Rétablissement
Chaîne de l'Himalaya
Quand Rékaël sortit de son inconscience, il avait chaud. Allongé auprès d'un feu crépitant, il se tourna sur le dos et leva les yeux. Un plafond en solives de bois noircies de fumée lui apparut.
Soudain une voix rugissante s'exclama : "Ah ! Tu es enfin réveillé !"
L'adversaire se redressa. Il avait gardé sa forme humaine, était nu et se retrouvait étendu sur une épaisse fourrure de yack. Le dragon nota aussi l'odeur puissante et musquée qui en émanait. Cela ne le dérangeait pas vraiment, par contre il se demanda : "Où suis-je ?"
Sa réponse lui fut donnée lorsqu'un hominidé de presque deux mètres, au corps recouvert de poils drus, blancs cassés et au faciès simiesque, entra dans son champ de vision.
— Votaël !? S'exclama le dragon. La créature rit avant de répondre :
— Sois heureux que ce soit moi ; dans le cas contraire, tu te serais retrouvé dans la même situation qu'en 1789, à Paris, au moment de la prise de la Bastille. Tu as fait fort à cette époque, mais à souffler sur les braises, on ne récolte que des flammes... c'est une image bien sûr... Pourquoi cette bande de sorcières humaines te poursuivaient déjà ? Tu leur avais pris un objet, me semble-t-il ? Tu te faisais appeler à l'époque le comte de... Je ne sais quoi... Et...
— Assez ! S'écria Rékaël.
L'hominidé, sans se vexer, s'avança en soupirant : "Décidément, tu as toujours aussi mauvais caractère..." Il portait dans ses larges mains un bol de bois d'où s'échappait une légère fumée. Il l'apporta au Dragon en disant :
— Mange, cela te redonnera les forces nécessaires, pour que tu puisses repartir de chez moi rapidement.
Rékaël s'en saisit, non sans s'étonner :
— Pourquoi es-tu encore là ? Je pensais que tu avais quitté ce monde ?
— Pourquoi le ferai-je ? Ici, c'est ma maison...
— Tu es un immortel, un ancien ; tous les autres sont partis depuis bien longtemps, tu n'as plus rien à espérer d'eux, de cette Terre à l'agonie !
L'hominidé le contempla longuement, puis répliqua :
— Il y a toujours de l'espoir, ils finiront par comprendre ; par ailleurs, il n'y a plus de portail à présent, le dernier a été clos il y a plus d'un siècle...
— Erreur, il est juste caché, dissimulé...
Sans paraître surpris outre mesure, la créature simiesque haussa les épaules en déclarant :
— Même si c'est vrai, il n'y a plus personne pour le trouver et encore moins l'ouvrir... À présent, mange, tu rejoindras ta grotte après...
Rékaël faillit le contredire, mais y renonça, à quoi bon révéler à celui qui fût son compagnon d'armes autrefois, que Lophalia avait trouvé une humaine capable de localiser le dernier portail ? Il aurait vite compris qu'il comptait capturer la fille pour l'utiliser à son profit. L'adversaire plongea une cuillère de bois dans la nourriture contenue dans l'écuelle et, avec appétit, entama le succulent ragoût cuisiné par l'hominidé...
Votaël était sorti, le temps que son invité termine de manger. Il referma la porte et s'avança sur le chemin enneigé qui descendait, en pente douce, jusqu'à un petit autel de pierres rondes, dressé en l'honneur de Terre-Mère. Il continuait à la vénérer à la manière ancienne. Hélas, il n'avait pas toujours de réponses à ses prières ou, du moins, ses réponses étaient comme des aiguilles douloureuses et rougies de feu qu'on lui enfonçait dans les chairs. Les douces ondes dont elles le caressaient autrefois se faisaient bien rares en ces temps de douleur pour la Sainte Mère.
Une fois devant le petit tabernacle, il le déblaya de la neige qui s'était accumulée depuis le matin. Celle-ci ne tombait plus à présent et le froid devenait plus mordant. Il arrangea les divers objets exposés : une rose des sables, qu'il avait rapporté du désert du Sahara, une pierre d'ambre où était piégé un insecte, une pépite d'or, une petite bouteille de cristal, dans laquelle il conservait de la terre d'Afrique, et enfin un sablier provenant du monde magique, cadeau d'un elfe qui avait été désolé de le voir rester parmi les humains.
En même temps, il réfléchissait sur les desseins de Rékaël. Il n'était pas besoin pour lui, que le Dragon lui explique pourquoi il était sorti de son sommeil ; il savait déjà qu'il manigançait quelque chose, sans doute en rapport avec ce portail, soi-disant actif. Votaël supposait qu'il rêvait de l'utiliser, afin de quitter le monde des humains. De toute évidence, la condamnation de ses pairs, Rékaël n'en avait pas grand-chose à faire.
L'hominidé n'avait pas participé au jugement à l'époque, observant, comme c'était son droit, une parfaite neutralité. C'était encore le cas aujourd'hui. Il se refusait à juger Rékaël, qui avait certes basculé dans l'obscurité, mais restait à ses yeux un ami, même s'il évitait sa compagnie depuis ses décisions et actions plus que contestables.
Votaël termina d'arranger l'autel, puis resta immobile dans le froid à méditer... Pendant ce temps, dans sa cabane, le Dragon finissait de se restaurer...
France - Allègre - Maison de Ludovic Gallier
Penny sortait du sommeil, lentement et sereinement. Elle se sentait incroyablement bien, remplie d'énergie même. Des bruits de voix attirèrent son attention, elle tendit l'oreille, et reconnut celle de sa grand-mère, du vieux rebouteux, et une troisième également qu'elle ne put identifier.
Sans attendre, elle repoussa la couverture de patchwork qui la recouvrait et bascula ses jambes hors du lit. Elle se leva enfin, et chercha des yeux ses baskets fluo, qu'elle repéra près d'un vieux coffre en fer rouillé, gravé de signes mystérieux et de créatures fantastiques, dont une licorne. Elle se rappela alors les événements, qui avaient bien faillie l'abattre...
La porte s'ouvrit, elle tressaillit et pivota vers la personne qui rentrait dans la pièce. Il s'agissait d'Odette, sa grand-mère. Celle-ci, heureuse de la savoir réveillée lui demanda :
— Comment te sens-tu, ma chérie ?
— Je vais bien... Assura-t-elle.
La jeune fille se détourna du coffre, son ventre gargouilla, elle découvrit qu'elle mourait de faim. La vieille femme le comprit immédiatement, elle entraîna l'adolescente hors de la pièce en déclarant :
— Nous t'avons gardé ton déjeuner au chaud...
Sans résister et impatiente, elle suivit Odette...
Chaîne de l'Himalaya
Rékaël se remit souplement sur ses pieds, découvrant par ce fait qu'il était en pleine forme, mais aussi, sa nudité. Des yeux, il chercha ses vêtements et autres affaires, il les découvrit près d'une table de bois, rustique, vieille et sans doute vermoulue. Son hôte les avait soigneusement posés sur une chaise tout aussi antédiluvienne que le reste. L'adversaire s'avança, posa son bol vide sur un coffre qui traînait, et s'habilla ; ceci fait, il commença à faire le tour de l'unique pièce de cette cabane. Outre la table, quelques chaises, et un lit dans le coin à gauche de la cheminée, il y avait aussi une sorte d'établi, surmonté d'une étagère où s'entassait dans un joyeux désordre, une profusion d'objets hétéroclites.
Avec curiosité, Rékaël s'en approcha et examina, avec attention tous ces ustensiles...
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