Sextidi
Sextidi
Cette nuit, quatre détenus ont été transférés de Saint-Lazare et jetés dans ma cellule. J’étais dans un tel état de faiblesse et d’épuisement nerveux que je n’ai rien entendu.
Toute la nuit j’ai assisté à mon supplice à travers les yeux de Charlotte, déchirée, suppliante puis évanouie, à travers le regard de sa mère effarée par ce bain de sang mais au fond satisfaite de la disparition d’un scélérat dont sa fille allait peut être tomber amoureuse. A travers également le regard du bourreau froid, indifférent, totalement détaché de la scène et surtout à travers mes propres yeux (???), dans un état de panique indescriptible lorsqu’on me projette sur la planche et que la lame descend sur mon cou, l’impression que le temps s’étire soudainement (comme c’est bizarre, le temps passe plus lentement, mais cela survient très vite, soudainement !), une sensation de froid puis de chaleur, la nuit puis l’éblouissement et enfin la pensée suivante : ce n’est que ça !
Puis, comme pris dans une boucle,
Je reviens à la situation antérieure, la scène se déroule de nouveau sous mes yeux, à la manière de mon invention qui projette autant de fois que l’on veut les mêmes séquences sur le mur.
Je suis comme l’un de mes personnages, prisonnier de la bande de papier, incapable d’influer sur le cours des évènements, situation d’autant plus inconfortable que la fin est douloureuse et que je la connais d’avance… Charlotte… Mon aimée… Adieu… !
Chaque cahot de la charrette me fait tressaillir, sur ce long parcours, de la prison à la place du Caroussel, chaque caillou qui ressort de la chaussée, chaque insulte d’un quidam perdu au milieu de la foule, chaque rire d’une matrone satisfaite d’elle même, les cris des gosses qui nous suivent en courant me pénètrent comme autant de coups de poignard. Je lève les yeux et je vois le ciel comme une route sinueuse entre les toits des maisons, le vent tourbillonnant s’engouffre dans les rues, soulevant des poussières et quelques bouts de papier et autres détritus, des fenêtres des étages nous parviennent aussi quelques quolibets et crachats. Apparaissant à certaines fenêtres, Charlotte me regarde passer, douloureusement. À d’autres moments, la Tortue me contemple, sardonique. Le bruit de la foule s’enfle et d’un coup le chemin du ciel s’élargit. Je baisse les yeux et me retourne lentement. Le lieu du supplice est là. Trônant au milieu de la place comme une statue sur son piédestal, l’engin de mort est placé en haut d’une grande estrade.
La chaleur lourde, le vent, le bruit, les cris de haine qui fusent de toutes parts, des centaines de visages, certains joyeux qui vous regardent en chantant, d’autres à l’air triste semblent vous plaindre, la plupart indifférents et curieux à la fois vous examinent comme si vous étiez une bête étrange, quelques-uns me jettent des injures, le poing levé, le regard mauvais, enfin, leur vengeance va pouvoir s’assouvir, leur soif de sang s’étancher, la revanche des misérables sur les possédants…
Hé !
… Je ne suis pas un ci-devant, pas un possédant, ni un accapareur, je suis comme vous, pas un ennemi de la république… mes phrases se perdent au milieu des rugissements de la foule, la plupart, maintenant, a l’air satisfait, j’ai crié quelque chose qu’il n’ont pu entendre, mais qu’ils ont interprété comme une invective, une preuve de ma culpabilité, de ma peur et leurs sarcasmes sont éloquents… c’est fini… tout se brouille et s’estompe…
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JI 26/05/18
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