mondialement connus" est un escadron de l'US Navy, constitués aujourd'hui de F/A-18 Super Hornet.
Le 02 Octobre 1990, le VFA-192, déployé à bord de l'USS Midway (porte-avion américain en service à l'époque), arrive dans le Golfe Persique. Lorsque l'opération "Desert Storm" est lancé dans la nuit du 17 Janvier 1991, l'escadron a attaqué les sites anti-aériens irakiens. Durant les 43 jours qui ont suivi, les Dragons dorés ont effectués 576 missions de combat, et largué pas moins de 331 tonnes de munitions.
Le VFA-192 a été déployé lors de nombreux conflits tout au long de l'histoire : Seconde Guerre mondiale, Guerre de Corée, Guerre du Vietnam, Guerre du Golfe, opération Enduring Freedom (Afghanistan), Guerre d'Irak.
Deux devises célèbres :
"Be ready, our ennemi must lose" (sois prêt, notre ennemi doit perdre).
"BBSOB, the Big Balled Sons of Bitches" (les couillus fils de putes).
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