17. Terrible nouvelle parisienne
Théo
Finalement, un boulot à la mairie, ce n’est pas si mal, surtout pour les horaires. Il est à peine dix-sept heures dix et je suis déjà dans le petit coin potager à ratisser et à enlever les mauvaises herbes qui poussent comme du chiendent. Le climat normand, avec ses averses fréquentes et le beau temps qui alterne, fait des merveilles pour que tout pousse, même ces pissenlits dont je me passerais bien. J’ai décidé de planter des épinards parce que j’adore ça, et me mets à la tâche avec énergie, ce qui fait que je ne mets pas trop de temps à finaliser le semis. J’observe le résultat fini, appuyé sur mon râteau quand mon téléphone sonne. Je le sors de ma poche et vois que c’est Priscillia qui m’appelle. Je suis surpris car c’est rare qu’elle le fasse en pleine semaine, mais je décroche, ravi d’avoir un peu de ses nouvelles.
— Bonjour Priscillia ! Content d’avoir de tes nouvelles ! Tu vas bien ? demandé-je, le sourire aux lèvres.
Cependant, c’est le silence qui me répond et c’est inquiétant.
— Priscillia ? Tu es là ? Allo ?
Elle a dû faire une fausse manipulation et m’appeler par erreur. J’imagine bien ses jolies petites fesses presser les boutons dans la poche de son uniforme et je me dis que je ferais mieux de raccrocher quand une voix masculine prend la parole.
— Allo, Théo. C’est Henri Watrelos à l’appareil, le collègue de Priscillia.
Henri ? Le vieux Henri qui bosse avec elle ? Mais pourquoi m’appelle-t-il de son téléphone ? Tout à coup, je sens mes angoisses me reprendre. S’il m’appelle, c’est qu’il s’est passé quelque chose et qu’il va sûrement falloir que je bouge à nouveau. Oh mon Dieu, faites qu’on ne me renvoie pas dans un hôtel miteux ailleurs en France !
— Henri ? Mais c’est bien le téléphone de Priscillia, non ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Ils m’ont retrouvé ? demandé-je en commençant vraiment à paniquer.
— Non, non, il n’y a aucune raison de penser qu’ils vous ont trouvé, Théo. Je… C’est un peu compliqué à expliquer. Est-ce que vous avez quelques minutes à m’accorder ?
— Euh, oui, je vous écoute. J’ai fini ma journée, là, j’ai toute la soirée.
— Bien… Je vous appelle pour vous dire que je vais reprendre votre affaire, en fait. Enfin, disons que je deviens votre interlocuteur privilégié.
Je le sens vraiment gêné et me demande ce qu’il s’est passé. Quelqu’un s’est rendu compte que Priscillia couchait avec moi et ils l’ont mutée sur une autre enquête ?
— Et qu’est-ce qui motive ce changement ? cherché-je à savoir. On a confié d’autres missions à l’inspecteur Decroix ?
— Non… Il y a eu… En fait… bafouille-t-il avant de se racler la gorge. On a dû intervenir hier dans un quartier sensible et… elle a été tuée, Théo.
— Vous rigolez ou quoi ? Qu’est-ce qu’elle serait allée faire dans un quartier sensible ? Elle est en charge des affaires criminelles, pas de la petite délinquance !
Mon cerveau refuse d’assimiler ce qu’il est en train de me dire et je n’arrive pas à croire à ce qu’il me dit. Je me demande pourquoi il me sort cette histoire à dormir dehors.
— C’était dans le cadre d’une enquête criminelle, vous croyez quoi ? grogne-t-il avant de soupirer. Désolé pour cette nouvelle, croyez-moi, j’aurais préféré ne jamais avoir à annoncer ça.
— Mais alors, c’est vrai ? demandé-je en m’effondrant sur le sol, à côté de mon râteau tombé à terre. Mais, ce n’est pas possible ! Elle devait passer me voir ce weekend… Et elle était si jeune… Non, je ne peux pas y croire. Ça s’est passé comment ?
— Je ne suis pas autorisé à vous donner les détails, Théo, je suis désolé. Mais… tout porte à croire que c’est en lien avec la mafia…
— Elle est morte à cause de moi ? C’est ça que vous voulez dire ?
— Non, je veux dire que c’est à cause de ces enfoirés de russes engagés par le grand boss de votre ancienne boîte, Théo. Vous ne devez pas culpabiliser, Priscillia connaissait les risques.
— Mais si je n’avais rien dit, elle serait encore en vie, c’est horrible… murmuré-je, le téléphone toujours vissé à mon oreille. Et je vais devoir encore déménager, je suppose. De toute façon, si c’est pour causer encore d’autres morts, autant que je les laisse me trouver et qu’on en finisse.
— Bien sûr, et Priscillia sera morte pour rien. Brillante idée, bravo, ronchonne-t-il. Vous restez où vous êtes. N’oubliez pas que parler a permis d’arrêter les essais et donc de sauver beaucoup de vies.
— Ouais, c’est ça. Et combien de morts inutiles par la suite ? Bref, merci de m’avoir prévenu.
Je raccroche avant qu’il n’ait le temps de continuer à essayer de me faire la morale. Je sais que je suis responsable de la mort de la jolie jeune femme avec qui j’ai passé trop peu de moments. Et je ne sais même pas si elle laisse une famille derrière elle. Qui va la pleurer ? Qui va l’accompagner au cimetière ? Je ne sais rien de tout ça, tout ce que je sais, c’est que ça fait mal. C’est horrible en plus d’apprendre ça comme ça, au téléphone. La seule personne qui s’intéressait encore un peu à moi est morte. Je ne retiens plus mes larmes et me laisse aller à pleurer, toujours à genoux par terre.
— Guizmo, stop ! crie Lyana au loin alors que la boule de poils vient s’allonger près de moi sans écouter sa maîtresse. Pardon, je ne sais pas pourquoi il… Ça ne va pas, Théo ?
Je ne parviens pas à répondre et continue à sangloter en levant les yeux vers elle. L’image de Priscillia se superpose et floute encore plus ma vision. Plus jamais, je ne la verrai. Elle est morte. Décédée. Assassinée. Et c’est de ma faute.
— Je… Tu veux que je te laisse ? Je… bafouille-t-elle avant d’approcher et de s’agenouiller à côté de moi. Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu t’es fait mal ? Tu… Qu’est-ce qu’il y a ?
Je fais non de la tête et m’essuie les yeux en essayant de reprendre un peu contenance.
— C’est Priscillia. Elle est morte… C’est horrible…
Je n’arrive pas à en dire plus car les sanglots me reprennent et j’ai l’impression d’être étouffé par le sentiment de culpabilité qui revient me frapper de plein fouet.
— Oh… Je suis désolée, Théo. C’est… terrible. Toutes mes condoléances, soupire Lyana en me caressant le dos tandis que Guizmo pose sa tête sur mes genoux. Priscillia, c’est l’amie qui devait venir la semaine dernière, c’est ça ?
Même si je n’aime pas les chiens, j’avoue que tous ces contacts me font du bien et que je commence à reprendre pied peu à peu. Je me tourne vers ma voisine et m’effondre sur elle alors qu’elle passe ses bras autour de moi et me laisse sangloter, blotti contre elle.
— Oui, c’est bien elle. Elle… a eu un accident et elle est morte hier. C’est tellement injuste, si jeune et maintenant, je me retrouve vraiment seul. C’était la seule qui me connaissait vraiment et qui, malgré tout, continuait à s’occuper de moi.
— Je ne crois pas que tu aies besoin qu’on s’occupe de toi, Théo, et… dans tous les cas, tu n’es pas seul, tu as un Husky comme compagnon et sa maîtresse un peu folle, tu vois ? On est là, nous. Je suis vraiment désolée pour toi, c’est terrible…
— Désolé, c’est vrai, vous êtes là, tous les deux, mais c’est tellement inattendu… Je n’arrive pas à vraiment réaliser. Tu te rends compte que la dernière fois que nous nous sommes vus, on s’est juste dit “au revoir” et rien de plus ?
— Il est rare qu’on ait le temps de dire adieu et merci pour tout, malheureusement… Tu ne veux pas rentrer ? Boire quelque chose ? Te poser ? Je veux dire… Les commères du village ont les yeux partout, tu sais ?
— Je m’en fous des commères ! rétorqué-je brusquement, avant de me reprendre. Oh, ce n’est pas contre toi, tu as sûrement raison, mais je n’arrive plus à réfléchir là. J’ai l’impression que je vois Priscillia partout, que sa présence irréelle flotte autour de moi comme pour me narguer. Je m’en veux de ce qui lui est arrivé. Elle était devenue tellement importante pour moi ces derniers temps. Et elle est morte, sangloté-je.
Je n’arrive plus à retenir mes larmes à nouveau, mais ne résiste pas quand Lyana se saisit de mes mains et me force à me redresser avant de m’attirer à sa suite jusqu’à mon petit salon où elle me pousse gentiment à m’asseoir. Je suis comme un pantin entre ses mains et me laisse guider sans volonté. Je l’observe aller dans la cuisine et me remplir un verre d’eau pendant que son chien pose son museau sur mes pieds. Elle revient et me le tend. Je suis touché par sa gentillesse et encore plus surpris quand elle ne me laisse pas en plan mais s’installe à mes côtés. Elle replie ses jambes sous elle afin de pouvoir se rapprocher tout contre moi et vient entourer mes épaules de son bras en posant sa joue contre la mienne.
— Ça va aller, tu sais. Je me suis assez donné en spectacle, tu peux rentrer chez toi, si tu veux.
— Je ne bouge pas de là. Il n’y a pas de spectacle, juste des émotions qu’on ne contrôle pas. Et tu as beau te dire que tu préférerais être tout seul, quand tu le seras vraiment, ce sera encore plus difficile. Je suis là.
— Merci Lyana, soufflé-je. Ça me fait du bien, en effet, mais je ne veux pas abuser de ta gentillesse… Je suis un grand garçon, tu sais, et même si je suis triste, je vais survivre.
— Ne dis pas de bêtises, voyons ! Je ne serais pas là si ça me dérangeait. Je ne suis pas très douée pour consoler ou… Je ne sais pas. Mais, je suis là.
Je suis vraiment soulagé de ne pas être seul avec ma souffrance, seul avec ma peine. Et je lui suis vraiment reconnaissant de ne pas me poser plus de questions que ça sur l’accident, cela m’évite de mentir et de rajouter à mon sentiment de culpabilité l’impression d’être un salaud. Je ne sais pas comment ça se fait, mais pleurer devant elle ne me dérange pas du tout. Moi qui suis de nature pudique, je suis en train de complètement craquer devant elle, et loin de la faire fuir, j’ai l’impression que cela ne la rebute pas le moins du monde. Elle continue à me murmurer à l’oreille que ça va aller, ses mains continuent à me caresser pour me réconforter. Priscillia, la femme que je considérais comme ma seule amie est morte, je ne pourrai rien y changer, mais dans les bras de Lyana, j’ai un peu l’impression que l’issue ne sera pas fatale et qu’il y a un avenir possible quelque part. Si loin et pourtant si proche. Lyana, c’est l’espoir qui s’est incarné en elle.
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