Héritage 2/2
Penny accueillit la révélation de sa grand-mère calmement. Après le phénomène vécu la veille au soir, apprendre que son aïeule appartenait à un groupe druidique un peu marginal ne l'étonnait pas vraiment. Cela cadrait avec son caractère, sa façon de vivre. Ceci précisé, la première question arriva vite :
— Maman aussi est une druidesse ?
— Ta mère n'a jamais souhaité exploiter ses dons, même enfant elle y était réfractaire. Avec le temps, son aversion pour notre héritage familial n'a fait que s'accroitre.
— Aversion ? Tu n'exagères pas un peu mamy ?
— Oh non, crois-moi, d'ailleurs je lui avais fait la promesse de ne pas t'en parler.
La vieille femme cilla avant d'ajouter dans un souffle :
— Aujourd'hui, je n'ai pas d'autres choix que rompre ce serment, mais comme pour ta mère, tu as le droit d'en savoir plus ou de rester ignorante.
Penny sursauta en s'exclamant :
— Tu rigoles ? Au contraire, je veux tout savoir, alors je t'écoute.
Attendrie et ravie de l'enthousiasme de l'adolescente, Odette rétorqua :
— Le druidisme est un vaste sujet. Je te propose de nous hâter afin de nous rendre chez mon ami Ludovic Gallier. Je l'ai déjà appelé, il nous attend. Nous passerons la journée chez lui.
Penny se renfrogna légèrement, elle objecta avec humeur :
— On est vraiment obligées d'aller chez ce vieux bonhomme ?
— Il est le dépositaire de la mémoire de l'ordre.
Pas véritablement rassurée par cette information, l'évenement de son enfance restait en filigrane dans ses souvenirs, Penny faillit protester encore. Elle y renonça, mais se dit : « Va falloir que je reste à l'écart du jardin aromatique. »
Sur cette pensée, elle se leva de table, imitée par sa grand-mère. Ensemble, elles débarrassèrent la cuisine puis la quittèrent. Quelques minutes plus tard, la jeune fille et la vieille femme montaient dans la Clio bleue. Bientôt le véhicule s'éloignait de la maison aux roses...
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Forêt Amazonienne
Surprise par l'action de Rékaël, Lophalia avait tremblé pour Penny. Fort heureusement, l'intervention de l'aïeule avait permis que le dragon soit repoussé. Cependant la présence d'une druidesse dans l'entourage de la jeune fille l'étonnait. Tout comme son adversaire, elle pensait qu'il n'existait plus de véritable magicienne au sein de la population humaine. Quoique magicienne ne semblait pas vraiment convenir. Quoi qu'il en soit, cette découverte rassérénait Lophalia ; avec un tel allié, les chances que l'adolescente arrive jusqu'à elle sans encombre, augmentaient sensiblement.
La licorne savait qu'elle devait rester prudente, le dragon lui réservait sans doutes de mauvaises surprises. Cependant son espoir grandissait, elle envoya ce message en direction de Penny : "Hâte-toi mon enfant, il est plus que temps !"
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Le véhicule d'Odette traversa Allègre, avant de rejoindre une petite route goudronnée, suivie d'un chemin pierreux qui se terminait à la lisière d'un sous-bois. La vieille femme arrêta son véhicule sur une bande de terre.
— À présent, nous devons continuer à pied. Dit-elle.
Penny sans surprise, hocha la tête. Elle se rappelait que la maison de l'homme en question, se dressait en pleine forêt. Elle s'était chaussée et habillée en conséquence : baskets souples, short en jean, et tee-shirt en coton rose fuchsia, sur lequel était imprimé : Sauvez les baleines.
En réalité, ce vêtement appartenait à sa mère, Penny l'avait déniché dans un carton contenant des habits destinés à une association caritative. Il lui avait plu, elle l'avait gardé, moins pour le message que pour la forme et les couleurs. Cela prouvait quand même, aux yeux de la jeune fille, que sa mère, à une époque, possédait une conscience écologique. Ce qui lui paraissait improbable à présent, tant Patricia se plaisait à lui dire : "Ce ne sont pas les bobos écolos qui vont remplir le frigo et payer tes études". La grand-mère de Penny, par contre, ne manquait jamais de transmettre nombre de messages à sa petite-fille, même si cela l'assommait un peu, sa sensibilité en restait touchée.
Ainsi passèrent-elles dans le sous-bois. Là, croissaient de façon anarchique, arbustes, fougères et jeunes arbres. Ces lieux, propices aux lichens, mousses et champignons, dispensaient une fraicheur bienvenue, après la chaleur, déjà accablante de ce milieu de matinée.
Penny restait dans les pas de sa grand-mère qui venait de s'engager sur une sente étroite tracée au milieu de jeunes pins vert foncé, à ramure large. Le son rafraichissant d'une source proche arrivait jusqu'à elle. La musique liquide s'associait aux chants des oiseaux. Odette et l'adolescente entraient sur un lieu de paix.
Elles marchèrent presque une heure, cela passa très vite pour Penny qui prit même plaisir à cette randonnée. Quand elles débouchèrent enfin dans une vaste clairière, la jeune fille sentit de vagues réminiscences de son enfance lui revenir. Entre autres, elle reconnaissait le vieux chêne, au tronc épais, à la ramure impressionnante et au feuillage luxuriant. Cet arbre vénérable, côtoyait la demeure du vieux Gallier, qui ressemblait à une chaumière d'antan, avec son toit recouvert de paille et ses murs blanchis à la chaux, ornés de treillage coloré de rouge passé. La porte de bois patinée par l'âge, s'ouvrit et un homme sortit de l'habitation. Grand, massif, il semblait robuste malgré son âge, trahi par sa chevelure blanche comme neige, son visage strié de rides, et son regard voilé d'une légère cataracte. Sa voix tonitruante s'exclama :
— Belle Odette, te voilà donc. Tu n'es pas en retard.
Il s'avança vers elle et l'étreignit sans cérémonie, avant de planter sur les joues couperosées de la vieille femme, deux baisers sonores. Celle-ci ravie s'exclama :
— Aucune raison d'être en retard mon ami ; par ailleurs, je suis sûre que tu nous as senties arriver ?
— Dès l'instant où vous avez franchi le cercle de champignons.
D'une voix soucieuse, elle demanda :
— Cette protection sera-t-elle suffisante ?
Ludovic perçut l'inquiétude dans sa voix, il se fit rassurant :
— Tu es en sécurité ici.
Odette se détendit un peu. Soudain, elle se rappela la présence de sa petite-fille. Celle-ci se tenait en retrait, intimidée, les mains jointes derrière le dos, l'adolescente dansait d'un pied sur l'autre ne sachant quelle attitude adopter. La vieille femme la désigna au vieil homme :
— Tu te rappelles sûrement de Penny ?
Celle-ci eut un sourire incertain avant d'oser lancer un timide : "Bonjour."
Cependant le visage jovial du vieil homme s'éclaira d'un sourire, il tonna :
— Penny évidemment, tu es devenue bien jolie, mais je ne devrais pas être surpris, avec une telle grand-mère.
Il jeta un coup d'œil à Odette, qui leva les yeux au ciel, tandis que la jeune fille un peu gênée, baissait les yeux sur ses baskets fluo.
Cependant, Ludovic reprenait :
— Mais je parle, je parle, et je manque à tous mes devoirs d'hôte ; je vous en prie, belles visiteuses, entrez dans mon humble logis...
Il s'effaça, Penny entrainée par sa grand-mère, passa le seuil de la chaumière ; en même temps, elle récupéra son smart-phone dans l'unique poche de son short, et regarda discrètement l'écran ; une voix moqueuse lui lança :
— Inutile de vouloir jouer les Geeks ici, il n'y a pas de réseau !
Elle sursauta, leva les yeux, et rencontra un regard outremer moqueur, qui la toisait avec un brin de condescendance, un vague sourire étirait les lèvres minces de cet adolescent gratifié d'une séduction masculine qui parla immédiatement à la jeune fille. Elle en resta bouche-bée, et se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux.
Cependant, sa grand-mère, sans s'apercevoir du trouble de l'adolescente, s'étonna :
— Ça alors ? Ne me dis pas que c'est Aden ?
Ludovic tout sourire, répondit :
— C'est bien lui.
— Mais la dernière fois que je l'ai vu, c'était un petit garçon !
— Odette, tu perds la tête, cela fait 6 ans qu'il n'est plus venu ici...
— Vraiment ?
Une discussion s'engagea entre les deux amis, tandis que le jeune homme continuait à fixer Penny.
Penny qui, sans résistance, laissait son être se noyer dans les prunelles marines d'Aden...
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