Chapitre 22
Après le tumulte de ce concours, Bardy passa le reste de l’après-midi avec son équipe. Ils mangèrent les hamburgers ananas qu’il restait, puis décidèrent de faire un tour dans la jungle histoire de se dégourdir les jambes. Aussi surprenant soit-il, le robot de Rune, Rody, les suivait en pas de danse classique. Chloé se moquait de lui en permanence, tandis qu’il la suppliait d’arrêter.
– Rune va bien ? demanda Chloé, toujours aussi inquiète.
– Elle est entre les mains de notre médecin en chef, expliqua Zaz. Elle ne peut qu’aller bien… Enfin, je suppose.
– Arrête de te prendre la tête, lui dit Bardy. Rune va s’en sortir indemne. Ornella est déjà en train de rassembler des informations sur Kalveo. Une fois qu’elle l’aura retrouvé, nous irons lui exploser la gueule.
– J’en suis ! s’exclama Zaz. Enfin, pas ce soir. J’ai un rendez-vous important !
Bardy et Chloé le dévisagèrent, intrigués.
– Important ? demandèrent-ils en même temps.
– Eh ouais ! D’ailleurs, je vous laisse, je vais me préparer !
Sans leur laisser le temps de le questionner davantage, Zaz rebroussa chemin en courant. Bardy se demandait s’il avait rendez-vous avec une fille. Même s’il était mauvais dragueur, peut-être qu’il avait enfin réussi à trouver quelqu’un capable de le supporter. Il continua de marcher un peu avec Chloé.
Voyant son air abattu peu habituel, il la poussa à lui parler de ce qui n’allait pas. Évidemment, elle s’en voulait pour l’état de Rune, mais pourtant, elle avait fait tout son possible pour l’aider. Personne n’avait vu venir la trahison de Kalveo. Avracham était connu pour leurs terribles vengeances, donc aucun client n’osait les doubler.
Il la rassura comme il put, mais Chloé avait hâte de la voir sortir de ce caisson. Ils déambulèrent le long de la plage. De nombreuses personnes profitaient de la soirée pour se baigner sous le déluge orangé de la naine jaune. Ses rayons se reflétaient sur la surface transparente de l’océan, tandis que les cris des enfants jouant dans l’eau inondaient cet endroit paisible.
Bardy et Chloé s’arrêtèrent quelques instants, profitant de la quiétude de ce spectacle. Bardy sentit ses pensées et ses doutes s’évanouir. Chloé prit une grande bouffée d’air frais avant de souffler lentement. Pour rien au monde, Bardy ne désirait quitter cette île et cette grande famille. Jamais il ne trouverait une vie aussi paradisiaque dans la galaxie.
Son téléphone sonna, l’arrachant à sa sérénité.
– Ouais ? demanda-t-il.
– Rune vient de sortir de son caisson, guéri, signala Talinda. Vous pouvez venir la voir quand vous voulez.
– Génial, j’arrive !
Il raccrocha et raconta à Chloé ce que venait de lui annoncer la médecin en chef. Heureuse de cette nouvelle, Chloé suivit Bardy jusqu’au centre de soin caché sous terre. Bardy était maintenant prêt à retourner en mission, et surtout, de retrouver cet enfoiré de Kalveo pour lui montrer ce qu’il en coutait de s’en prendre aux pirates d’Avracham.
Sur place, ils découvrirent Rune en train de remettre ses bottines. Pendant ce temps, Talinda continuait ses pas de danses classiques, tout en jouant avec les blessures d’un pauvre homme. Elle appuyait sur une coupure pour voir comment elle suintait. Dégouté par ce spectacle, Bardy proposa à Rune de quitter cet endroit, ce qu’elle accepta sans rechigner.
À l’extérieur, Rune croisa Rody en train de danser avec grâce. Elle arqua un sourcil, perplexe, tandis qu’il tournoyait sur lui-même puis lui tendit la main.
– Bonjour, dame Rune.
– Qu’est-ce que tu fous ? demanda-t-elle en désignant son tutu rose d’un signe de tête.
– C’est Chloé qui m’a piraté ! se plaignit-il.
– Cafteur ! s’emporta Chloé.
Rune soupira.
– Tu lui redonneras un air moins stupide, s’il te plait ? demanda Rune à la mécano.
– Il n’est pas bien comme ça ?
– Je dois vraiment répondre à cette question ? souffla Rune.
Sur la route du retour, Rune découvrit que la nuit venait de tomber, ce qui ne sonnait pas pour autant la fin de la vie dans la ville de Kalao. Non au contraire, les spectacles commençaient pour tous ceux désireux profiter de la soirée. Rune n’avait pas la tête à s’amuser, elle espérait qu’aucun de la bande ne l’embarquait dans des jeux stupides.
– Tu veux venir manger à la maison, au calme ? proposa Bardy.
Surprise, Rune jeta un œil à Chloé, cherchant une réponse adaptée. En son for intérieur, elle ne voulait pas le déranger, et ne se sentait pas de rester au milieu de personnes qu’elle ne connaissait pas. Mais d’un côté, après tous les efforts qu’elle faisait, elle pouvait bien en réaliser encore un. Après tout, l’invitation restait gentille.
– Je peux aussi ? demanda Chloé, enjouée.
– Ouais, pourquoi pas… soupira Bardy.
Rune accepta son offre. Découvrir la vie personnelle de ses nouveaux coéquipiers ne pouvait pas lui faire de mal. Peut-être qu’elle réussirait à se sentir acceptée de cette manière ? Déterminée, elle lui emboita le pas jusqu’à une immense maison en bord de plage. Sachant qu’il s’agissait de la plus grande qu’elle ait vue, elle se demanda si Bardy était quelqu’un de si important à Avracham.
Elle haussa les épaules et le suivit lorsqu’il l’invita à entrer. Rune découvrit un intérieur chaleureux, semblable à sa propre habitation. Une petite fille d’une dizaine d’années arriva en trombe pour sauter dans les bras de Bardy. Rune se décala un peu, n’ayant pas envie de s’occuper d’une enfant.
– P’pa ! T’es enfin rentré !
Papa ? Rune fixa Chloé, éberluée. Elle lui fit un clin d’œil.
– Tu vas rencontrer sa famille, prévint Chloé.
Bardy embrassa sa fille en la portant, puis la reposa pour la présenter à Rune.
– Voici Avelie ! Ma gamine, montra Bardy. Elle est mignonne, non ?
Elle tendit les bras pour que Rune l’embrasse, mais elle la repoussa gentiment, une grimace sur le visage. Elle n’aimait pas vraiment les enfants. Elle ne se sentait absolument pas prête pour s’occuper d’un garnement, mais de toute manière, elle n’en désirait pas !
Une femme aux teints sombre arriva, un torchon en main.
– Eh bien, tu ne l’aimes pas ? railla-t-elle.
La trentaine, elle avait de longues dreadlocks qui tombaient sur son corps fin et musclé.
– Je te présente Dovdy, ma femme.
Rune la salua d’un geste de la tête, tandis que Chloé attrapa Avelie pour jouer avec elle dans le salon. Un grand espace chaleureux accueillait cette petite famille qui semblait s’entendre à merveille. Rune les enviait un peu, en voyant Chloé courir dans le jardin qui donnait à la plage, poursuivie par la fille de Bardy.
Le pirate profita de cet instant pour mettre le couvert sur la table de la terrasse. Rune lui donna un coup de main, après tout, elle ne pouvait pas rester là à ne rien faire. Elle récupéra une pile d’assiette pour les disposer sur la table de la terrasse, puis fronça les sourcils quand elle en vit une de trop.
– Euh… Faut que tu ranges celle-ci, non ? On est six ?
Bardy sourit à pleine dent.
– Non, ma mère est là ce soir.
Rune hoqueta de surprise.
– Ta mère ? Je ne l’ai jamais vu.
La sonnerie retentit.
– T’es sûre ? railla-t-il.
Bardy s’éloigna jusqu’à l’entrée, tandis que Rune continuait le travail. Une fois qu’elle termina couteaux et fourchettes, elle leva les yeux quand des pas lourds arrivèrent dans la salle à manger.
– Eh bien, Rune est au travail.
Elle releva la tête, intriguée par cette voix familière. Elle la reconnut immédiatement, vêtue de sa longue robe noire aux têtes de mort vermeilles. Ornella s’avança vers elle, passant la main dans ses cheveux tressés. Rune resta bouche bée face à cette révélation, elle ne s’y attendait absolument pas.
– Tu as perdu ta langue ? plaisanta Ornella.
– Oui je ne te l’avais pas dit, désolé, s’excusa Bardy. Ornella Wallace est ma mère !
Rune la salua, n’osant pas dire quoi que ce soit. Depuis le temps qu’elle venait sur cette planète et qu’elle côtoyait Bardy, jamais elle n’avait découvert cette vérité si bien cachée. Après les présentations, tout le monde mangea dans la bonne humeur. Avec la vue sur la plage, et le bruit des vagues comme seule musique, Rune se sentit étrangement bien, malgré le monde autour d’elle. Elle avait l’impression d’appartenir à cette famille.
Bardy raconta leur dernière mission qui se termina sur un fiasco. Ornella balaya son histoire d’un geste de la main, les rassurant quelque peu. Elle préparait déjà leur vengeance et tous les services secrets d’Avracham pourchassaient ce Kalveo pour lui rendre la monnaie de sa pièce.
– Comment se passe ton intégration ? demanda Ornella à Rune.
– Plutôt bien, avoua l’intéressée. En fait, je n’ai pas à me plaindre, tout le monde m’a accepté sans rien dire, et on bosse bien ensemble.
– Ravie de l’entendre.
Rune peina à lui sourire tant elle lui faisait peur. Elle essaya de se concentrer sur le délicieux plat de fruits de mer préparé par Dovdy. À n’en pas douter, cette femme sublimait chacun des ingrédients qu’elle cuisinait, c’était un véritable régal. Aucun restaurant ne lui arrivait à la cheville.
Chloé ne parlait plus beaucoup depuis quelques minutes. D’habitude si enjouée, elle restait les yeux fixés sur son assiette sans rien dire.
– Tu te sens mieux maintenant ? demanda Ornella. Je veux dire, Talinda n’est pas facile comme médecin…
Ornella ricana rien qu’en imaginant ce qu’elle avait pu faire subir à leur nouvelle recrue.
– Je dois dire qu’elle est… spéciale, avoua Rune. Mais je vais bien mieux grâce à votre cuve de soin. Ce sont les derniers modèles que vous possédez ?
– Nous essayons de rester à la pointe de la technologie, surtout au niveau médical. Nous en avons souvent besoin…
Rune comprenait. Après tout, ils n’arrêtaient pas de réaliser mission sur mission pour amasser des richesses. De plus, ils affrontaient régulièrement les trois plus grands clans gouvernant la galaxie.
– Si vous voulez bien m’excuser…
Contre toute attente, Chloé se leva, fit un salue de la tête, puis quitta la maison par la porte avant. Rune ne comprenait pas ce qu’il se passait, elle scruta chacun des membres de la famille de Bardy, à la recherche d’une explication.
– Qu’est-ce qui lui prend ? demanda Rune d’une petite voix.
– Rien, laisse, lui répondit Bardy. Elle va revenir.
Rune fronça les sourcils. Pourquoi personne ne voulait lui dire ce qui lui arrivait ? Chloé n’avait pas pour habitude de réagir de cette manière.
– Il faudrait que tu arrêtes de jouer avec ses sentiments, gronda Ornella.
– Maman ! s’exclama Bardy en tapant du poing sur la table.
Rune la dévisagea, étonnée.
– Comment ça ? Je n’ai rien fait…
Ornella pointa la fourchette vers elle.
– Chloé est raide dingue de toi, je pense que tu le sais très bien. Même si tu n’es pas amoureuse, ne prends pas ses sentiments à la légère.
Rune écarquilla les yeux. Ses joues s’empourprèrent et elle eut un coup de chaud.
– Chloé était vraiment très inquiète pour toi, avoua Ornella. Tu pourrais au moins la remercier, lui dire que ça va, enfin quelque chose quoi !
Bardy soupira, mais il n’osa pas s’interposer. Après tout, Rune la jouait toujours solo, et même elle, elle se rendit compte qu’elle aurait au moins pu remercier les membres de son escouade d’avoir tenté de la libérer. De plus, elle se rappela avoir vu Chloé se pencher au-dessus de sa cuve pour voir comment elle allait. Elle avait murmuré un mot inaudible.
Le repas continua dans le silence, mais Rune n’avait plus faim. Elle se sentit honteuse. Elle ferma les yeux quelques instants, puis rouvrit les paupières, déterminée à parler avec Chloé. Elle se leva brusquement, s’excusa, puis sortit la rejoindre.
La jeune mécanicienne attendait près de la rivière, assise sur le ponton. Elle fixait l’eau turquoise, l’esprit bien loin de cet endroit. Rune s’installa à ses côtés, silencieuse. Elle ne savait même pas comment démarrer cette conversation. Peut-être par un simple merci ? Ou lui demander ce qui lui arrivait afin d’être sûr de ce qu’elle devait lui dire ? Elle se sentit bête. Son manque de contact humain se ressentait atrocement dans ces moments-là.
– Désolée d’être partie comme ça, commença Chloé.
Rune souffla intérieurement.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Rune.
Chloé prit une grande inspiration avant de soupirer longuement.
– Je n’ai pas été capable de te protéger et de te sauver des griffes de cet enfoiré. Je suis vraiment désolée…
Ornella avait vu juste. Rune ne lui en voulait pourtant pas. Pourquoi s’infligeait-elle un tel poids sur les épaules ?
– Ce n’est de ta faute, lui dit Rune. Le seul fautif dans cette histoire, c’est ce connard de Kalveo ! On lui fera sa fête ensemble quand nous l’aurons retrouvé, ça te va ?
Rune lui sourit. Contrairement à d’habitude, elle ne forçait pas. Chloé la fixa, d’abord surprise, puis ensuite son visage s’adoucit.
– Avec plaisir !
Elles restèrent silencieuses quelques instants. La mécanicienne posa la tête sur l’épaule de Rune, et cette dernière passa son bras sur ses épaules.
– Merci, murmura Rune.
Chloé, intriguée, se redressa et la fixa d’un air dubitatif.
– De ?
Rune haussa les épaules, les joues empourprées. Elle détourna les yeux, bien trop gênée pour la regarder en face, puis se frotta l’arrière de la tête.
– De m’avoir aidé. De m’avoir accepté dans votre groupe… Enfin, pour tout quoi…
Rune se racla la gorge et osa un œil vers la jeune femme au sourire angélique. Chloé posa la main sur la joue de Rune, puis elles restèrent un moment à se fixer. Rune savait ce qu’elle allait faire, mais devait-elle la repousser comme elle le faisait ? Ornella lui avait dit de ne pas jouer avec ses sentiments, alors quand elle rapprocha ses lèvres des siennes, Rune la repoussa gentiment. Chloé ne sembla ni furieuse ni déçue.
– On reste de bonnes amies ? demanda-t-elle.
– Très bonnes amies, confirma Rune.
– Mais au moins un baiser !
– Non ! Tu m’as déjà eu par surprise pendant votre jeu à la con !
Chloé ricana.
– C’était ma technique spéciale ! Elle est infaillible !
– Ouais, j’ai remarqué ! Allez vient, on va finir de manger. Sinon, on va s’en prendre une par la cheffe.
Elles se levèrent et retournèrent à table, de bien meilleure humeur. Ornella et Bardy furent soulagés de les voir revenir en forme, preuve que tout allait bien entre les deux coéquipières.
Rune était contente du déroulement de cette petite discussion. Au moins, elles s’étaient parlé à cœur ouvert, et maintenant, elles pourraient travailler ensemble sans le moindre embarras. Ils finirent ce repas magistral, puis Rune rentra chez elle, exténuée.
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