Cérémonie mouillée

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Assises l’une en face de l’autre sur leurs genoux, tout près de la baie vitrée, Léto et Imany se regardaient. La thérapeute avait disposé sur le grand tapis circulaire orange et rose deux grands bols en pierre noire, la théière, un pot en porcelaine peinte de motifs floraux, un fouet, et un ustensile en bois dont Imany ignorait complètement l’usage. L’abondance de lumière conférait à cette scène un aspect théâtral, et ces objets prenaient vie sous la lumière vibrante de l’après-midi. La jeune fille était à la fois intriguée par la tournure qu’avait pris ce rendez-vous improvisé, et légèrement inquiète. Elle aurait peut-être dû se contenter de choisir sa boîte à thé au lieu de la défier.

_ Alors voilà, dit la thérapeute après s’être assurée qu’aucun ustensile ne manquait. Je crois que tu es inquiète Imany, mais que tu ne veux pas l’avouer. Ni à ta mère, ni à moi. (Imany resta de marbre). Tu n’es pas obligé de me dire tout de suite ce qui te tracasse, je pense qu’on ne se connait pas assez pour ça (la jeune fille hocha doucement la tête). Nous allons faire quelque chose qui ne nécessite rien d’autre que du silence.

Imany était de plus en plus intriguée. Décidément, cette femme avait le don de l’ensorceler avec ses tournures de phrases étranges et la manière dont tout son être semblait condenser lumière et chaleur, force et douceur. Finalement, il ne faisait aucun doute qu’elle était une sorcière. Personne ne lui avait inspiré du respect comme elle l’avait fait. Elle en était digne. Pas comme sa mère.

_ Nous allons célébrer la cérémonie du thé, un rituel japonais, reprit la thérapeute. Étant donné le caractère spontané de ta visite, nous allons devoir faire une ou deux entorses au rituel, à commencer par l’invitation que j’aurai dû t'envoyer des jours à l’avance.

Imany se contenta d’hocher la tête une nouvelle fois. Léto était maintenant déconcertée. Comment une personne aussi jeune pouvait-elle être autant maîtresse d’elle-même ? Aucune émotion, aucun désir, ni même ennui ou impatience ne se dessinait sur ce visage, excepté un calme stoïque, une résignation et une pudeur toute particulière. Le doute commençait insidieusement à faire son travail. Il rongeait et grignotait lentement, mais sûrement, le feu de l’espoir que Léto avait pourtant recommencé à nourrir. Un bruissement de tissus la tira de sa réflexion. Imany commençait à ressentir des picotements dans les jambes.

_ Je vais commencer. Je te laisse observer. En silence, précisa Léto.

Imany hocha la tête en signe de compréhension. Léto saisit d’abord un tissu en soie orange, dont les fils brillants donnaient la drôle d’impression d’être tissé de vaguelettes argentées. La jeune femme le plia une première fois, puis une deuxième, et saisit un des quatre coins pour laisser le tissu pendre et se déplier. Elle réitéra ces gestes, tout en s’appliquant pour qu’Imany en saisisse tous les détails. Alors Léto prit l’ustensile en bois qui avait été un mystère pour Imany. Son extrémité avait la forme d’une cuillère, mais le manche était bien plus long. Elle essuya d’abord le manche, puis le dos de la cuillère avec le tissu orange, avant de le déposer délicatement, de plier une nouvelle fois le tissu, et de le coincer dans la ceinture de son pantalon.

Imany était comme hypnotisée. Elle n’en connaissait pas la raison, mais regarder ces mouvements lents et répétitifs lui procurait une sensation de confort. Elle pouvait sentir ses muscles se détendre, et le poid dans son estomac se dissiper lentement.

Léto recommença ces gestes et essuya les autres objets. Elle versa ensuite l’eau bouillante dans le bol en pierre. Les clapotis de l’eau accompagnaient les gestes gracieux et d’une infinie lenteur de la jeune femme. Doucement, elle effectua des gestes circulaires avec le bol, afin que l’eau recouvre toute sa surface, puis la reversa dans l'autre bol vide. Elle versa une nouvelle fois de l’eau dans le bol, mais y ajouta cette fois une poudre verte.

Imany dû faire un effort pour se retenir de questionner la magicienne sur la nature de la poudre à la couleur plus que douteuse qu’elle ajoutait à l’eau bouillante. Ses jambes, qui n’étaient pas habituées à garder une telle posture aussi longtemps, étaient douloureuses. Elle prit une grande inspiration et pinça ses lèvres, bien décidée à ne rien rater de ce spectacle magique.

Léto lui tendit finalement le bol après avoir préalablement mélangé la poudre et l’eau à l’aide du fouet en bois. Imany le prit. Le bol était chaud, et diffusait dans ses doigts fin une chaleur agréable, comme si la température était celle de son propre corps. Elle le porta à ses lèvres, et retint une grimace quand le liquide amer entra en contact avec sa langue. Elle ne voulait absolument pas offenser celle qui avait mit tant de temps et d’application à la préparation de son thé.

Imany posa le récipient encore plein sur le tapis. Elle ne s’est pas forcée à tout boire, pensa la thérapeute. L'adolescente choisissait l’honnêteté, et signifiait par ce geste qu’elle n'appréciait pas la boisson. Elle avait choisi le respect. Enfin.

_ Bien (sa voix rompant le silence cérémonieux fit sursauter Imany) . On va faire une seconde entorse au règlement. La cérémonie du thé est censée se terminer par le nettoyage des ustensiles et dans le silence. Mais ma méthode veut qu’il y ait un échange durant la dégustation du thé, alors nous ferons différemment. Tu peux t'asseoir dans une autre position, si tu veux.

Imany se redressa et déplia lentement ses jambes, reconnaissante. La sensation de picotement s’intensifia et parcouru l’intégralité de ses jambes. Léto l'imita et elles s’assirent toutes les deux en tailleurs.

_ De quoi voulez-vous discuter ? demanda la jeune fille, à la fois inquiète et soulagée d’aborder la raison de sa visite.

_ Je crois que tu le sais, Imany.

Oui, Imany le savait, et elle savait que sa thérapeute le savait aussi. Il était mieux pour toutes les deux qu’elle aille droit au but, sans omettre aucun détails.

_ Ma mère avait raison. Sur moi, sur tout. Je me fais vomir.

Et pour la première fois, une émotion parut sur le visage de la jeune fille. Une larme, puis une deuxième coulèrent sur ses joues rebondies. Et soudainement, sous le regard peiné et surpris de Léto, son vrai visage apparut à la lumière du jour. Son masque de pierre s’était brisé.

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