Chapitre 1 : Confidence
Je traînai ma chaise de bureau jusqu’au miroir à double face. Je tournai celui-ci avant de m’asseoir. Mon regard tomba alors sur le dessin au marqueur noir.
Je ne pensais pas un jour avoir à nouveau besoin de lui parler…
Debout sur ces deux pattes, le lapin aux ailes de fée brandissait une baguette magique. Au-dessus de lui une bulle de BD indiquait « je suis monsieur lapinou ! Je suis ici pour t’écouter Linoa afin de te soulager de tes tracas si tu ne peux pas le faire auprès d’une des personnes qui te sont chères ! ( comme ton cher petit papounet chéri d’amour qui sera TOUJOURS là pour et à qui tu peux FAIRE CONFIANCE) ».
Je pris une grande inspiration et commençai timidement :
- Salut monsieur lapinou ! Ça fait longtemps que je n’ai pas discuté avec toi… Il est aussi vrai que j’ai déjà essayé de t’effacer mais tu as été dessiné avec un feutre indélébile donc ça a échoué… Mais comprends-moi ! Arriver dans une chambre d’internat au lycée avec un dessin digne d’un livre pour enfant, ça fout un peu la honte. Mais mettons ça de côté d’accord ? J’ai vraiment besoin de parler.
Avec tout ce qui s’est passé ces dernières semaines, cela ne m’aurait même pas étonné que le dessin se mette à bouger à la surface du miroir en clamant « je suis monsieur lapinou ! Je suis ici pour t’écouter et te conseiller – vu que je peux parler maintenant – ». Attendez… C’est même bizarre qu’il ne le fasse pas !
- Bon ça fait un sacré moment que je ne me suis pas confiée à toi. Alors autant commencer par le début : il faut que tu saches que je suis tombée amoureuse d’un garçon appelé Callen en seconde.
En repensant à lui, je sentis mon cœur battre la chamade dans ma poitrine.
- Il est intelligent, sportif, gentil et drôle. En fait, il est juste parfait !
Le regard du lapin ne me lâchait pas.
- Okay… avouai-je, s’il a bien un défaut c’est de poser des lapins aux rendez-vous…
Je m’interrompis devant l’ambiguïté de ma phrase et m’empressai de préciser :
- Des rendez-vous comme se donneraient deux amis ! Te fais pas de mauvaises idées.
Puis je repris :
- Bref, s’il a bien un défaut c’est de me poser des lapins, partir en plein milieu en me prévenant… ou non. Le dernier datait d’hier. N’empêche, par rapport aux précédentes fois, il ne m’a pas envoyé de message d’excuse.
Le dessin devant moi resta de marbre – ou ici, de glace –.
- T’es pas très bavard, hein ?
Je pris son silence pour un oui.
Je poussai alors un soupir et continuai :
- Bon mes frères et ma meilleure amie savent pour Callen. Maintenant, passons aux choses sérieuses…
Je plongeai mon regard dans le sien.
- Ce que je vais te révéler est ultra Important avec un grand « I » ! Écoute-moi bien…
Je laissai un temps de silence et admirai sa bouille de glace.
- … Je suis la princesse du Chaos.
Il resta silencieux, sans doute choqué.
- Bon au début je ne l’ai pas cru. En même temps quand quelqu’un se met à hurler avec une joie non-dissimulé parce qu’il a remarqué une tache de naissance violette en forme de lune, tu ne penses pas que cette personne aille très bien. Surtout s’il te confie après que tu es la princesse du Chaos et que lui est un démon. Honnêtement, je l’ai trouvé ridicule.
Je croisai les bras, lâchai un soupir et continuai :
- Je me suis moquée de lui. Lassé, il a finit par me donner rendez-vous derrière le gymnase qui est sans nul doute l’endroit le plus désert du lycée. Là, il m’a montré ses pouvoirs.
Je ne pourrai jamais oublié ce moment.
Les silhouettes d’ombres qui l’entouraient, la chauve souris qui reposait sur son épaule et son sourire de satisfaction en me voyant bouche-bée.
- Alors Linoa, vous me prenez toujours pour un fou ?
Il avait écarté les bras avant de continuer :
- Tout ceci est réel ! Je suis un obscurien ou un démon si vous préférez.
Comment ne pas le croire après ça ?
J’arrivai à lire la question silencieuse du lapin rien qu’à son regard.
- Pourquoi je n’ai pas de pouvoir ? Il m’a expliqué que les héritiers du Chaos et de l’Harmonie ne « délivraient » leur pouvoir qu’à leur dix-septième anniversaire. Un IMMENSE pouvoir qu’il me faudra maîtriser au plus vite. Les héritières de l’Harmonie sont entraînés pour ce moment, moi non.
Je poussai un long soupir avant de rajouter :
- C’est pas gagné.
Mon regard retomba sur monsieur lapinou.
- En tout cas merci d’avoir discut…
Je m’arrêtai brusquement en réalisant ce que j’étais en train de faire. Je « discutais » avec un DESSIN ! Un DE-SS-IN !
Je me recroquevillai sur ma chaise et agrippai mes cheveux.
- RAAAAAAH ! hurlai-je à plein poumon en laissant ma tête tomber en arrière. J’en ai MARRE ! Je deviens COMPLÈTEMENT FOLLE avec tout ça !
Mes mains se desserrèrent doucement alors que mes yeux se perdaient sur la plafond blanc de ma chambre.
Il s’est passé beaucoup trop de choses…
Après une grande inspiration, je finis par me redresser sur ma chaise. Mon regard tomba sur mon reflet derrière le lapin.
Mes courts cheveux blonds en batailles étaient banals. Seuls mes yeux violets pouvaient sortir légèrement de l’ordinaire. Et cette tache de naissance violette… Tout le monde la prend pour un joli tatouage. Je ne les contredis pas, jamais. Je préfère qu’ils croient ça.
Soudain on frappa à ma porte, me faisant ainsi totalement sortir de mes pensées.
- J’arrive ! Annonçai-je.
Mon regard lâcha enfin mon reflet et je me levai pour ouvrir. Dès que j’eus tourné la poignée, mes yeux rencontrèrent les émeraudes qui lui servaient d’iris.
Mon cœur s’emballa.
Visiblement gêné, il passa une main dans ses soyeux cheveux bruns.
Qu’est-ce que j’aimerais y promener mes doigts… Ils ont l’air si doux…
- Salut Linoa. Est-ce que je pourrais te parler en privé ?
Sa question me ramena à la réalité.
Toussant un peu pour reprendre de ma contenance, je finis par répondre :
- Pas de problèmes Callen.
Il se pencha légèrement sur sa droite pour regarder à l’intérieur de la pièce.
- Tiens, il n’y a pas Nel ? s’étonna-t-il.
Nel ou l’obscurien qui m’a révélé que je suis la princesse du Chaos.
C’est un jeune homme élégant avec sa chemise noire et son jean de la même couleur. Ses courts cheveux de jais encadraient un fin visage pâle éclairé par deux yeux rouges délavés. Il est sociable, polit et intelligent. Toutes mes connaissances au lycée le considère comme un très bon ami mais ce n’ait pas mon cas. Avec moi, il est un pur rabat-joie et un casse-pied sous prétexte que je suis la dernière héritière du Chaos et que tout repose sur mes épaules. Ainsi, il est TOUJOURS après moi.
- Je lui ai demandé de faire une petite course pour moi, répondis-je.
- Tu lui as demandé quoi ?
J’arborai un grand sourire tandis que j’annonçai, fière de ma trouvaille :
- Des gâteaux à la pâte à tartiner aux noisettes.
Il me fit de gros yeux .
- Mais à l’autre bout de la ville qu’ils en vendent ! Pourquoi tu…
Après m’avoir fixé un instant, il parut trouver la réponse à sa question.
- Pour t’en débarrasser…
J’acquiesçai avant de rajouter :
- Il devrait mettre une demi-heure avant de revenir.
- Tu en as marre de lui à ce point ?
- Tu ne peux pas imaginer à quel point. Et puis…
Je sortis dans le couloir, fermai la porte et m’y adossai après avoir croisé les bras.
- … tu ne m’as pas demandé si on pouvait parler en privé ?
Il repassa une nouvelle fois sa main dans ses cheveux en détournant le regard.
- C’est très important. Tu sais je suis… Enfin à propos…
- … d’hier ? Lançai-je, du nouveau lapin que tu m’as laissé ? Tu sais, je suis en train d’en faire un élevage depuis que je te connais.
Il poussa un profond soupir.
- Je comprends que tu en aies marre. C’est tout à fait normal et je réagirais pareil à ta place. Mais laisse moi une dernière chance : demain, seize heure, à la fête foraine.
Comme à chaque fois, une petite voix criait avec joie dans mon fort intérieur. Voix que ma raison tentait de faire taire.
Pourquoi demain serait-il différent des autres jours ?
- Qu’est-ce qui me dit que je ne vais pas en adopter un nouveau ?
- Parce que… Comment dire…
Il chercha un instant ces mots.
- … je me suis débarrassé temporairement de ce qui m’empêchait d’avoir du temps libre et qui avait aussi la sale manie de m’en enlever au dernier moment. En clair, demain je suis totalement disponible.
Ma raison n’eut plus assez de force pour maintenir cette voix. Celle-ci se mit à hurler à plein poumon dans ma tête.
Ouuuiiiii ! Enfin un VRAI rendez-vous avec Callen ! Enfin en amical… Mais peut-être qu’à la fin nous serons plus que des amis…
Je réussis à canaliser la joie à l’intérieur de moi-même, ne laissant échapper qu’un sourire.
- Super ! Déclarai-je en tentant de ne pas laisser tout mon enthousiasme envahir ma voix, tu as intérêt d’être à l’heure.
Le sourire qu’il m’envoya me fit fondre.
- Ne t’inquiètes pas, j’y serais.
Il jeta un regard à sa montre avant de déclarer :
- Bon bah c’est pas tout ça mais il faut que j’aille réviser et c’est bientôt l’heure du couvre-feu. À demain !
- À demain.
Je le regardai s’éloigner avant de rentrer dans ma chambre. Là, je me laissai glisser contre la porte avec un sourire béat aux lèvres.
- Qu’est-ce qui vous arrive ? S’enquit une voix familière.
Ramenée soudain à la réalité, je fixai Nel accroché à la fenêtre telle une chauve souris… au cinquième étage du dortoir.
- Et c’est quoi ce des…
Je m’empressai de me relever, attrapai la première chose qui me venais à la main et lui lançai en criant :
- Ça ne te REGARDE PAS !
Le démon, se prenant l’objet en pleine figure, tomba dans le vide.
Je me précipitai vers le bord de la fenêtre et lui criai :
- ET RAMÈNE-MOI CE MANUEL DE MATHS !
- Oui princesse ! Répondit la voix lointaine de ce crétin.
Sur toutes les personnes qui existent sur Terre, il a fallu que ça tombe sur moi…
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