Chapitre 5

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Ombre venait de fixer son plafond après ce qui lui semblait être des heures. Sans aucune réponse pour vaincre ses questions et ses insécurités. D'accord, il semblait y avoir des possibilités pour qu'il se fasse des camarades, surtout avec ce parc tout juste au bout de la rue, mais sa mère le laisserait-il sortir se dégourdir les jambes ? Ou allait-elle simplement l'enfermer dans sa chambre à travailler jour et nuit pour son avenir tant souhaité ? Lui ne souhaitait qu'une chose, ouvrir une librairie et être en colocation avec ses amis d'enfances. La gloire, il n'en avait cure. Il se fichait d'avoir de puissant pouvoirs magiques, ou bien de faire une grande carrière dans son monde d'origine. Vendre des livres, faire connaître aux autres le réconfort que cela lui apportait, c'était là son désir le plus cher.

Tiens, en y repensant, il avait amené des livres avec lui. Se levant, il alla vers son sac pour plonger son bras dedans, en ressortant petit à petit une pile assez conséquente de ses histoires favorites. Dans le lot, il y avait même des récits d'auteurs Nivanhiens. Cela le réconforta quelques peu. Il avait pu emporter avec lui quelques trésors, qu'il espérait relire dans un moment de déprime. Peut-être même pourrait-il se rendre dans une librairie humaine pour s'en procurer de nouveaux ? Si… Et seulement si sa mère acceptait cela… Cette pensée le renvoya instantanément dans sa déprime.

C'est alors qu'une clochette se fit entendre près de sa porte. C'était l’heure du repas. Le repas… Il n'avait même pas faim. Se levant finalement à nouveau de son lit pour sortir de sa chambre et se rendre dans la salle à manger. Il aurait préféré manger seul plutôt qu'avec sa mère en face de lui.

Comme il l'avait imaginé, elle avait commandé le repas. Elle n'avait rien fait elle-même… Pourtant les pouvoirs qu'elle possédait pouvait lui faciliter la tâche. Mais non. Autant payer des gens pour faire le sale boulot. Après tout, une femme avec un tel travail, si important, ne pouvait pas se rabaisser à cuisiner. C'était ce qu'elle lui avait sorti une fois alors qu'elle était venue pour son anniversaire, il y a quelques années.

Ombre n'avait pas vraiment la tête à manger, jouant avec les aliments contenus dans son assiette sans grande envie. Pourtant, l'odeur était des plus délicieuses. Il releva un oeil sur sa mère, qui était encore et toujours en train de travailler sur cet ordinateur. Qu'avait-il, cet objet que n'avait pas Ombre ? Pas un seul instant elle n'était venu le voir pour s'enquérir de son bien-être. Elle ne lui avait même pas encore dit qu'elle l'aimait. Finalement, il soupira, pour prendre la parole, comme si de rien n'était.

- Maman ? Tu peux me parler des célébrations des Nivanhiens ?

- Pardon ? Les célébrations ?

- Oui, tu sais, leurs fêtes. Un garçon m'a parlé de Noël et d'Halloween. Tu sais ce que c'est ?

- Pas vraiment, je ne les fête pas.

D'accord… Et ce fut les seules phrases qu'il arriva à lui faire prononcer. Son gardien de prison était bien choisi… Il n'en revenait pas. Une tristesse intense le prit alors. Sa mère vivait là pendant toute l'année. Elle avait même quitté son père à cause de ce travail chez les humains et elle ne semblait rien savoir. Ou rien vouloir connaître d'eux. Pourquoi se comporter ainsi ? S'il on désirait vivre ailleurs, ou faire un autre travail, c'était par envie, non ? Pourtant, la femme en face de lui avait l'air obnubilé par le travail, seulement par le travail. Oubliant de vivre et par la même occasion, son fils.

Sans avoir touché à son assiette, il se leva pour aller mettre le tout à la poubelle. Tant pis, même s'il n'aimait pas gaspiller. Se retournant, il vit le côté salon, ou une télévision trônait. Il connaissait car un de ses amis de classe lui en avait parlé quand son père l'avait emmené en vacances chez les humains. Et depuis, Ombre avait toujours eu envie d'essayer. Alors, c'est les yeux pleins d'étoiles, une bonne humeur retrouvée qu'il demanda à sa mère :

- Je peux regarder la télévision, s'il te plaît ? dit-il une voix toute excitée, excitation qu'il essayait de contenir.

- Non mon chéri. Tu dois commencer à t'entraîner pour tes cours de l'Académie.

Elle avait parlé avec une voix douce cette fois, pourtant… Il avait senti le couperet lui trancher la seule envie qui semblait lui avoir traversé l'esprit. Peut-être aurait-il dû dire à quel point il avait envie d'essayer ? Mais non. Tout ce qui sorti de sa bouche fut de la frustration.

- Mais maman… Je rentre en cours ici que demain…

- Pas de mais. Et puis cela n'a aucun rapport, tu as fait ta rentrée à l'Académie il y a déjà une semaine.

C'est estomaqué qu'Ombre se voûta. Il avait tellement peu de libertés que rien que cette petite demande le peinait encore plus. Il n'était là que pour travailler pour sa mère ?

Dépité, il entra dans sa chambre, fermant doucement la porte sans aucune énergie, pour voir apparaître sur son bureau des carnets de notes. Ceux caractéristiques de l'Académie, avec une couverture noire et un liseré mauve. Les professeurs semblaient lui envoyer la journée de cours dès le soir… Cela voulait dire qu'il allait travailler toute la nuit… Enfin, ça dépendrait des cours. Si c'était que de l'historique et pas de la pratique, lire simplement le cours allait suffire. Il n'empêche qu'il se sentait acculé.

S'installant, il commença à lire les carnets, un pour chaque cours, à la lueur d'une lampe. Même ça c'était déprimant, ce n'était pas une douce et réconfortante lumière magique, mais quelque chose de cru et de froid.

Au bout d'une heure, il ne put continuer. Son cerveau allait exploser, anesthésié par la théorie. Il s'était bien exercé à un nouveau sort mais cela n'avait rien donné, la fatigue n'aidant aucunement. Revenant sur son lit pour s'y allonger, il se roula en boule, remontant un plaid sur lui. Fixant une photographie magique fixée sur une plaque de verre. Sur cette image, il y avait son père, ses amis et lui. Ils lui manquaient. Et s'il les appelait ? Il en avait besoin.

Prenant sa conque, il ne put même pas prononcer un seul mot qu'il explosa en sanglots violents et douloureux. Tout de suite, il put entendre quelque chose tomber. C'était un des deux autres coquillages. Sans doute Galahad qui avait attrapé celui-ci trop vite.

- Ombre ?! Est-ce que ça va ?!

Gagné, Galahad venait de presque crier, d'une fois extrêmement inquiète. Ce qui fit sourire doucement Ombre parmi le labyrinthe de larmes sur sa joue.

- Hey…

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Dis-moi… Je n'aime pas savoir que tu pleures comme ça…

Ombre resta silencieux. À chaque fois qu'il essayait de parler, sa gorge lui piquait, signe que sa voix allait se briser et qu'il allait à nouveau pleurer. Et c'est ce qui arriva.

- Hey… Calme-toi… Je suis là, Ombre… On ne te laisse pas tomber, même si tu es loin… Tao à de la famille chez lui ce soir… Ne t'en fais pas, tu es notre meilleur ami…

- C'est vrai ?…

- Bien sûr.

Galahad avait toujours était celui qui avait le plus les pieds sur terre des trois lurons que leur bande comptait. C'était toujours lui qui soignait les petits bobos et qui rassurait ses amis dans tous les domaines. Ombre était plutôt le genre bon conseil et celui qui trouvait les plans d'actions ou de jeux. Alors que Tao était la tête brûlée qui fonçait tête baissée, sans penser aux conséquences, ou bien il finissait par s'ennuyer et lâcher tout en quelques secondes.

- Tu veux me raconter ce qu'il se passe vraiment ? demanda son meilleur ami, avec la voix la plus rassurante qu'il connaissait. Ombre pouvait même l'imaginer sourire tendrement de l'autre côté.

- C'est… Je n'ai le droit de rien faire. Je voulais me détendre, essayer la télévision, tu sais, Arnold nous en avait parlé…

- Oh oui, la télévision ! Je me souviens ! Alors ?!

- Bah…

Blanc.

- Ah. Tu n'as pas pu ? Ta mère n'a pas voulu ?… C'est ça ?

- Ouais… Elle m'a renvoyé dans ma chambre en disant qu'il fallait que je travaille les cours de l'Académie…

- Attends, le soir, après manger ?

- Oui…

Ombre avait l'air tellement mal, que Galahad semblait s'inquiéter encore plus.

- Ah… Quand même… C'est beaucoup, non ? Tu te reposes quand ?…

- Jamais ?

- Ne dis pas ça, je suis sûr qu'elle ne pense pas que c'est trop…

Ombre chouina, pour ramener son plaid sur sa tête.

- Si ça se trouve, elle comprendra quand elle verra que l'école humaine et l'Académie te fatigue…

- J'espère vraiment tu sais… Elle veut même pas que je sorte. Genre, elle m'a donné les règles. Elle ne veut même pas que je rentre vous voir le week-end…

- Attends un peu, lâcha-t-il de sa douce voix, elle attend peut-être tes premières notes pour t'autoriser à revenir.

Nouveau gémissement de déprime.

- Mais ce n'est pas comme si j'étais un mauvais élève de base ! Je ne suis pas Tao, moi ! Qu'est-ce qu'elle croit !

Galahad ricana au bout du fil. Personne ne se moquait de Tao et de ses notes médiocres, c'était même le premier à se mener en ridicule.

- Aucune idée. Après tout, elle n'a pas vécu avec toi depuis longtemps. C'est peut-être ça aussi ? Il lui faut un petit temps d'adaptation…

- Bah moi aussi il me fait de l'adaptation.

Les deux garçons finirent par éclater de rire, Ombre attrapant un mouchoir pour essuyer son visage. Il parlait et pleurait fortement, mais sa mère était tellement concentrée dans son travail qu'elle ne se souciait même pas du bruit…

- Sinon, à l'Académie ça va ? Raconte-moi… Parce que je reçois les cours des professeurs alors c'est un peu l'ennui, tu vois ?

- Eh bien figure-toi que Tao a commencé à se mettre à travailler ! Pour lâcher dix minutes plus tard, héhé. Mais il fait des efforts pour toi, ça je peux le remarquer.

- C'est déjà super pour lui ça. Ses parents vont être content. Même si… C'est pour moi qu'il fait tout ça.

- À part ça… On a eu cours d'herboristerie. Greg à fait fondre un chaudron…

Le jeune sorcier à la peau tâcheté gloussa en se redressant sur le lit. Il se sentait beaucoup mieux de parler de tout et de rien avec Galahad, même sans Tao.

- Ah ouais ? Comment il a fait son coup ?

- Bah il avait appris un sort de feu mais le maîtrisait pas… avoua Galahad, l'air dépité.

- Normal, on vient tout juste de recevoir nos pouvoirs aussi…

La conversation s'éternisa tellement les garçons étaient heureux de se parler. Son ami aux cheveux bleu-canard avait même essayé de lui trouver une petite consolation à sa solitude. Lui disant d'abord qu'il pouvait l'appeler tous les soirs s'il voulait. Puis finalement, il lui donna une idée.

Pourquoi ne pas essayer de demander un animal de compagnie à sa mère ? Un animal du monde magique, bien entendu. Qu'il pourrait garder dans sa chambre, sans besoin d'entretien lourd, auprès de qui il pourrait réclamer de l'attention quand ça n'allait pas. Au moins, il aurait l'esprit occupé par quelque chose d’autre que l'entraînement avec sa baguette. Galahad semblait avoir peur qu'Ombre soit dégoûté de celle-ci à force de trop l'utiliser tous les jours. Après tout, cet objet allait les accompagner jusqu'à la fin de leur vie, il ne faudrait pas qu'il développe une sorte de traumatisme à cause de sa mère…

Finalement, c'est bien trois heures après, alors que la lune était haute qu'Ombre termina la communication. Il devait dormir un peu pour ne pas être crevé à sa rentrée de demain matin. Enfin, il disait ça, mais en vrai, il savait très bien que le stress n'allait pas l'aider à dormir une seule seconde. Et puis… La première nuit dans un nouveau lit était toujours la pire…

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