Un discours de guerre est toujours interminable
Un frisson galopa le long de sa colonne vertébrale. Bouche entr'ouverte, il ne ressentit pas même la sécheresse qui colonisait sa gorge sous l'effet de la peur. Alors, quand son voisin répéta sa question, il l'entendit à peine.
« C'est vraiment lui notre nouveau commandant ? »
C'était un soldat encore jeune, curieux mais crédule. Incapable de saisir l'effroi que suscite un incident si grave et inopportun. La mort d'un général. Non... Son assassinat. Par un rival.
« Oui. »
Sa lame colossale fit une sinistre musique lorsqu'il l'ôta du cadavre. En Arcadia, la puissance bénit les gouvernants et le charisme couronne toute fougue assez forte pour commander. En Arcadia, la loi du plus bestial n'est pas une réalité funeste ; c'est un couperet. Voilà pourquoi, après avoir vaincu en duel le général en chef, le guerrier avait assis sa légitimité.
Mais pourquoi avoir l'air si surpris ? Tous savaient qu'il finirait par surpasser toute autorité à la force de ses poignets. Il n'était pas qu'un prodige, à l'aise avec chaque arme qui lui plaisait ; il n'était pas qu'une montagne de muscles, terrassant des adversaires monstrueux sans peur aucune ; il était... Unique. D'une terrifiante manière.
« À genoux, soupira-t-il. »
Tétanisée, l'assemblée n'agit pas.
« À GENOUX ! »
Chaque soldat s'exécuta.
Une vague de fatigue avait affaibli leurs jambes mais c'est l'impulsion d'une voix profonde qui les avait contraints à sujétion. Contraints ? Non, ils avaient accepté de s'asservir à celui qu'ils savaient être un génie du combat. Doublé d'un boucher inouï.
« Céans et sans souffrir soupçons ni résistances, par le pouvoir de ma volonté propre je consens à porter votre destin, comme le destin d'un seul homme, afin de forger un peuple fort et uni qui ne connaît de frontières qu'en tant que fronts de guerre qui seront autant de marches vers un gouvernement impérial, un royaume grandiose qui sublimera les talents de chacunes et chacuns, indistinctement de vos naissances et des marques rétrogrades, pour que la gloire ne soit pas le nid de la médiocrité mais qu'elle révèle l'impétuosité qui nous pousse vers l'infini majesté de l'empyrée, à laquelle vous aspirez et qui pourra, pour qui osera la vêtir, embraser vos prépotences de sorte que notre si évidente supériorité étende son règne inexorable sur les contrées des incivilisés qu'il nous faudra conquérir, puis former à nos idéaux martiaux, apportant rénovation à leurs organisations défaillantes et corrigeant les faiblesses de ces régimes avilissants qui ramolissent les excellents au profit des épuisés, dans un débilitant cercle vicieux qu'ils appellent lumineux mais dont les fonctions pernicieuses sont oublieuses de l'injuste distribution des ressources et de toutes les particularités qui nous caractérisent, mais qui sont écrasés sous le poids de la facilité à laquelle je refuse de céder une trêve quelconque, parce qu'on peut, quand on le veut, construire sinon un trône par citoyen, au moins un rêve commun. »
Grisés, sans un mot ni une grimace, aucun des soldats n'aurait eu l'idée saugrenue ne serait-ce que de contester la harangue, dont ils ne comprenaient pas qu'elle promettait une souffrance infinie, à laquelle ils consentirent, brisés.
Car malgré les palabres, elle ne déclarait que... La guerre.
Annotations
Versions