Fureur, Vol et survol
Chaîne de l'Himalaya
Le pas prudent et silencieux, Rékaël s'avançait en direction de la cabane de l'hominidé. En fait, il redoutait une mauvaise surprise en entrant dans le domicile de son ami, il ne croyait pas que Votaël était confiant au point d'être parti sans protéger son lieu de vie. Cependant il était prêt à courir le risque. Posséder cet artefact d'invisibilité lui permettrait de voyager en toute discrétion et d'utiliser ses ailes.
Protégé par l'obscurité nocturne et sans briser le silence hivernal, il arriva vers la porte et l'ouvrit sans attendre. Le battant grinça, le bruit résonna sinistrement dans l'air glacial. Le dragon se figea et dressa l'oreille. Aucun son inquiétant ne lui parvenant, il rentra dans la cabane...
À peine eut-il franchi le seuil, qu'une sorte de vague invisible le repoussa avec force ; il fut jeté dehors sans ménagement, retomba rudement sur le sol enneigé, la porte se referma en claquant devant lui.
Réellement secoué et étourdi, il resta assis sans bouger, comme tétanisé, de longue minutes, puis la rage l'emportant, il siffla entre ses dents : "Ah, c'est comme ça ?" Il commença à se transformer...
Son visage se boursoufla, sa mâchoire s'allongea, elle sembla se disloquer, puis laissa apparaître toute une série de dents pointues et tranchantes, ainsi qu'une longue et large langue bifide. Ses yeux se chargèrent de feu et de cendres, sa peau devint noire, se marbra de veines rouges, se craquela, et se couvrit enfin d'écailles. Ses ailes, enfin, se déployèrent, fines et fortes à la fois, sombres et nervurées d'or...
Sa colère n'avait fait que s'accroître durant la métamorphose ; ainsi, son ventre gronda et se teinta de rouge ardent. Il ouvrit sa gueule, une tornade de flammes jaillit et embrasa la cabane de Votaël qui se consuma en un rien de temps ; ne restèrent plus que des décombres noircis et fumants.
La fureur du dragon se calma aussi vite qu'elle avait surgie. Il réalisa ce qu'il avait fait et sut que la vengeance de l'hominidé risquait d'être aussi implacable que sa colère. Il n'eut pas le temps de le regretter davantage qu'un hurlement retentit dans son dos : "Rékaël, infâme engeance de l'enfer ! Tu vas me le payer !"
L'adversaire fit brusquement volte-face, il n'eut pas le temps d'éviter l'hominidé qui, à une vitesse fulgurante fonçait sur lui. Votaël l'attrapa à bras-le-corps et le jeta avec violence parmi les débris encore fumants de la cabane...
Le choc fut rude pour Rékaël ; cependant, il en fallait beaucoup plus pour l'abattre. Il se redressa vivement, déploya ses ailes et s'apprêta à s'envoler pour échapper au courroux de l'hominidé. Il ne lui en laissa pas le temps, il écarta les bras en psalmodiant à voix haute : "et draco maneat infames".
Rékaël retomba lourdement, incapable de bouger et cloué au sol... Furieux, il tentait de lutter contre le sort lancé par l'hominidé. Peine perdue, on ne pouvait lutter contre la magie qu'avec de la magie. Il se concentra, faisant remonter à sa mémoire les formules qu'il connaissait ; l'une d'elle lui parut appropriée, il cessa de gigoter, ferma les yeux et parvint à prononcer :"Quod sum exemptus".
Aussitôt, il fut libre de ses mouvements, il faillit s'enfuir, mais pensa à l'artefact qui restait sa priorité, il ne pouvait pas partir sans lui, à la condition bien sûr que l'objet ne soit pas consumé par l'incendie ; alors furieusement, il s'élança sur Votaël, il devait d'abord le neutraliser...
Il se heurta à un mur ! L'hominidé balaya son offensive d'un puissant revers de bras, le dragon fut projeté dans les décombres, très près en fait de l'établi et donc de l'étagère qui avaient contenu le bric-à-brac de Votaël. Rékaël effleura de son regard incandescent ce qu'il restait des objets, peu de choses hélas ! Cependant l'un d'eux attira son attention, il s'agissait d'une pierre d'améthyste, celle qui avait orné le médaillon d'invisibilité qu'il convoitait.
De ce qui l'avait entouré, il ne restait plus rien, mais Rékaël supposa que seule la pierre était magique. Il se releva, puis d'un mouvement habile, de l'une de ses pattes arrières, agrippa, dissimula l'améthyste entre ses griffes.
Ensuite il reprit l'offensive, il n'espérait plus vaincre son ami, (le resterait-il ?), mais néanmoins il devait trouver le moyen d'échapper à sa fureur, se dégager et s'envoler loin de la chaîne de montagnes.
Il avait aussi l'obligation de récupérer son sac laissé dans l'anfractuosité rocheuse. Elle n'était pas loin, mais il craignait que Votaël ne lui en laisse guère le loisir.
Alors que ses pensées s'entrechoquaient dans son esprit, il continuait à parer les coups de plus en plus violents de Votaël. Celui-ci frappait de ses poings, de ses jambes, de ses pieds, sans retenir ses coups qui s'avéraient puissants et violents. Son corps était une arme qu'il mettait au service de sa colère.
Le sang noir de Rékaël coulait à présent, il avait de plus en plus de mal à parer l'offensive de son contradicteur. Il tenta de s'envoler et réalisa que s'il pouvait bouger, ses ailes demeuraient à moitié paralysées, le sortilège de l'hominidé restait partiellement actif. Le dragon comprit qu'il ne pourrait pas se sauver, sans neutraliser définitivement son antagoniste.
Il en était sincèrement désolé, mais pas au point d'abandonner, il ne lui restait plus qu'une solution, utiliser son feu intérieur. S'il le faisait, il se mettrait définitivement à dos son dernier allié, cette clairvoyance ne fut pas suffisante pour l'empêcher de passer à l'offensive. Ses entrailles rugirent, les écailles sur son ventre s'illuminèrent, il projeta vers l'hominidé toute la puissance de ses flammes.
Votaël qui ne s'y attendait pas, en fut déconcentré un millième de seconde ; il chancela, en se disant profondément choqué : "Comment peut-il me faire ça à moi, qui l'ai toujours soutenu ?"
Il eut à peine le temps d'établir un barrage magique que les flammes l'atteignaient déjà. La chaleur en elle-même, n'eut que peu d'incidences, par contre l'énergie qui s'en dégageait le projeta violemment en arrière. L'hominidé voltigea dans les airs avant d'atterrir en contrebas de la cabane, sur l'autel de terre-mère, qui s'effondra sous son poids, il perdit brièvement conscience...
Rékaël cessa son attaque, il se redressa péniblement, déploya ses ailes qui, cette fois, avaient retrouvé leur autonomie. Le dragon reprit forme humaine, puis, réellement inquiet, courut en direction de Votaël...
En arrivant vers l'autel brisé, il se baissa et contempla le visage simiesque de l'hominidé, il comprit qu'il était sonné, mais que sa vie n'était pas en danger. Il en fut soulagé, se redressa, le contempla et murmura : "Je suis attristé, vraiment, mais je n'ai pas le choix..."
Puis sans attendre, il s'éloigna en pressant le pas, le corps moulu par les coups reçus, mais en serrant néanmoins l'améthyste, qu'il avait volée, dans sa main...
Un peu plus tard
Votaël reprit conscience, il se releva péniblement, s'extirpant des débris de l'autel de pierres dévasté. Une immense colère l'habitait, mais il parvenait à la maîtriser. En titubant, il retourna vers son logis détruit. Il contempla le désastre, en regrettant à présent de ne pas avoir laissé le dragon garder l'artefact. À présent tous ses biens étaient détruits, et il n'avait plus de toit !
De grosses larmes jaillirent de ses yeux, il tomba à genoux sur le sol froid, et au sein de cette nuit glaciale pleura abondamment sur sa malchance et son amitié perdue pour Rékaël...
Son chagrin était si fort, qu'il toucha par cette intensité, Lophalia qui, bénéficiant d'un répit, au niveau des incendies, méditait près d'une petite mare d'eau. Elle ferma les yeux et alla à la rencontre de celui de Votaël...
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