Révélations

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Il y avait eu le rire d'Aden, et l'âme de Penny avait chanté, puis brusquement, alors que le jeune homme répondait à sa question, un déferlement sauvage emportait l'adolescente, la glaçant jusqu'au cœur. 

Une malveillance venue du fond des âges l'enveloppa et elle ne possédait aucune arme pour empêcher cette obscurité de la malmener. Une terreur sans nom, jamais ressentie, s'imposa à  son esprit relativement épargné jusqu'ici, l'affreux ravisseur y déversait son ignominie. Alors elle hurla son refus et l'adversaire stupéfait chancela et fut violemment repoussé.

Penny voyait le visage d'Aden penché sur elle. Étendue dans la petite cuisine, elle se sentait sans force, incapable de bouger, le corps comme du coton, les oreilles bourdonnantes ; le jeune homme lui parlait, mais elle ne l'entendait pas. Elle ferma les yeux, la fatigue menaçait de la submerger... 

Son esprit fût encore emporté, mais cette fois par un vent très doux et presque aimant... Une voix musicale s'adressa à elle, une voix qui disait :

— Pardonne-moi, douce Penny...

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle

— Je me nomme Lophalia et j'ai besoin de toi. 

— J'ai l'impression de vous connaître...

— Plusieurs fois, j'ai essayé de t'atteindre.

— Ce n'est pas vous qui m'avez agressée ?

— Non, c'est Rékaël, l'adversaire, le mien et le tien, celui de toute l'humanité...

— Que me veut-il ?

— Il veut que tu le conduises jusqu'à la dernière porte, mais il ne faut pas qu'il l'atteigne !

— Une porte ?

— Dimensionnelle...

— Je ne crois pas trop à ces trucs-là, mais admettons, vous n'avez pas qu'à la fermer !

— Je n'ai le pouvoir, ni de l'ouvrir, ni de la trouver, ni de la fermer ; toi seule le peux et j'ai besoin que tu le fasses pour moi. 

— Pourquoi vous et pas... Rékaël ? Je veux dire qu'est-ce qui me prouve que vous êtes mieux que lui ? 

— Rien, je te l'accorde, aussi tu as le droit de refuser de m'aider, mais sache que tant que cette porte a la possibilité d'être ouverte, elle ne saurait être fermée de façon définitive. La verrouiller ne sera possible qu'après le passage d'un être ancien...

— Comme vous, je suppose ? 

Penny n'eut pas de réponse, une autre vague l'emporta, la communication se coupa et elle reprit conscience...

*****

Le vieux couple filait sur les chemins forestiers, en courant. Suant et soufflant, toussant parfois, oubliant les douleurs de leurs corps usés par les années, ils étaient revenus aussi vite qu'ils le pouvaient à la chaumière de la clairière. 

Odette fut la première à pousser la porte, d'une voix angoissée, elle appela :

— Penny ?!

La voix étouffée d'Aden lui répondit :

— Nous sommes ici !

La vieille femme et Ludovic notèrent l'inquiétude dans l'intonation de l'adolescent, ils se précipitèrent en direction de la cuisine. 

Odette pâlit en voyant sa petite-fille étendue sur le sol, le visage exsangue ou presque, et la tête dodelinante. Aden dont les traits tendus traduisaient l'angoisse, tentait de la relever. Son grand-père lui dit aussitôt :

— Surtout ne la bouge pas, écarte-toi...

Il obéit sans discuter et se remit sur ses pieds. Ludovic s'agenouilla auprès de l'adolescente et, avec précaution, commença à l'examiner...

Chaîne de l'Himalaya 

Rékaël était furieux, la contre-offensive de la jeune fille l'avait totalement pris au dépourvu, le vidant d'une bonne partie de son énergie. Il tomba à genoux sur le sol glacé, reprenant son souffle, un liquide noir et visqueux s'échappa de ses narines. D'un mouvement rageur, il l'essuya avant de s'adosser à la cascade gelée. Il ferma les yeux, son épuisement était réel, et il s'interrogea : "Comment cela est-il possible ?"

Bien sûr, l'attaque de la jeune fille avait été instinctive, maladroite même, puissante cependant. En définitive, il décida qu'elle avait sûrement hérité des capacités de sorcière de son aïeule, et qu'en conséquence, sa surprise n'avait aucune raison d'être. 

L'adversaire se redressa avant de péniblement se relever. Il chancela, prit appui sur les cataractes de glace et serra les dents. Son malaise s'estompant peu à peu, d'un pas incertain, il se remit en chemin...

France - Allègre - Maison de Ludovic Gallier

Le vieil homme termina son examen, puis déclara :

— Bon, à première vue, rien de grave, juste un épuisement conséquent, il faudra qu'elle se repose...

À moitié rassurée, Odette rétorqua :

— Pas de mais ? 

— Il y a toujours des mais, je testerai son aura plus tard ; ceci dit, il est urgent de rétablir les barrières de protection.

Avec délicatesse, il souleva Penny et ordonna à son petit-fils :

— Va ouvrir le lit de la petite chambre à côté de la tienne...

Aden obéit. Penny, quant à elle, avait écouté les propos de Ludovic, sans réel affolement, juste une extrême lassitude. Sa fatigue l'empêchait de mettre deux idées bout à bout et de se faire du souci. Elle sentit qu'on l'emportait avant d'être déposée sur des oreillers moelleux ; elle se laissa aller, d'agréables senteurs de fleurs effleurèrent son odorat, cela termina de la détendre et sans résister, elle plongea  dans le sommeil...

L'adolescent glissa sur Penny une couverture matelassée en patchwork. Ensuite, de façon  naturelle, il se proposa pour veiller sur le sommeil de la jeune fille. Le vieil homme, repoussant son offre, lui dit :

— Va plutôt terminer la préparation du déjeuner, Odette restera auprès d'elle. 

Les sourcils bruns d'Aden se froncèrent, son front se plissa de contrariété, il serra les poings. Ludovic remarqua les prunelles marines étinceler.

— Mais.... commença à dire le jeune homme. 

— Tu es encore là ? le coupa son grand-père.

Cette fois, ils s'affrontaient du regard, comme les deux fortes personnalités qu'ils étaient. L'adolescent baissa les yeux le premier ; il se détourna et se rua hors de la pièce en protestant d'une voix inaudible. Ludovic lui lança :

— Dans la joie et la bonne humeur !

Bien sûr, il n'eut aucune réponse. Ludovic sourit en secouant la tête tandis qu'Odette constatait :

— Ôte-moi d'un doute, vous avez le même caractère ? 

Le vieil homme rétorqua :

— Touché !

Ensuite, il reprit son sérieux et demanda :

— Te sens-tu capable de maintenir une protection provisoire autour d'elle, le temps que je refasse un peu de cordial ? 

La vieille femme soupira :

— Je vais essayer, en espérant que cela sera suffisant. Combien de temps ? 

— Une demi-heure, trois quarts d'heure. Heureusement, j'ai tout ce qu'il me faut dans mon cabinet. 

Odette hocha la tête, avant de demander :

— Et après ? 

— Pour gagner du temps, je limiterai la protection à la clairière et la maison ; nous déjeunerons, et je partirai voir Côme. J'essayerai de le décider à m'accompagner ici, nous allons avoir vraiment besoin de lui. 

Il contempla le visage calme de la jeune fille qui reprenait des couleurs ; cela fit espérer à Ludovic que l'incident n'aurait pas de conséquences trop graves sur elle. Il se détourna en concluant :

— Je me dépêche.

Il quitta la pièce, laissant la vieille femme seule avec sa petite fille.

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