Sur le parvis de l'église, je trouvai mon père entrain de parler avec Mme McDust. Cette dernière était la meilleure amie de ma mère. Elle avait été très présente lors de son décès. Très paradoxalement, c'était à cette époque que son fils et moi nous avions cessé de nous fréquenter, alors qu'elle, elle passait le plus clair de son temps chez nous. Je m'approchai en souriant. Elle était soûlante parfois mais tellement gentille dans le fond. 
-Bonjour Mme McDust ! 
-Sarah ! Comment vas-tu ma chérie ? 
Elle posa ses lèvres sur ma joue et elle m'observa comme pour voir si j'étais assez nourrie. C'était étrange.
-Ça va ça va ! J'imagine que vous devez être contente d'avoir vos deux fils à la maison ! 
-Marc est rentré de la fac ?
-Oui absolument ! Où est-il ? Maaarc ! Viens dire bonjour à John ! 
Marc tourna les yeux vers sa mère et il se dirigea vers mon père. Il paraissait un peu intimidé alors qu'il connaissait très bien mon père. Il lui serra la main. 
-Alors Marc, wow. J'ai l'impression que la dernière fois que je t'ai vu, c'était.. il y a des lustres ! tu es parti à quelle université ?
-Stanford monsieur. C'était mon premier choix alors je suis content.
-Tu as pris quel parcours ? Tu voulais faire de la médecine à un moment donné, non ? 
-Oui monsieur. C'est le parcours que j'ai pris.
Le sourire de mon père s'épanouit et il fit une moue dans la direction de la mère de Marc. Ce dernier ne me jeta pas un seul coup d'œil. Je trouvais ça un peu particulier mais en même temps il y avait mon père.

-Vraiment ? Alors écoute mon garçon, le jour où tu auras besoin d'un stage ou que tu as juste envie de découvrir le métier, fais moi signe. 
-Je ne sais pas si je peux..
-Bien sûr que si !! Je te connais depuis tellement de temps Marc... Et puis, comme ce n'est pas ma fille qui fera médecine..
-Qui te fait croire que je ne veux pas faire médecine ! 
Mon père se tourna vers moi un sourcil levé et je perçus un sourire narquois de la part de Marc.
-Tu as vu ta moyenne en algèbre ? 
-Non mais l'algèbre ça ne sert à rien du tout. Et je ne suis pas si mauvaise que ça.
-Je peux te donner des cours si tu veux. 
J'ouvris grand les yeux. Marc venait vraiment de dire ça ? 
-Heu.. tu es pas trop occupé pour ça.
-Ce n'est pas deux heures par semaine un soir de semaine qui m'empêcheront d'avoir mon année tu sais..
-C'est vraiment très aimable de ta part Marc. Si ce projet se concrétise, tu me diras quel est ton tarif et avant que tu ne protestes, je trouve cela tout à fait normal, tout travail mérite salaire. 
-Je n'ai qu'à prendre ton numéro Sarah et on arrange ça. 
Il me tendit sa main et sa chevalière se mit à briller au sol. Le jeune homme saisit mon téléphone et s'appela avec. Il avait touché mon téléphone. Je n'allais plus jamais pouvoir l'utiliser. Ses doigts frôlèrent les miens. Ils étaient froids. Je ne comprenais pas pourquoi.

La proposition de Marc avait fait mouche. Mon père en parla pendant le déjeuner et je pouvais sentir dans la voix de mon père sa satisfaction. C'était jusqu'à ce que Brian la ramène encore une fois.
-Il va te donner quoi comme cours ? Des cours de... langue ? 
Je le fixais. Il savait.Je ne savais pas comment mais il était au courant pour Marc et moi.
-Non. Des cours d'algèbre, répondit mon père sans se rendre compte du sous-entendu de son beau-fils. 
-Pourquoi tu ne me l'as pas demandé ? 
-Parce que tu t'y connais en algèbre ? 
-Bah oui. Comme quoi on peut être intelligent et sportif. D'ailleurs en parlant de sport, tu devrais peut-être t'y mettre tu crois pas ? Ou alors réduire ta consommation de graisse saturée. 
-Brian ! s'exclama sa mère. Retire immédiatement ce que tu viens de dire.
-Ce n'était pas pour être méchant, c'est juste qu'après elle viendra se plaindre d'être trop grosse ou d'avoir de la cellulite. Elle n'aura pas un physique de pré-ado toute sa vie. 
-Tu sais ce qu'elle te dit la pré-ado ? Qu'elle préfère être comme elle et ne pas ressembler à une garce comme toi ou comme les salopes que tu fréquentes au lycée. 
-Je préfère encore être une garce et trainer avec des salopes que d'être une toquarde invisible et nulle en maths.., comme toi.
-Tu sais ce qu'elle te dit la toquarde, connard ? 
Je lui balançai ma purée de céleri au visage et je me levai d'un bon. J'allais sortir de cette pièce. Comment Brian faisait pour me faire sortir hors de moi ? J'étais sur le point de poser les pieds hors de la pièce quand je sentis une chose visqueuse et dégoulinante sur mes cheveux propres du matin. Je portai mes mains à mes cheveux. C'était de la purée ou je ne m'y connaissais pas. Je me détournai en rugissant presque, prête à me battre becs et ongles contre cet énergumène porteur de testicules. J'allai me jeter sur lui mais mon père m'en empêcha avec une force surhumaine. Il me saisit par les hanches et il me souleva pour m'emmener dans la cuisine alors que j'étais entrain de me débattre.

-Tu peux m'expliquer ? 
-Brian vient de m'insulter et de me lancer de la purée dessus. Il m'a attaquée. 
-Ce n'est pas ce que je te demande Sarah. Tu peux m'expliquer ce que tu as ? Parce que moi j'ai vu le contraire : tu lui as explosé le nez, tu l'as provoqué, insulté et attaqué. Voilà ce que j'ai vu. Alors je peux savoir ce que tu as Sarah ?
-Je le hais. Voilà ce qu'il y a ! Je le hais ! C'est une espèce de con et toi tu le défends. 
-Je ne défends personne. 
-C'est ça le problème tu ne défends pas ta propre fille. Tout ça pourquoi parce que c'est la merveilleuse progéniture de la femme avec laquelle tu t'envoies en l'air ! 
La gifle partit d'un coup. Elle n'était pas forte, je n'aurais pas la plus petite marque mais cela me fit un choc. Mon père ne levait pratiquement jamais la main sur moi. 
-Je t'interdis de parler sur ce ton de ta belle-mère.
-Ça tombe bien, je ne te parlerai plus jamais !

Je le bousculai et sortis de la cuisine les yeux embués de larmes. Je montai les escaliers quatre à quatre. Je me lançai sur mon lit avant de me rappeler que ma porte était ouverte. Je la claquai, fermai la porte à double tour et laissai la clef dedans. Je mis ma chaise et bloquai la poignée de porte avec. Mon père m'avait trahie ! J'avais mon ordinateur et mon chargeur avec moi. Je l'allumai et je mis la musique à fond. Mon père la détestait. Je m'assis sur mon lit et je pleurai. Mon père venait de prendre la défense de Brian. Et bien sûr c'était moi qui avait un problème. J'allais sur Facebook.
-Sarah ! Baisse ta musique !! tout de suite ! 
Je fis comme si il n'était pas là et en guise de réponse j'augmentai un peu le son. Il n'y avait aucun de mes amis connectés. Ni Sophie, ni personne. Je ne savais pas vraiment à quoi je m'attendais. On était dimanche midi. Tout le monde était en famille. Sauf moi. J'allais sur Twitter. Au moment d'envoyer mon message, j'hésitai. Comment mon père allait le prendre ? Et comment allaient le prendre mes followers aussi ? J'avais beau être une fille normale, j'avais toute ma classe en follower, quelques membres de ma famille et d'autres personnes rencontrées au hasard.

Voilà comment la famille de substitution prend petit à petit la place de l'originale ! Il ne manque plus qu'un dernier cercueil, but OMDB ! (1)

J'hésitais vraiment. Mais.. mon père avait horreur des gens qui étalaient leur vie sur les réseaux sociaux. J'appuyai sur envoyer. J'avais besoin de me libérer. Je pris mon casque et j'écoutai une vieille chanson de Avril Lavigne, Complicated. Ma mère l'écoutait en voiture quand elle était avec moi et elle la chantonnait. C'était juste superbe. C'était émouvant et nostalgique. Mon père avait pris la défense de Brian. Il m'avait donnée sa parole de toujours toujours me défendre. Mais là il ne l'avait pas fait. Il avait dénié les liens du sang pourquoi ? Pour préférer Brian ? Avait-il cessé de m'aimer le jour de son mariage ? J'avais lu des articles comme quoi les enfants issus d'un premier mariage pouvaient se sentir délaisser, et je ne pensais pas que ça pouvait un jour être mon cas, mais là ? Je ne savais pas. C'était juste bizarre.

Ma mère me manquait. Affreusement. Elle aurait su quoi dire, quoi faire. Elle ne m'aurait jamais laissé m'enfermer dans ma chambre. Elle aurait forcé ma porte, m'aurait prise dans ses bras et m'aurait laissé pleurer. Ma mère me manquait. 
Un SMS fit vibrer mon pantalon. C'était Sophie, elle voulait qu'on aille faire un tour dans le parc. Je renfilai mes chaussures, mon sweat aux couleurs de l'université de Yale de ma mère et je passai par mon balcon. J'avais une petite échelle qui n'en était pas une mais elle était suffisamment solide pour supporter le poids de Sophie et le mien à descendre. Une fois dans la rue, je marchai d'un pas rapide vers la maison de Sophie. C'est sa gouvernante qui m'ouvrit la porte, Monya. Elle était adorable et mexicaine. Elle parlait très mal notre langue et moi je parlais très mal la sienne mais elle était toujours super gentille avec moi. Elle appela Sophie dès qu'elle me vit. Ma meilleure amie arriva et vit que quelque chose n'allait pas.
-Il a fait quoi encore ?
Elle prit sa veste et nous marchâmes jusqu'au parc municipal. je n'arrivais pas à parler. Il fallut que je sois sur notre balançoire comme quand on avait 5 ans pour tout lui déballer. C'était Sophie, ma confidente de toujours. C'était à elle que j'avais raconté tous mes chagrins, mon désespoir, ma peur face à la mort de ma mère. C'était elle à qui je pouvais dire tout sans peur qu'elle le répète. Et parfois, déballer tout ce qu'on avait sur le cœur, la conscience, tout ce qui souillait notre âme était juste.. libératoire et salvateur.

-Il t'a giflée ? Sérieusement ? J'ai du mal à imaginer John faire ça !
-Je ne l'aurais pas cru non plus. La dernière fois qu'il m'a giflée, j'avais 11 ans. Je venais de brûler des vêtements de Maman dans le garage. Et il s'était excusé tout de suite après mais là, tu vois, il n'a même pas essayé. Et Brian non plus. Personne ne s'est excusé auprès de moi. Je suis juste la première famille tu vois. 
-Ne pense pas ça, c'est complètement faux.Ton père t'adore, il t'aime plus que tout autre chose en ce monde. Moi je le sais. Je suis sûre que ça va se calmer. En fait.. je me suis permise d'envoyer un message à Brian.
-QUOOOOI ? 
-Pour lui dire que tu étais avec moi. Je n'ai plus le nouveau numéro de ton père. Je ne veux pas qu'ils s'inquiètent, d'autant plus que tu es sortie par la fenêtre. 
Mon téléphone vibra et je souris mon cœur se mettant à battre un peu plus vite. C'était Marc. Mon rayon de soleil de la matinée. 
-Tu as le numéro de Marc ? hoqueta Sophie
-Ouais depuis ce matin pendant l'office on est sorti en douce et.. on s'est embrassé. C'était juste magnifique. Mais genre..
-MAIS RÉÉÉÉPOOONNNDS LUUUUUUI !! glapit ma meilleure amie. 
Je lui fis signe de se taire pour mettre le haut parleur. 
-Salut Marc...
-Salut, tu es où ? Parce que j'avais l'intention d'aller prendre un café, tu serais partante ? 
-Je ne suis pas toute seule..
-Tu es avec Sophie ? Elle peut venir aussi.. Dans 15 minutes au Starbucks, ça te va ? 
Je jetai un coup d'œil à Sophie qui opinait du chef.
-Oui je veux bien. 
-Ok. 
Il raccrocha et Sophie se mit à crier. 
-C'était juste surréaliste. Il vient de t'inviter à prendre à café. Et on a plus que 14 minutes pour y aller.

Nous nous mîmes à courir jusqu'à la maison de Sophie, nous sautâmes dans sa voiture et nous arrivâmes en même temps que lui. Il était déjà installé en réalité. Il avait une cigarette allumée et était assis sur une table dehors. Un rayon de soleil se posait sur lui et quand il nous vit, il nous fit un signe après avoir écrasé sa cigarette au sol.

Son sourire s'élargit. Il avait un beau sourire et une fossette sur le côté droit. Je me sentais seule au monde avec lui. Il pouvait m'arriver n'importe quoi. Tant qu'il continuerait à me sourire, je savais que tout irait bien. Il retira ses lunettes de soleil et les plaça dans ses cheveux. 
-Salut les filles, déclara-t-il d'une voix douce comme si nous étions de vieux amis.
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(1) : but over my dead body : mais pas de mon vivant.