Chapitre 28
– On se réveil, ma jolie.
Rune sentit une puissante gifle la secouer. Une douleur lancinante dans la mâchoire, elle secoua la tête pour reprendre ses esprits. Elle essaya de se lever, sans succès. Une corde bien serrée la liait à sa chaise. Elle avait beau tenté de la démêler, elle n’y parvenait pas. Elle détailla les environs du regard, cherchant un moyen de s’enfuir, mais la pièce semblait bien trop gardée pour tenter quoi que ce soit.
– Bien, ta copine aussi se réveil.
Saya se trouvait dans la même situation, juste à côté d’elle. L’homme qui venait de la frapper s’assit sur le bureau. Il croisa les jambes et les fixa d’un œil intense. Ses hommes de main se tenaient aux quatre coins de la pièce, l’un d’eux jouant avec un couteau de chasse.
– Alors, qu’est-ce que deux poupées font dans mon humble demeure ?
Rune et Saya restèrent silencieuses. Le cerveau de Rune fonctionnait en quatrième vitesse, cherchant un moyen de se libérer des entraves.
– Vous êtes face à Ravid LaGaufre, le fondateur de ce groupe ! Dites-moi ce que vous faites là avant que j’emploie des moyens plus… persuasifs.
Le ton menaçant de Ravid ne laissait pas d’appel. Si rien ne sortait de leur bouche, elles passeraient un sale quart d’heure.
– On vous cherchait, tenta Rune.
Le chef arqua un sourcil et ricana.
– Et pourquoi donc ? Il y a une porte d’entrée, pas la peine de pénétrer dans mon antre de façon subreptice.
Il se tut quelques secondes avant de scruter ses hommes de main.
– Classe ce mot, non ? C’était celui qu’il fallait placer cette semaine !
– Terrible, boss ! félicita le joueur de poignard.
Le pouce en l’air, Ravid se tourna vers Rune et lui attrapa la mâchoire. Il lui releva la tête et la scruta avec envie.
– J’me la ferais bien celle-là, surtout pour lui faire cracher la vérité.
Alors qu’il tendait le poing pour la frapper, Saya lui demanda d’arrêter.
– C’est bon ! Arrête, espèce de gros con.
Ravid écarquilla les yeux et pivota la tête vers elle. Rune remarqua les traces de brûle en forme de grille sur sa joue, un spectacle horrible.
– C’est moi, Saya, la cheffe du gang CoinCoin ! Je suis là pour te dégager du quartier, enfoiré !
Ravid lâcha Rune et eut une crise de fou rire. Rune espérait juste qu’il s’étouffe pour pouvoir sortir d’ici. Il réussit à se calmer et essuya ses larmes.
– Oh bordel, ça fait du bien. Donc en résumé, reprit-il, tu viens dans mon repaire et tu me donnes ton nom, comme ça ? Tu crois quoi ? Que je vais te libérer pour ta bonne conduite ?
– Non, mais elle tu peux la laisser. Fais de moi ce que tu veux en échange.
Rune n’en revenait pas. Elle l’observa, perplexe face à ce qu’elle proposait, mais Ravid prit en considération son offre. Il les fixa l’une après l’autre e, croisant les bras. Il jaugea ses hommes de main qui ne bougeaient pas d’un pouce. L’un d’eux, habillé d’une chemise et d’un pantalon blanc, continuait de s’amuser avec sa lame. Rune se demandait s’il ne s’agissait pas d’un bourreau, au vu de son regard sombre et impatient, comme s’il voulait les trancher de toute part.
– Cette proposition est tout à fait honorable. Tu t’appelles comment toi ? demanda-t-il à Rune.
– Va chier ! J’donne pas mon nom aux abrutis congénitaux.
Ravid, d’abord surpris, fut pris d’un autre rire gras avec le reste de ses collègues.
– Elle m’amuse celle-là. Bon, regarde.
Ravid fit le tour de la pièce, tandis que ses gardes pivotèrent les chaises des prisonnières à 180degrés. Un grand renfoncement menait à un gigantesque gaufrier. Sans doute le plus immense que Rune n’ait jamais vu. Elle commençait à comprendre d’où venaient les marques de brûlure.
– J’aimerais que tu te joignes à mon gang, expliqua Ravid. Une petite marque par cet appareil magnifique, et tu seras des nôtres ! Franchement, tu auras la marque des Gaufres ! L’aliment le plus sacré sur Terre, dit-il en tendant les bras en l’air.
Rune avait l’impression de voir un prêtre s’extasier devant son dieu. En même temps, elle n’avait pas beaucoup de solutions pour se faire détacher. Les autres hommes de main se tenaient autour d’elle, attendant le choix qu’elle allait faire, mais elle ne comptait pas lui donner satisfaction. Elle savait même comment l’énerver.
– Désolé, je préfère les crêpes, avoua Rune.
Ravid sursauta et la foudroya du regard.
– Es-tu folle ? demanda-t-il d’une voix forte.
Il caressa le gaufrier avant de l’embrasser à divers endroits. Rune ne cacha pas son dégout, tandis qu’il semblait avoir une érection rien qu’en sentant son corps contre cette machine. Non pas que cela choquait Rune, il y avait tant de débiles sur Terre, mais de là à s’extasier sur une machine, cet homme possédait de sérieux problème neuronal.
– La gaufre est l’aliment ultime. Le divin ! Comment peux-tu préférer une merde toute plate !
– Avec des bananes et du chocolat aux noisettes, précisa Rune. C’est bien meilleur que ton gâteau…
Saya pouffa de son côté, ce qui n’était pas le cas de Ravid. Il s’approcha d’elle à grands pas et la toisa de toute sa hauteur.
– Je vais te faire regretter d’être née, dit-il d’une voix macabre.
Rune savait qu’elle n’avait pas prise la bonne décision en l’énervant de la sorte, mais c’était trop tentant pour ne pas le faire. Elle continuait de jouer avec la corde dans l’espoir de se libérer, mais pour le moment, elle restait à sa merci.
Alors que Ravid s’apprêtait à donner des ordres à l’homme en blanc, quelqu’un surgit dans la pièce par la porte sur leur droite. Une jeune femme habillée en part de gaufre conduisait un chariot chargé de caisses. Ravid la dévisagea, intrigué.
– C’est quoi ça ?
– Lord Ravid, dit-elle en faisant une révérence. Voici un cadeau de la part de plusieurs femmes qui désirent passer la nuit avec le gang.
Il fronça les sourcils, tandis que les autres sautaient de joie.
– Tu peux nous les montrer ? demanda-t-il.
La serveuse sortit une tablette de sa poche avant et lui l’alluma. Elle lui dévoila la photo des jeunes femmes. Au vu de son sourire, Rune devinait qu’elles étaient à son goût. Il se frotta les mains, annonçant la bonne nouvelle à ses gars. Ils se mirent à hurler de bonheur, plongeant la pièce dans un brouhaha sans pareil. L’atmosphère passa d’un ton lugubre à une bande de gaillard en manque de testostérone. Rune se demandait comment de pareils crétins pouvaient réussir à s’emparer d’un quartier.
Ravid ouvrit la caisse avec précipitation, hâte de voir ce qu’il se trouvait à l’intérieur. De nombreux paquets de cookies attendaient leur prochain consommateur. Quelques bouteilles de bière et de soda accompagnaient ces délicieux biscuits. Ravid tapa dans les mains et se tourna vers ses coéquipiers.
– Bon les gars, foutez-moi ça en cellule, et venez faire la fête !
Ils hurlèrent de bonheurs. Ils s’occupèrent de retirer les liens des deux intrus, puis les forcèrent à les suivre dans les sous-sols. Avec un peu de chance, elles seraient enfermées près de la cachette de Ravid. Elles furent emmenées dans une pièce sombre, faisant office de geôle, puis menottées à une barre de fer vissée dans le mur de pierre. Rune frissonna. La température dans ces caves descendait bien plus rapidement qu’elle espérait. Ils fermèrent la grille et coururent rejoindre leur chef.
– Ils vont faire la fête avec des putes et des cookies ? s’étonna Saya.
– Plus rien ne me choque, ici… soupira Rune.
– Bon, il faut sortir d’ici.
– Et tu veux faire ça comment ?
Saya ignora les plaintes de son amie et chercha un moyen de se débarrasser des menottes. Les poignets solidement attachés au mur, Saya essaya de tirer sur les chaines pour les briser, mais elle ne voulait pas lâcher. Rune posa la tête contre la pierre. Elle se sentit vraiment idiote d’avoir accepté cette mission débile, tout ça pour retrouver son ancien tortionnaire. Elle allait mourir dans un sous-sol sombre et crasseux, loin de ses nouveaux amis.
Encore une fois, penser à eux lui fit mal au cœur. Elle s’en voulait de les avoir abandonnés. Elle se demandait si leur aide aurait pu lui éviter de se retrouver dans une situation aussi critique. Elle secoua la tête. Pas la peine d’y pensée, le mal était fait et elle ne pouvait plus retourner en arrière. Maintenant, il fallait survivre.
Une heure ? Deux heures ? Rune était incapable de dire combien s’étaient écoulées depuis qu’elles étaient enfermées. Saya sifflotait de temps en temps, au grand dam de Rune, attendant qu’on vienne les chercher. Pendant ce temps, elles mirent au point un plan pour s’échapper d’une simplicité déconcertante : sauter aux cous de leurs geôliers.
Mais plus le temps passait, et plus Rune doutait de sortir d’ici. Son estomac grondait, signe qu’il devait être suffisamment tard pour le repas du soir. Las de se trouver dans cette pièce les bras en l’air, elle pesta dans son coin.
– LES FILLES !
Le cri de Ravid les alerta. Il arriva en trombe avec les clés pour leur ouvrir la porte. Les larmes coulant le long de ses joues, il s’empressa de les libérer tout en sanglotant.
– Je suis tellement désolé, avoua-t-il. Je ne voulais pas vous faire du tort ! Je n’aurais pas dû ! Excusez-moi pour ce que j’ai fait !
Il détacha Rune puis Saya. Il se laissa tomber à genoux pour leur implorer pardon. Perdues, les deux femmes se fixèrent d’un œil interrogatoire.
– Il nous fait quoi là ?
– Je suis désolé ! J’allais vous jeter dans les orties pour vous punir ! Oh, mon dieu, je ne suis qu’un être perfide ! Saya ! Tu es une super cheffe ! Je te laisse le quartier !
Elle écarquilla les yeux. Rune se frotta le menton, perplexe. Comment un homme pouvait changer du tout au tout ?
– Rune ! supplia-t-il en lui prenant une main. Vous êtes une fille formidable, n’en doutez jamais !
– Euh… Merci…
Il sortit un cookie de sa poche et croqua dedans. Rune plissa les yeux, reconnaissant ce biscuit. Était-ce les mêmes qu’ils avaient volé avec Kalveo dans le casino de la fédération blanche ? S’ils étaient capables d’inhiber la violence, cela expliquait son comportement. Il en tendit un autre à Rune.
– Tenez, en cadeau, voici un cookie !
Saya l’attrapa en vitesse avant que Rune ne puisse le faire.
– Il est pour moi celui-là.
Rune lui arracha des mains, alors que Saya la fusillait du regard.
– Qu’est-ce qui te prend ?
– Ne mange pas ça. Tiens Ravid, garde-le, tu ne nous dois rien. Dis-nous juste où se trouve ta cachette secrète ?
Il posa le front sur le sol, implorant pitié.
– Veuillez m’excuser, mais j’ai tout brûlé ! Je ne pouvais pas vivre avec ça sur le dos.
Saya n’en croyait pas ses oreilles.
– Attends, Rune, il se passe quoi là ?
– Je vais t’expliquer en route, avoua-t-elle. Viens, on se tire.
En remontant dans le manoir, elles découvrirent la plupart des membres du gang en train de jeter leurs armes dans de grandes poubelles. Elles en croisèrent deux en train de faire une valse, tandis que d’autres chantaient le plus fort possible. Certains pleuraient dans un coin, honteux face au mal qu’ils avaient fait. Et surtout, tout le monde mangeait des cookies.
– Mais c’est quoi ce merdier ? s’étonna Saya.
– Ce sont les cookies qui font ça, expliqua Rune.
Saya la dévisagea, incrédule.
– Quoi ?
Pendant qu’elles retournaient jusqu’à leur véhicule, Rune lui expliqua toute l’affaire du cambriolage. Maintenant qu’elle savait que Kalveo était de mèche avec Raptel Cure-Dent, elle comprit qu’il tentait de reprendre son quartier d’une façon peu conventionnelle. Mais le pire, c’est que cela risquait de fonctionner !
En arrivant à la voiture, elle vit toutes les personnes du bar se nourrirent de ces petits biscuits. Raptel en avait vraiment envoyé partout. Les deux femmes retournèrent jusqu’au bar de Saya, pressées de rassembler ses hommes pour étendre son territoire, mais une surprise les attendait en arrivant.
Les cookies passaient entre les mains des clients et de sa bande. Tout le monde les grignotait avec amour. Les hommes de main s’excusaient comme ceux de Ravid, ayant dû mal à accepter ce qu’ils avaient fait par le passé. Saya, surprise, pesta avec colère. Elle tenta de les pousser à reprendre les armes, mais ils ne pouvaient pas. Ils refusaient catégoriquement de faire le moindre mal à qui que ce soit.
– Mais il fout quoi Raptel ? s’emporta Saya.
Si l’envoi des gâteaux ne s’arrêtait pas aux Gaufriers, que cherchait-il à faire ? Un mauvais pressentiment traversa l’esprit de Rune. Et si cela se répandait dans la ville de Life ? Si la police, l’armée, les politiques et les gangs se nourrissaient de ces biscuits, alors plus rien ne pourrait l’empêcher de s’emparer de Life !
– Où se trouve-t-il maintenant ? demanda Rune.
Saya la fixa de ses pupilles émeraude. Elle croisa les bras, l’air grave.
– Tu veux vraiment le savoir ?
– Bordel, Saya ! Il va s’emparer de la ville ! Dis-moi où il est !
Elle souffla bruyamment par les narines.
– Au nord de la ville, dans le désert. Il s’est réfugié avec ses dégénérés dans une grande tour en forme de brochette de barbecue. La Tour Brochette qu’ils l’appellent…
Rune hocha la tête, puis fit volt face, soudainement déterminée à en finir.
– Attends ! Je vais venir avec toi.
– Occupe-toi de tes hommes. Et essaye de retarder les livraisons de ces cookies !
– Arme-toi avant d’y aller déjà !
Rune acquiesça d’un hochement de tête. Elle récupéra un pistolet, un fusil d’assaut, un fusil à pompe et plein de munitions. Elle était fin prête !
Rune reprit sa moto qui l’attendait sagement sur le parking. Elle l’enfourcha, alluma le moteur, puis mit les gaz en direction du Nord. En traversant la ville, elle n’entendit plus aucun coup de feu ni bagarre, ni même les sirènes de la police hurler toute la journée. Plus rien. Tout le monde se souriait, se serrait la main et s’embrassait. Elle avait beau traverser les quartiers les uns après les autres, c’était la même chose partout. Son intuition avait vu juste, c’était grave ! Les cookies risquaient de détruire la dernière ville encore debout sur Terre !
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