Chapitre 16 (Fin)
Après une éternité, l'infirmière entra précipitamment dans ma chambre. Elle alluma la grande lumière et m'enleva de la main la télécommande sur laquelle j'appuyais frénétiquement. Je ne pris même pas la peine de la regarder et lui désignais, encore tremblant, la silhouette de Jack.
À ma grande surprise, ce n'était que l'ombre du porte manteau. Nulle trace de Jack. Incrédule et légèrement embarrassé, je restai sans voix.
- Tu as eu une hallucination ? C'est normal ; les effets vont s'accentuer. Je t'aurais bien donné un sédatif, mais tu viens de subir une opération.
D'un air compatissant, elle me tapota doucement le bras et m'ordonna de dormir un peu. Elle repasserait dans trois heures. J'appréhendais de rester seul et trouvai un prétexte pour qu'elle reste un peu plus longtemps. Mais elle s'excusa et se leva pour continuer sa ronde, d'autres patients l'appelaient.
À regret, je la discernai vaguement quitter la pièce et me retrouvais à nouveau seul. À vrai dire, j'avais l'impression d'avoir rêvé la scène entière. Dans le couloir, il n'y avait plus aucun bruit ; les chambres qui jouxtaient la mienne avaient été libérées dans la matinée, augmentant mon angoisse. Moi qui, jusqu'à présent, était presque agoraphobe, je souhaitais constamment être entouré de monde depuis la course dans la Pinède. Heureusement, la fatigue accumulée eut raison de moi et je sombrai dans un sommeil profond.
Je me réveillai en sursaut. Quelque chose, sans que je sache quoi, m'avait tiré de mon sommeil. Un bruit, peut-être ? Rien n'était moins sûr. Je ne me rappelai même pas de mon rêve ; les anesthésiants m'embrumaient l'esprit. J'étais trempé de sueur, de grosses gouttes perlaient le long de mon visage. Je ne voulais pas lever le bras pour les essuyer, de peur de réveiller la douleur.
3h35 s'affichait sur l'horloge. Bizarre, pensais-je. L'infirmière n'était pas venue me réveiller... Ou bien était-ce elle qui venait de quitter ma chambre ? Ma porte était d'ailleurs légèrement entrouverte. En nage, j'essayais tant bien que mal de me redresser sur mon coussin, mais une douleur vive m'en empêcha. Aïe ! J'étais complétement ankylosé. Il fallait pourtant que je reste dans cette position pour me rendormir ! Mes paupières étaient de plus en plus lourdes et mon corps quémandait un sommeil réparateur.
C'est alors que du coin de l'œil, j'aperçus une ombre bouger près du rideau. Je pris une grande inspiration et me rappelais les phrases de l'infirmière.
- C'est normal, John. Personne n'est dans ta chambre, il faut juste que tu te rendormes...
Je parlais à voix haute pour me donner du courage. J'allais presque y croire, quand la forme bougea de nouveau. Il y avait quelque chose coincé derrière ma fenêtre ouverte et à moitié caché par le rideau ! Mon rythme cardiaque s'accéléra.
- Calme. Reste calme. C'est juste une hallucination !
Je jetai un œil à la pochette de la perfusion : celle-ci s'était décrochée et... gisait au sol. Le tube intraveineux était toujours accroché à mon bras et l'effet inverse se produisait ! Avec horreur, j'observais mon sang quitter mon corps et remonter lentement le tube jusqu'à la pochette. D'un geste désordonné par les effets de la morphine, je tirai sur l'aiguille plantée dans mon bras. Cela fit un mal de chien et de petites larmes se formèrent aux coins de mes yeux. Un mince filet rougeâtre coula le long de mon bras. N'ayant rien à portée, je compressai ma veine avec le drap qui se tâcha presque aussitôt.
En soi, ce n'était pas très impressionnant, mais le fait que je venais d'échapper à un retour veineux me laissait perplexe. Comment la pochette avait pu tomber ? De plus, l'infirmière aurait forcément dû voir qu'elle était mal accrochée...
J'avais vraiment besoin de dormir. Je suffoquais et, n'étant plus hydraté directement, j'avais terriblement soif. J'éteignais ma lampe de chevet qui agressait mes rétines. J'allais me rendormir quand un craquement résonna dans la pièce. J'arrêtai de respirer. Rien. L'hypothèse du bois qui craque ne fonctionnait pas : le sol était en lino. Le souffle court, je m'autorisai à prendre quelques bouffées régulières, toujours sans oser faire de bruit.
Le vent dehors s'était renforcé et la lune créait des faisceaux lumineux entrecoupés par mon store semi-ouvert. Seul mes yeux bougeaient de droite à gauche, et revenaient sans cesse près de la fenêtre où le craquement avait retenti. Toujours rien.
Cinq longues minutes s'écoulèrent quand le voilage sembla se soulever. Comme par l'effet d'un courant d'air invisible, il se gonfla légèrement et la tringle grinça. Le rideau avait été légèrement tiré ! J'avais une furieuse envie d'appeler à l'aide, cependant, je ne voulais pas que l'infirmière se rende compte que j'avais peur du noir. Même si c'était plus de la semi-obscurité. Je pris mon mal en patience, en me répétant de façon liturgique que l'effet de la morphine allait passer et que bientôt les hallucinations s'estomperaient.
La lune se refléta alors sur quelque chose qui brilla intensément. Un objet métallique, ou... une lame. S'ensuivit juste après un autre bruit sourd. Cette fois, j'en était sûr, quelqu'un s'était introduit dans ma chambre et se cachait derrière mon rideau...
Complétement paniqué, je fouillais de mes doigts fébriles les bords de mon lit et ma table de chevet, sans résultat. Au bord de la crise de nerfs, je compris que l'infirmière avait dû oublier de me remettre la télécommande à portée !
Une ombre surgit alors hors du rideau et la silhouette élancée de Jack me cacha la faible lumière. Incapable de prononcer le moindre son, je le regardais s'approcher de mon lit avec horreur.
- John ! John, réveille-toi ! m'ordonna l'infirmière.
Je nageais en plein délire ! Elle m'expliqua qu'elle m'avait entendu crier et avait dû remettre la perfusion en place. Elle-même ne comprenait pas comment la pochette avait pu se décrocher. "Un vrai mystère", me lança-t-elle. Cependant, l'image de Jack planait encore au-dessus de moi. Et une fois l'infirmière partie, je ne pus me rendormir que par à-coups.
Au petit matin, je reçus deux coups de fils. Le premier était celui de ma mère qui viendrait me voir l'après-midi. Le second de Tania. J'étais tellement heureux de l'entendre ! Ses premiers mots furent des excuses pour m'avoir abandonné, mais je ne lui en voulais même plus. Elle me raconta ce qui s'était passé de son côté :
- J'ai couru de toutes mes forces John, si tu savais ! Je ne pensais plus qu'à une chose : trouver les secours. Je n'ai pas eu besoin d'atteindre les habitations, car les professeurs s'étaient déjà mis à notre recherche.
- Ils ont cru à ton histoire ? m'étonnais-je.
Tania marqua un moment de silence avant de poursuivre d'une voix éteinte :
- Au début non, ils pensaient juste que nous avions allumé des pétards. Jusqu'à ce que je les amène à Mike...
Elle pleurait à l'autre bout du fil, tout comme moi.
Je lui racontais mon opération et la nuit d'angoisse que je venais de vivre. On n'aborda pas le sujet de Jack, toujours en cavale. Elle essayerait de passer dans les prochains jours, et quand elle raccrocha, mon humeur était bien meilleure.
Un verre d'eau était posé sur ma table avec un petit post-it "Voilà, champion". Je le bus d'une traite et réalisais en le reposant, à quel point j'avais faim ! Il n'était que 11h et je devais encore patienter. J'allumais la télé et choisissais un programme quelconque, pour me changer les idées.
Vers 11h30, on frappa à ma porte : le repas tant attendu ! L'infirmier apporta mon plateau sur un petit chariot. Toujours de dos, il referma soigneusement la porte.
- Bonjour, John...
Mon sang ne fit qu'un tour. Cette voix ! Je la reconnu entre milles.
Effrayé, je cherchais furieusement cette fichue télécommande ! Elle gisait au sol, bien visible. J'avais oublié de demander au médecin de la ramasser. Pour l'attraper, je devais me pencher.
En aurais-je seulement le temps ?
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