26. Le lac de la tentation
Lyana
Je jette un coup d’œil derrière moi avant d’ouvrir le portillon qui mène dans la cour de Théo en espérant qu’il n’ait pas fermé à clé sa porte vitrée. Je crois que je n’ai jamais autant rechigné sur une mission. Honnêtement, ça m’enquiquine de devoir l’espionner, de faire des choses dans son dos et qu’il soit impliqué dans cette galère. Il n’a pas idée de ce qui se trame en ce qui le concerne, j’en suis quasiment certaine, même si je comprends mieux son fonctionnement maintenant que je sais ce qu’il en est.
Guizmo se met à aboyer lorsque je clenche la porte qui reste malheureusement fermée.
— Mais tais-toi, gros bêta, c’est moi ! grondé-je. T’es pas super futé, finalement, boule de poils.
Je fais demi-tour et sursaute en voyant Lorette, la boulangère, en train d’ouvrir le portail. C’est ce qu’on appelle être grillée en beauté, ça.
— Salut Lorette ! crié-je en refermant le portillon avant de me diriger vers elle. Oh, tu me ramènes le pain ? Il ne fallait pas, je t’ai dit que j’allais passer.
— Bonjour Lyana. Tu cherchais Théo ? Il n’est pas à la mairie à cette heure-ci ?
— Non, j’ai lancé la balle de Guizmo comme un pied, je pensais qu’elle était dans sa cour, mais il faut croire qu’elle a atterri au jardin public.
Les vieilles habitudes ont la vie dure et j’ai l’impression de réussir à mentir trop facilement.
— Eh bien, quelle force ! Tu as de vrais biscotos, toi !
— Oh, tu sais, la cour donne sur le jardin de ce côté-là, ris-je. Merci pour le pain, c’est gentil, je n’étais pas très en avance. Je vais te chercher les sous, j’arrive.
Je ne lui laisse pas le temps de me répondre ou de s’inviter et vais récupérer de l’argent dans ma voiture. Théo ne devrait pas tarder à rentrer et je n’ai pas fini de préparer la salade.
— Tiens, garde la monnaie, c’est pour le déplacement.
— Oh mais non, je te le mets sur ton compte, tu pourras te prendre un pain aux raisins la prochaine fois que tu viens !
— On verra ça, souris-je. Je suis désolée mais j’ai des œufs sur le feu, il faut que je file. Encore merci, Lorette, et bonne fin de journée !
Encore une fois, je ne m’attarde pas et l’entends me saluer alors que je monte les marches qui mènent à la porte de la maison, baguette en main. Il va falloir que je reporte mon opération intrusion, ça m’apprendra à me plonger sur un nouveau projet de graphisme plutôt que de faire ce pour quoi je suis ici. Même si sincèrement, je préférerais n’être là que pour ma vraie passion et non pour cette mission qui me dérange.
Je finis de préparer rapidement le sac pour le pique-nique et embarque, comme toujours, une gamelle pour Guizmo ainsi que quelques jouets. J’aperçois Théo qui rentre de la mairie et entends l’eau couler de son côté tandis que je me regarde dans le miroir. Je dois me mettre en opération reconquête et ça me crève le cœur parce que je n’ai aucune envie de lui faire du mal. Il faut aussi que je sois prudente, vu sa réaction après notre nuit ensemble. Je me suis fichue dans un pétrin pas possible à vouloir m’écouter moi plutôt que de rester concentrée sur ce que j’avais à faire ici.
Il met à peine quelques secondes à ouvrir lorsque je frappe à sa porte et je ne peux manquer son regard qui me détaille de la tête aux pieds. J’ai juste enfilé une petite robe d’été blanche et je suis en train de me dire que s’il y a du vent, ça va être sympa de la jouer Marilyn Monroe toute la soirée.
— Bonsoir, Théo. Tu es prêt à partir ?
— Bonsoir Lyana. Prêt à partir, au lac ou pour le bout du monde, tant que la compagnie est agréable, le chemin paraîtra court !
Guizmo aboie et va réclamer sa caresse, et je ne manque pas le sourire de Théo qui s’exécute.
— Je vois que c’est une grande histoire d’amour tous les deux, maintenant, souris-je en sortant.
J’hallucine de voir mon chien attendre que mon voisin ait fermé la porte de chez lui à clé avant de sortir à sa suite. C’est dingue. La bête devient un traître.
— Je t’ai dit que lui m’avait adopté, au moins. Il sait reconnaître les âmes en peine. Tu es sûre que c’est un Husky et pas un Saint Bernard ?
— Dieu merci, oui, je suis sûre. Les chiens qui bavent, non merci. Si tu veux bien prendre la peine de monter dans mon carrosse.
J’ouvre le coffre pour que Guizmo s’installe et mets le sac du pique-nique à l’arrière avant de monter. Théo est déjà installé et s’attache tandis que je démarre.
— On a de la chance, il fait encore beau, ça doit se gâter dans la nuit… Ça a été, à la mairie, aujourd’hui ?
— Oui, rien d’exceptionnel. Même la Chantal n’est pas venue se plaindre. Si on n’avait pas vu passer un couple de touristes parisiens, je crois qu’on aurait pu laisser la mairie fermée et personne n’en aurait rien su.
— Au moins la charge de travail n’est pas trop éreintante, plaisanté-je en m’arrêtant au stop. Attends, excuse-moi.
Je me penche vers lui et profite de cette position pour poser une main sur sa cuisse alors que je fouille dans le vide poche pour trouver mes lunettes de soleil. Théo ne bouge pas d’un pouce et j’ai l’impression qu’il retient sa respiration le temps que je passe penchée sur lui.
— Ah, les voilà ! Désolée.
— Tu aurais dû me demander, je te les aurais données avec plaisir ! Mais bon, la vue n’était pas désagréable, continue-t-il en matant ma poitrine.
Je lève les yeux au ciel en souriant et reprends la route sans relever. Se faire désirer mais pas trop, aguicher juste ce qu’il faut, la jouer fine mais franche, classe mais efficace. Un vrai scénario pour attirer un homme dans son lit. Au lieu de rebondir sur sa remarque, je change de conversation, détourne l’attention, sans pour autant vraiment m’éloigner. Je joue, et si j’aime ça d’ordinaire, j’avoue que cette petite gêne que je ressens ne veut pas disparaître.
Guizmo est tout fou lorsqu’il descend de la voiture et il court partout, m’obligeant à le réprimander. Ce gros bêta va s’asseoir aux pieds de Théo, les oreilles basses, et ça fait sourire mon voisin.
— Arrête de faire le malin, j’ai besoin de bras pour porter les sacs. Tu as pensé aux saucisses ?
— J’ai tout ce qu’il faut pour te satisfaire, oui. Tu as une grosse faim, j’espère !
— Tu as décidé que l’humour lourd serait de sortie dès qu’on parle de saucisse, c’est ça ? ris-je en déposant le sac dans ses bras.
— Oui, et c’est non négociable. Mon petit plaisir de la soirée, si tu veux bien !
— Fais gaffe, Guizmo adore les saucisses, Théo. Cool, il y a un barbecue de disponible, regarde ! J’espère que tu gères l’allumage, parce que je suis nulle pour ça.
— Ah oui ? J’aurais dit au contraire que tu es très forte pour l’allumage, Lyana. Il ne manque que l’étincelle.
— Tu insinues que je t’allume ? lui demandé-je en m’asseyant sur le rebord de la table de pique-nique. Vraiment ?
— Comme si tu ne le savais pas, me répond-il en se retournant pour s’occuper du feu. Et moi, je cours alors que je sais bien que tu ne veux plus rien. Désolé, je vais me concentrer sur ma tâche.
Je grimace et réfléchis quelques secondes à ce que je pourrais lui répondre. Je crois bien que c’est la première fois que jouer avec un homme me pose autant de problème. Ça promet. Il fait vraiment chier, Pavel, avec sa mission merdique.
— Et qu’est-ce qui te fait dire que je t’allume, au juste ? lui demandé-je. Parce que je peux t’assurer que je ne serais pas à trois mètres de toi si je cherchais à le faire.
— Je ne sais pas, mais ce n’est pas très grave, je suis content d’être ici avec toi plutôt que tout seul sur mon canapé. Amis sans bénéfices, on a dit, il faut s’en contenter. Tu veux aller faire un tour dans l’eau en attendant que ça chauffe ?
Un nouveau petit temps de réflexion et j’enlève ma robe avant de me faufiler entre lui et le barbecue. Je glisse mes mains sous son tee-shirt en souriant.
— Là, on pourrait dire que je t’allume, dis-je en passant son haut au-dessus de sa tête. Tu vois, c’est clair, net et précis, au moins.
— C’est sûr que là, c’est plus clair. Quoique, j’ai peut-être encore besoin d’éclaircissements et de précisions…
Je lève à nouveau les yeux au ciel et déboutonne son short avant de passer mes mains sous le tissu pour le descendre, prenant le temps de les passer sur son derrière affriolant.
— Mieux ?
— Oui, je crois que c’est moi qui vais avoir besoin d’aller me baigner pour refroidir un peu mes ardeurs, répond-il en passant sa main entre mes seins avant de venir me titiller un téton à travers le tissu de mon maillot.
— Eh bien, souris-je en déposant un baiser sur sa joue, je crois que je vais avoir besoin de me rafraîchir aussi. Donc, tu m’allumes ?
— Ce n’est pas moi qui ai mis une fin aussi abrupte à notre beau démarrage, je crois. Je n’avais et n’ai d’ailleurs aucune envie d’éteindre l’incendie, moi.
— Tu ne sais pas dans quoi tu t’engages, voisin. Tu devrais vraiment réfléchir avant de vouloir t’impliquer à quoi que ce soit avec moi.
Je dépose un rapide baiser sur ses lèvres et m’éloigne jusqu’à la plage sans l’attendre, certaine qu’il va me suivre. Ce que je fais est à la fois hyper naturel et vraiment gênant. Naturel parce qu’il me plaît et que je ne dirais pas non à remettre le couvert avec lui, gênant parce que je me retrouve à le faire pour de mauvaises raisons. Encore une fois, l’organisation passe avant tout, mais c’est pour que je puisse enfin en sortir et vivre une vie aussi ordinaire que possible, loin de la Russie, loin des ennuis. Un nouveau départ dont j’ose à peine rêver. Ce qui est difficile, c’est d’intégrer que Théo doit être un dommage collatéral à ma liberté. Pour une fois qu’un mec me donne envie d’une seconde nuit, c’est vraiment pas de chance.
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