Hébétée, Léto jeta un regard à son père, le suppliant de l’aider à contenir la tristesse qui brisait les digues de son entendement. Dennis la comprit, et la prit dans ses bras. Il y avait dans son étreinte une douceur infinie. Elle autorisa Léto à se laisser aller. Les mots de réconfort prononcés par son père se noyèrent sous le bruit de ses propres hoquets. 

Une fois les larmes taries, Dennis se leva et se dirigea sans rien dire vers la cuisine. Il revint avec deux assiettes à la main. Léto devina à la forme triangulaire de ce qu’elles contenaient que son père lui apportait un dessert qu’elle connaissait bien. Du cheesecake à la passion. La jeune femme sourit faiblement à son père, et le remercia quand il déposa l’assiette devant elle. Léto ne put s'empêcher de saliver, et sa peine s’allégea légèrement. Il avait toujours quelque chose à lui donner à manger quand elle avait le cœur brisé. La nourriture et l’amour étaient les meilleurs des remèdes. 

Dennis observa sa fille dévorer sa part de cheesecake. Il fut soulagé de constater que cette douloureuse confrontation ne lui avait pas ôté son appétit. Quel drame pour un chef d'avoir une fille avec un appétit de moineau. Il avait été épargné. 

Il attendit que sa fille eut terminé de déguster sa part avant de prendre la parole. 

_ Je suis fière de toi, dear.

La jeune femme le regarda, de la peine dans les iris. 

_ Je connais enfin la vérité, répondit-elle tristement, mais je ne sais pas si elle m’a fait du bien. J’ai l’impression d’être encore plus vide que lorsque que je ne savais rien. 

Dennis retira l’assiette vide, et plaça la nouvelle assiette devant sa fille. Elle attendit toutefois sa réponse avant de s’attaquer à sa nouvelle part. 

_ C’est normal. Vous avez toutes les deux percé l'abcès. 

_ Je ne sais pas si je pourrai lui pardonner un jour. 

Dennis plongea ses yeux dans ceux de sa fille. La jeune femme fut destabilisée par ce regard profondément mélancolique. Il lui prit la main, comme pour lui demander de lui accorder toute son attention. 

_ Si tu ne lui pardonnes pas, alors pourquoi tu me pardonnerais ? 

Léto eut un mouvement de recul. Elle savait ce qu’il faisait. 

_  Tu as toujours été là. Tu as pris de mes nouvelles, tu m’as rendu visite. Tu ne m’as pas abandonné. 

_ Mais j’ai fui en Louisiane. Si j’étais rentré plus tôt, ou si j’étais resté en France, ta mère n’aurait pas été contrainte de te laisser chez ta tante. Et quand je suis rentré en France, je ne t’ai pas fait rentrer tout de suite. J’ai préféré attendre. 

Léto soutint le regard de son père un instant, puis détourna la tête et reporta son attention sur sa part de gâteau. 

_ Tu as fais ce que tu jugeais comme étant le mieux, finit-elle par répondre. 

_ Comme l’a fait ta mère. 

Les doigts de Léto se nouèrent autour de sa cuillère. Elle détestait ce qu’il était en train d’insinuer. Il n’avait pas le droit d’excuser les choix de sa mère. Elle était sa femme, mais cela n’excusait pas tout. Elle fit claquer la tête de la cuillère contre l’assiette tandis qu’elle s'enfonçait rageusement dans la part de cheesecake. 

Remarquant son agacement, Dennis posa avec délicatesse sa main sur l’épaule de sa fille. 

_ Rappelle-toi qu’on t’aime, deer. Je te laisse déguster ton dessert, je vais voir comment va ta mère. Si tu veux une troisième part, il en reste dans le frigo, dit-il sur un ton malicieux. 

Léto se refusa à  lui lancer un regard complice, mais ne put retenir un léger sourire. Son père s’éloigna, la laissant en tête à tête avec son triangle de sucre. Sa glycémie devait être à l’hauteur de sa peine si elle voulait se rétablir. Elle n’attendit pas d'avoir terminé sa part de gâteau, et se dirigea d’un pas décidé vers la cuisine