Le grand canapé kaki
Léto ouvrit les yeux en sursaut. L’odeur de pain grillé qui l’avait tiré de son sommeil lui causait de bruyants gargouillis. Elle détailla de ses yeux encore alourdis par le sommeil les murs oranges de la pièce où elle se trouvait. Elle distinguait d’abord le son de l’huile ou du beurre qui crépite, chantant en cœur avec les piaillements des oiseaux. Elle fut surprise par l'abondance de lumière pénétrant dans la pièce où elle se trouvait. Son appartement était lumineux, mais pas au point d’avoir l’impression d’avoir dormi à l’extérieur. Et il n’avait pas de mur orange. La jeune femme s’enfonça dans la matière mouelleuse qui lui avait servi de couchette. Elle dégageait une odeur particulière d’agrumes.
Léto se redressa brusquement. Des murs oranges et une étrange odeur d’agrumes? Les coups d'œil qu’elle jeta autour d’elle confirma ses soupçons. Elle était chez Jimmy. Dans son immense canapé vert kaki. La jeune femme baissa les yeux. Evidemment qu’elle portait son t-shirt lapin crétin. Elle leva la tête, et aperçut le propriétaire de ce t-shirt débile affairé autour de sa cuisinière. Il trempait un morceau de pain dans un bol, puis le déposait délicatement dans la poêle qui l'accueillait dans un crépitement joyeux. Léto rougit de plaisir quand elle comprit ce qu’il préparait : du pain perdu.
La jeune femme n’eut pas le temps de s’interroger plus sur ce qu’elle fichait chez son ami un samedi matin, parce que l’ami en question se retourna et esquissa un large sourire en l’aperçevant. Léto se retint de pouffer de rire quand elle reconnut les lapins grimaçant sur le haut de pyjama de Jimmy. Elle lui lança une moue réprobatrice.
_ Grandit un peu, Jimmy-James.
Jimmy suivit le regard de Léto et lâcha un petit rire.
_ Jamais.
Il posa sur la table basse un grand plateau chargé de tranches de pain, de sucre, de marmelade et de fruits rouges. De l’assiette colorée s’échappait un délicieux fumet qui provoqua en Léto une nouvelle réaction de son estomac. La teinte légèrement dorée de la mie du pain et sa croûte grillée dans le beurre hypnotisaient la jeune femme. Sans demander son reste, elle descendit du canapé et s’assit en tailleur sur le parquet. Elle saisit une tranche, et y étala une bonne couche de la marmelade à l’orange que Jimmy avait apportée. Elle la croqua à pleines dents, en émettant un soupir satisfait quand les saveurs explosèrent en bouche. Le jeune homme observa avec amusement son amie engloutir sa première tranche de pain, et les miettes dégringolant sur son t-shirt. Il savait que ça ne serait pas la dernière. Léto était un glouton, et il avait cuisiné en conséquence.
_ Tu sais Jimmy, je peux te dire que tu t’es fortement amélioré en cuisine, prit le temps de relever Léto entre deux tranches de pain. Tu n’as pas encore atteint mon niveau exceptionnel, mais tu t’en rapproche.
Jimmy leva les yeux au ciel dans un air faussement indigné. Qu’est-ce qu’elle aimait la compétition !
_ Ce n’est pas du jeu, se plaignit le jeune homme, ton père est chef.
Léto ne put s’empêcher de sourire de fierté. Elle le regarda du coin dans l'œil d’un air malicieux. Oh non, cet argument ne tenait pas du tout la route.
_ Tsst, tsst. Toi aussi tu as eu droit à ses leçons de cuisine du dimanche après-midi. répliqua-t-elle.
_ Des après-midi baignés de larmes, passés à découper des oignons en dés au lieu de regarder à la suite tous les épisodes de DBZ. Quelle injustice ! répondit Jimmy, mélodramatique.
Léto éclata de rire. Les talents de comédien de son ami laissaient à désirer, mais son humour était irréprochable.
_ Tu te rends compte ? poursuivit-t-il avec un air indigné. Mon propre père m’a livré au tiens sans même me demander mon avis ! C’est de la haute trahison !
_ C’était un investissement pour le futur, Jimmy, dit Léto dans un rire. Il te voyait déjà reprendre les cuisines de son bar.
Jimmy eut une expression presque méchante. Il croisa les bras et haussa un sourcil de dédain.
_ Eh bien il a dû être déçu, le paternel. Je ne suis bon qu’à récurer les verres. Je suis sûr qu’il aurait aimé m’échanger avec toi.
Léto lui sourit tendrement. Elle saisit une tranche de pain et la souleva dans un geste solennel.
_ Tu es bien plus que ça, Jimmy ! proclama la jeune femme d’une voix forte. C’est le meilleur pain perdu que j’ai mangé, après celui de mon père et le mien évidemment !
Jimmy lui rendit son sourire et mima une courbette. Il lui était reconnaissant.
_ J’ai quelque chose pour toi.
Léto regarda son ami se redresser et se diriger vers le fond de la pièce. Elle sourit quand il revint vers elle, deux grandes tasses de thé à la main.
_ Bon, tu m’excuseras, c’est du thé de supermarché. Mais tu ne peux pas commencer ta journée sans ton thé matinal alors j’ai fait avec ce que j’avais.
La jeune femme lui adressa un remerciement d’un coup d’oeil, et saisit la tasse avec ses deux mains. Elle but une première gorgée. Du thé vert. Il n’avait peut-être pas le goût raffiné du thé impérial qu’elle avait bu la veille, mais ça lui convenait. Elle savait reconnaître le goût que laissait l’amour.
_ Jimmy ?
_ Hmm ? se contenta de répondre le jeune homme, la bouche pleine.
_ Est-ce que tu peux m’expliquer ce que je foue chez toi ?
Jimmy leva les yeux, surpris. Comment ça, qu’est-ce qu’elle foutait chez lui ?
_ Je te renvois la question. Je t’ai retrouvé ce matin sur mon canapé en train de ronfler.
Léto fronça les sourcils.
_ Premièrement, je ne ronfle pas. Deuxièmement, pourquoi j’irai chez toi en pleine nuit ?
Jimmy réfléchit un instant.
_ Tu te rappelles de ce que t’as fait hier soir ?
Léto fronça de nouveau les sourcils et tenta de retourner tous les souvenirs de la veille. Elle se voyait en train de servir du thé à ses patients du jour. Puis, la journée terminée, elle avait cuisiné des bouchées d'alloco à la sauce pimentée. Elle se rappelait même s’être cogné la tête contre le coin du placard pendant qu’elle cherchait désespérément une bouteille de vin. Elle était sortie pour aller en acheter une rapidement à l’épicerie du coin de sa rue, puis s’était saoulée devant son film préféré. Léto sursauta. Elle s’était saoulée devant son film préféré !
_ Oups, souffla Léto, légèrement honteuse.
_ Laisse-moi deviner, répondit Jimmy dans un ton réprobateur, tu t’es saoulée devant ton film préféré ?
La jeune femme hocha prudemment la tête. Elle ne savait pas ce qui l’étonnait le plus : qu’elle avait avalé à elle toute seule un litre de vin, ou que son ami d’enfance la connaisse si bien.
_ Et puis-je savoir pourquoi tu n’as pas jugé bon de rester saoule chez toi, Samba-Brown ? J’espère que t’as pas conduit jusqu' ici !
La jeune femme n’osa pas lever les yeux vers un Jimmy qui n’avait plus du tout l’air de rire. Il prit son silence pour une approbation, et il se passa la main sur le visage, exaspéré. Cette fille était folle. Et incroyablement chanceuse. Et totalement inconsciente.
_ Samba-Brown, ne fais plus jamais ça. Tu n’aimes pas boire seule, soit. Mais je t’ai déjà répété que si tu voulais boire…
_ Je pouvais le faire chez toi, oui, je sais, le coupa Léto. Je suis désolée. Maintenant arrête de m’appeler comme ça, on dirait ma mère.
Jimmy fit une grimace de dégoût qu’il ne tenta même pas de dissimuler. Cela amusa son amie qui tenta de détendre l’atmosphère en lui faisant son plus beau sourire. Jimmy l’ignora. Il déclara d’une voix dure :
_ Puisque tu es entré chez moi par effraction et que tu as conduit en état d’ivresse (putin t’es complètement folle est-ce que t’en as conscience ?), tu vas être obligé de me dire pourquoi tu as autant bu. Ça ne te ressemble pas, souffla-t-il, une pointe de tristesse dans la voix.
Léto était mal à l’aise. Elle détestait inquiéter les gens qu’elle aimait. Elle essaya la mauvaise foi pour détendre l’atmosphère.
_ Ce n’est pas ma faute si tu n’as pas pu trouver un meilleur endroit que ton paillasson pour cacher tes clés Jimmy-James ! Tu te rends compte que n’importe-qui pourrait te trucider pendant ton sommeil ?
Mais son ami lui signifia par un regard assassin qu’il était sérieux, et qu’elle ne se déroberai pas, cette fois-ci. Il attendait des explications, et elle allait lui en donner. Léto se mordit la lèvre. Elle était coincée.
_ C’est ma mère, avoua finalement la jeune femme.
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