Le chant des criquets

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Garée dans l’allée de la demeure familiale, Léto enfonçait nerveusement ses ongles dans la mousse du volant, y laissant de vilaines marques. Son regard suivait les points de lumière orangés projetés par les lampadaires sur la façade en pierre de taille. Elle n’était pas retournée chez ses parents depuis la visite qu’elle avait rendu à son père, quelques mois plus tôt. Cet endroit était empreint de souvenirs aussi merveilleux que douloureux. Dans la pénombre du soir, cette bâtisse semblait encore plus imposante qu’elle ne l’était réellement. La jeune femme avait choisi délibérément une heure tardive pour rendre visite à ses parents, car elle savait qu’ils auraient déjà diné. La confrontation avec sa mère serait déjà suffisamment pénible pour qu'elle supporte un dîner entier avec elle.

Léto coupa le contact, ferma sa portière et se dirigea frissonnante vers la grande porte d’entrée. Le chant guttural des criquets inondant la nuit annonçait le retour des beaux jours. Cette idée ne donna à Léto qu’un bref réconfort. Elle soupira longuement avant d’appuyer sur la sonnette.

Son père apparut dans l'entrebâillement de la porte quelques secondes plus tard. Un large sourire surpris accueilla la jeune femme qui n’attendis pas pour plonger dans ses bras. La douce odeur de cannelle et d’orange imprégnant les vêtements de son père lui rappela le doux sentiment d’être chez soi.

_ Entre, sweetie.

Léto entra dans l’entrée spacieuse, se débarrassa de son chandail et suivit son père jusque dans la pièce de vie.

_ Où est maman ? demanda Léto, tout en se doutant déjà de la réponse.

_ Dans son bureau. Elle travaille.

Léto acquiesça. Son père lui caressa l’épaule en la gratifiant d’un un sourire tendre, puis l'informa qu’il allait préparer le thé en attendant qu’elle rejoigne sa mère.

_ Tu n’es pas au restaurant ce soir ? questionna la jeune femme, surprise de voir son père à la maison à cette heure.

_ Je me fais vieux, répondit Dennis dans un sourire chaleureux. C’est Lucas qui me remplace ce soir.

Léto lui rendit son sourire. Ils restèrent un instant debout, au milieu du salon, à échanger un regard lourd de mots. Dennis pût lire dans le regard de sa fille la peur et l’appréhension d’enfant.

_ Bon courage, Sweetie, finit-il par dire en rompant le silence. J’espère que tu auras les réponses à tes questions.

La jeune femme rendit un sourire et se dirigea vers le grand escalier en colimaçon. Chaque marche craquait de plus en plus douloureusement au fur et à mesure que Léto grimpait l’ escalier. Il lui semblait qu’elles gémissaient et compatissaient avec elle. Une fois un long couloir arpenté, Léto arriva devant une grande porte noire. La jeune femme pris une nouvelle inspiration et toqua.

_ Entre, somma une voix étouffée de l’autre côté de la porte.

Léto ne se laissa pas le temps de réfléchir et entra directement dans la pièce. Son agencement n’avait pas changé. Un grand bureau en noyer massif trônait au centre de la pièce, juste devant de longues fenêtres habillées de rideaux de velours noirs. De nombreux tas de feuilles raturées étaient dispersés ça et là, entre deux piles de livres. Une immense bibliothèque adossée contre le mur gauche de la pièce semblait manger tout l’espace, bien que la pièce soit grande. Y étaient disposés différents bibelots dorés, dont l’éclat tranchait avec l’atmosphère sombre de la pièce. Léto sentait déjà son malaise l’envahir. Il y avait eu une période pourtant, où elle avait adoré passer ses après-midi à lire des bouquins qu’elle ne comprenait pas, assise contre les tibias de sa mère.

Sa génitrice, trop absorbée par son travail, ne daigna pas lever la tête.

_ J’ai bientôt terminé, Dennis. Je te rejoins dans dix minutes.

_ C’est moi, maman.

Catherine leva brusquement la tête. Une expression de stupeur mobilisa ses traits, et c’est à cet instant que Léto remarqua à quel point elle avait vieilli. De grandes rides s’étaient creusées autour de sa bouche, et sa magnifique peau noire avait perdu de son éclat. Des cernes sombres masquées en partie par ses immenses lunettes rectangulaires formaient deux poches sous ses grands yeux noirs. Ses traits étaient tirés, et Léto ne put s'empêcher de sentir son cœur se serrer de compassion à la vue de ce visage marqué par la fatigue.

_ Léto ? Que fais-tu ici ?

Léto reprit ses esprits et se pinça intérieurement. Elle devait rester concentrée et lucide.

_ Je suis venue te parler, maman.

Le visage de sa mère se déforma un peu plus sous la surprise. Cela amusa intérieurement Léto. Il est vrai que cette situation devait profondément étonner sa mère. Cela faisait des semaines que sa fille mettait tout en œuvre pour la fuir.

_ Je te laisse terminer ton travail, je t’attends en bas, souffla Léto.

Catherine acquiesça un peu tard, puis se replongea immédiatement dans son travail. La jeune femme l’observa encore une seconde de plus, puis se retourna et referma la lourde porte sans bruit. Sa mère restait fidèle à elle-même. Son travail était toujours son plus grand amour, et son plus grand refuge.

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