56. La partie de cache-cache débute

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Lyana


Je range les quelques affaires que j’ai laissées traîner et récupère mon arme que je glisse dans mon pantalon. Je n’aime pas trop partir de cette façon, à l’improviste, sans avoir un plan bien ficelé. Ne pas avoir de point de chute ne m’arrange pas des masses. Comme voir que Pavel cherche encore à m’appeler ne me rassure pas. J’ai bien envie de décrocher, mais Théo m’attend et je crois qu’il a besoin qu’on parte rapidement, au risque de finir en crise de panique.

Guizmo aboie lorsque j’arrive devant la porte et je m’annonce pour que tous deux soient rassurés. Je n’ai aperçu personne dans le couloir en sortant, je doute qu’ils nous aient déjà trouvés, mais il y a des risques et ils viennent notamment du téléphone, malgré l’application de brouillage, que je ne peux pas vraiment éteindre au risque de me faire repérer rapidement.

— Tu es prêt ? demandé-je à Théo lorsqu’il ouvre la porte.

— Oui, bien sûr. J’ai même donné à manger à ton chien. Tu vois, il est prêt, lui aussi.

— Parfait. En voiture alors.

Guizmo nous devance et descend l’escalier alors que nous le suivons docilement. Il ne bronche pas, ce qui me rassure définitivement sur la situation. Pour le moment, du moins. Il n’est pas bien heureux lorsque j’ouvre la portière arrière de la voiture. Monsieur n’est pas fan et, en ce moment, il n’est pas gâté. Lorsque je quitte le parking, Théo ne peut s’empêcher de regarder derrière nous et je ne dis rien, consciente qu’il est bien loin de mon propre quotidien. Même si j’avoue ne pas vivre ça tous les quatre matins non plus.

Nous roulons pendant une petite demi-heure vers le sud sans échanger un mot ou presque, et c’est mon téléphone me faisant sursauter en vibrant dans ma poche qui nous sort de notre torpeur de fugueurs.

— Tu n’as pas vu de voiture qui nous suit, c’est bon ? Parce que je n’ai rien repéré dans les rétroviseurs.

— Non, je ne vois rien, moi, tu sais bien, répond-il avec cette petite amertume que je commence à trop bien connaître.

Je soupire et freine un peu brusquement pour m’arrêter sur le bas-côté. Je sors mon téléphone sous son regard interrogateur et constate que c’est Pavel, une fois encore.

— Il faut que je lui réponde, il va finir par lancer la totalité de la Mafia à mes trousses si sa petite favorite a disparu, marmonné-je. Je te fais confiance, pas un bruit ?

— Silence et bouche cousue, je serai muet comme une tombe aphone dans un monde de sourds, répond-il avec une lueur d’amusement dans le regard.

Je souris malgré l’ambiance un peu pesante et le stress de parler à Pavel. Surtout devant lui. J’ose à peine imaginer ce qu’il pourrait dire, mais une partie de moi a envie que Théo entende certaines choses qui pourraient l’aider à me pardonner, peut-être.

— Salut, Boss, dis-je doucement après avoir décroché. Tu ne dors jamais ? Il va falloir te contenter du français, j’ai retrouvé Théo et j’aimerais autant qu’il ne me grille pas en sortant de la salle de bain…

— Ah, la Môme ! Tu es où ? répond-il en russe. Tu m’as fait peur, tu sais ?

— Peur ? Pourquoi ? Je bosse, tu crois quoi, que je me la coule douce sur une plage ?

— Ah, tu es en bord de mer, alors ? Mais pourquoi tu ne m’as pas tenu au courant ? Tu sais bien que je t’attends en plus ! Et les autres se sont fait serrer par la police. Tu t’es échappée comment ? Je veux tout savoir.

— Comment ça, les autres se sont fait arrêter ? D’un autre côté, ce sont de sacrés débiles, tes gars… Surtout Dimitri, cet abruti m’a fait du gringue hier matin et il m’a tripotée, alors je lui ai fait sa fête. Enfin, je l’ai assommé et enfermé pour pouvoir me barrer. J’ai autre chose à faire que de poiroter avec un pervers pendant que les autres sont sur le terrain. Surtout qu’ils n’écoutent rien. C’est quand même moi qui le connais, Théo.

Je me dis que si Théo ne comprend pas les réponses qu’il doit entendre au loin, il entend ce que je dis. Concrètement, je peux faire en sorte de le convaincre que je ne mens pas, non ? Je n’irais pas raconter n’importe quoi à mon boss.

— Franchement, continué-je en jetant un œil à mon passager, tu l’as bien joué. C’était une bonne idée de ne pas me dire qui était la cible dès le début. Au moins, on a appris à se connaître sans barrières…

— Ouais, ben c’était facile. Avec le cul que tu as, c’était sûr qu’en te mettant à côté de lui, il finirait dans tes draps. Heureusement qu’on a de bons informateurs à la police, soupire-t-il. Bon, tu l’élimines quand, le Théo ? J’aime pas savoir que tu as repris tes frasques avec lui. C’est avec moi que tu aurais dû être, là. Je deviens impatient.

— On est sur la route pour retrouver Mikhail, Pavel. Ta libido devra attendre, j’ai autre chose à faire. Vu que tes hommes sont des bras cassés, il faut bien que quelqu’un se charge de faire le boulot, non ?

— Mikhail ? Il est en France ? Mais il a fait comment ? C’est pas possible, selon nos infos, il était à Ekaterinbourg !

— Ekaterinbourg ? La bonne blague. Je ne sais pas où tu recrutes tes mecs, mais il va vraiment falloir songer à changer de crèmerie, Pavelito. Ou à raccrocher, non ? Tu te fais vieux…

— Eh bien, rentre vite et avec tout le fric que j’ai, on s’offre une retraite dorée dans les îles. Tu m’élimines ces deux vermines et on pourra enfin profiter de la vie.

— Profiter de la vie ? Tu crois vraiment que je vais profiter de la vie ? Tu te rends compte que ton objectif c’est de me séquestrer jusqu’à ta mort, quand même ? Tu crois que l’idée me plaît ? Tu te fais des illusions, là, lui dis-je de manière plutôt virulente, agacée par ses idées folles.

— Te séquestrer ? N’importe quoi. Tu vas adorer vivre avec moi, dans le luxe et l’aisance. Allez, dépêche-toi de finir cette mission pour laquelle tu t’es portée volontaire, je te rappelle, et ensuite, à toi la belle vie !

— Pourquoi je me suis portée volontaire, à ton avis ? Je n’ai aucune envie de vivre avec toi, Pavel, soupiré-je. Je t’ai dit que je ne voulais plus rien avoir à faire avec la Mafia, et tu me proposes une vie avec toi plutôt que de respecter mon choix. t’as pas l’impression que c’est un peu l’arnaque ?

— Si je quitte la Mafia, tu seras libre. Je ne comprends pas, la Môme. On en reparlera à la fin de ta mission. Plus vite c’est terminé, plus vite on met ça au clair.

— C’est ça, grommelé-je. A plus, Pavel.

Je raccroche rapidement et balance mon téléphone sur le tableau de bord en soupirant. Je n’ai vraiment aucune envie de finir en Russie, obligée de coucher avec ce type et de vivre à ses côtés. J’en ai marre de tout ça, et cela me conforte doublement sur mon choix de changer de camp.

Théo reste silencieux et j’entends la respiration de Guizmo qui dort derrière sur la banquette. Je raccroche la réalité et me contorsionne pour récupérer ma carte routière dans mon sac à dos, derrière mon siège.

— Ok. On va où ? demandé-je à Théo en ouvrant la carte.

— Dans un endroit calme et loin du monde. J’ai l’impression que tes amis russes sont bien trop forts. Comment ils ont fait pour savoir que Mikhail était parti à Ekaterinbourg ? Il y a juste une cousine à lui, là-bas… C’est pas possible, ça…

— Certains sont doués, oui… Il faut vraiment que tu contactes Mikhail, Théo… S’ils le savent, ils vont faire les vérifications même si j’ai dit à Pavel qu’il était en France…

— Oui, mais on doit s’occuper de nous, d’abord. Pourquoi on n’irait pas là ? Tu vois, il y a un petit village en plein milieu de plein de forêts et de champs.

— Faut vérifier s’il y aurait un truc à louer, parce que le village, c’est sympa, mais si on dort dehors, c’est moyen.

— Tu crois que je peux regarder sur le téléphone ce qu’il y a dans le coin pendant que tu nous y amènes ?

— Oui, les Russes n’ont pas connaissance de celui que je t’ai donné hier. Tu l’as toujours ?

— Oui, bien sûr. Je vais envoyer tout de suite un mail à Mikhail et voir où on pourrait aller.

— Tu crées une adresse mail, hein ? N’utilise pas la tienne… J’espère que vous avez un moyen de vous reconnaître entre vous pour qu’il comprenne que c’est toi, mais n’utilise pas ton adresse, soupiré-je en redémarrant après avoir jeté un œil sur le chemin à prendre.

— Oui, ne t’inquiète pas, je commence à être un bon James Bond.

— Ça tombe bien, Suzie m’a surnommée James Bond girl, souris-je en tentant de me calmer.

— Ça veut dire que tu vas finir dans mon lit, ça ? dit-il en souriant.

— Ça ne dépend que de toi... Quand tu veux, si tu le veux…

— Je sais, répond-il sobrement en se concentrant sur ses recherches sur le téléphone.

Je me focalise sur la route en attendant qu’il nous déniche quelque chose et repense à ma conversation avec Pavel. Théo n’a fait aucune remarque, peut-être qu’il digère les choses, ou qu’il s’en fout, tout simplement. D’un autre côté, je ne crois pas avoir dit quelque chose de bien intéressant en ce qui nous concerne tous les deux… Je ne sais plus, je dois avouer que je suis plutôt obnubilée par les propos de mon boss sur notre future vie à deux. Je ne veux pas de tout ça, comment peut-il croire que ce soit le cas ? Et comment peut-il envisager que je me laisse faire ? Il me connaît, quand même. Je n’ai plus rien de l’ado qu’il a embarquée avec lui à Paris pour la ramener à la maison. Enfin, sa maison, parce que la mienne était clairement ici, auprès de Suzie et de ses parents. J’étais beaucoup plus sereine, davantage moi-même. Et c’est un peu ce que j’ai retrouvé auprès de Théo, quand bien même je lui ai caché une partie de ma vie. La fille plus souriante, plus joviale, plus ouverte. Tout ce que j’ai perdu en rejoignant l’organisation, pour me protéger et me blinder.

— Tu trouves quelque chose ?

— Tu as envie de faire une retraite ? me demande-il en souriant en grand.

— Une retraite ? répété-je en le regardant. Tu comprends le russe, toi ?

— Pourquoi tu dis ça ? Non, je ne parle pas russe. Mais là, il y a un monastère qui en propose.

— Un monastère ? tu m’as prise pour une bonne-sœur ou quoi ? C’est quoi cette idée ?

— On ne sera jamais retrouvés là-bas. Ce ne sont pas les moines qui vont nous dénoncer. Et si quelqu’un vient, on devrait pouvoir l’anticiper. C’est la planque idéale.

— Bon sang… Un monastère quoi… Pas bête, mais vraiment, c’est un cauchemar, cette fuite, ris-je. C’est quoi, l’étape d’après ? On se planque dans une crypte ?

— Ils ont des chambres doubles, ça n’a pas l’air si terrible que ça, tu sais ?

— Des chambres doubles ? C’est tout ce qui t’intéresse ? souris-je. Rassure-moi, ce n’est pas une retraite silencieuse, hein ?

— Avec toi, ça va être compliqué, mais tu peux te donner ce défi-là si tu trouves qu’il n’y en a pas déjà assez dans nos vies.

— De quoi tu parles ? Du défi de dormir ensemble ou de celui de rester silencieuse ? Parce qu’à l’heure actuelle, je pense que j’aurais plus de facilité à ne pas parler qu’à t’attirer dans mon lit… pour autre chose que pour être un doudou, j’entends, plaisanté-je.

— Je crois que m’attirer dans ton lit, ça risque d’être plus facile que tu ne le penses.

Entre nous, servir de doudou me plaît déjà beaucoup et je pourrais m’en contenter pendant quelque temps. D’ailleurs, j’aimerais bien servir de doudou, là, tout de suite, ou que lui prenne ce rôle, maintenant. J’ai de plus en plus de mal à parler avec Pavel et à envisager l’avenir. Et je ne parle pas seulement de celui en Russie, mais aussi de mon possible avenir ici, en France. Je suis de plus en plus persuadée que Pavel ne me laissera pas m’en sortir si facilement. Et s’il y a bien un homme qui me fait peur, c’est lui. Alors, oui, je ne dirais pas non à un câlin, aussi chaste soit-il, avec celui qui m’a fait envisager une vie ordinaire, qui m’a vraiment fait croire que c’était possible…

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