Chapitre VII
« Les Salpes participèrent au sein de la grande coalition à défaire les monstres issus des ténèbres. Nul ne sait comment ils s’y prirent mais, menés par leur divin guide Astuste, ils vainquirent les hordes démoniaques. La légende veut que ce soit cette race qui ait infligé le coup décisif aux ennemis de l’humanité tandis que les autres supportaient leurs assauts furieux. Auréolés de gloire et de prestige, au fait de leur puissance ils s’établirent à l’est du continent aux frontières du pays des cendres dans les terres les plus fertiles du monde. Premier d’entre les peuples ils furent pourtant défaits par l’Empire soi-disant saint. Préférant la soumission à l’extinction ils se rendirent et adoptèrent peu à peu le culte impie de la salvation au lieu de celui des ancêtres.
Oh Salpe qui lit ces lignes, n’oublie pas que tu descends des sauveurs de l’humanité. N’oublie pas ta place de gardien car telle est la voie que tes ancêtres ont tracée pour toi ! »
Chroniques des ancêtres.
L’armada chargée de porcelaine arriva finalement à bon port après un trajet calme mais long. Le Salpe qui dirigeait l’expédition n’avait pourtant pas l’air plus inquiet que cela et donnait ses ordres pour qu’on décharge au mieux et au plus vite toute sa cargaison. Il avait sa mission en tête, qu’il savait être de la plus haute importance, et aucun menu détail ne viendrait l’en détourner.
La cité de Port-la-Reine était une petit ville marchande située juste à côté de la frontière avec le royaume d’Ingola. Ses bâtiments de pierre surplombés par des toits bleus donnaient un peu de gaieté à la ville et l’on sentait que la richesse affluait en ces lieux. Naturellement un temple dédié au divin Alaric accueillait les marins sur le port et il ne serait pas absurde de penser qu’il avait été mis là autant pour autoriser les Amadins à prier dès leur retour de mer que pour impressionner les étrangers. La bâtisse était en effet des plus imposantes. Sa porte triangulaire cerclée de deux arches aurait permis à dix hommes d’entrer de front et il aurait bien fallu en mettre une trentaine les uns sur les autres pour atteindre la plus haute tour parmi les dix qui se faisaient concurrence pour atteindre les cieux. Lorsqu’on entrait on découvrait un spectacle non moins somptueux fait de tapisseries relatant les exploits du divin ancêtre et de chandeliers raffinés à neuf bougies dont seule la cinquième était allumée. Autour de ces derniers étaient disposées des assiettes emplis de plats plus ou moins frugaux laissés par les gens de bien à destination des nécessiteux. Le tout était éclairé par les fines fentes qui servaient de fenêtre et qu’on aurait pu prendre pour les meurtrières d’une forteresse s’il n’y avait pas là la statue du premier des chevaliers pour se rappeler qu’il s’agissait d’un temple.
Le chef de l’expédition ne posa toutefois pas le moindre regard sur cet édifice et, après avoir débarqué toutes ses marchandises, s’enquerra auprès des locaux pour trouver quelqu’un capable de transporter le tout jusqu’à Tudrandre, capitale du royaume. Il fallut débourser bien des sous pour ne serait-ce qu’on lui indique à qui s’adresser dans cette ville où la xénophobie était vertu, d’autant plus lorsqu’il s’agissait de Salpes qu’on prenait volontiers pour des sujets de l’Empereur. Il finit néanmoins par trouver un propriétaire de caravanes capable de transporter l’intégralité de ses marchandises. S’il n’avait pas eu un laisser passer avec le sceau d’Armand V en personne il était sûr que jamais il n’aurait trouvé ce qu’il cherchait et pourtant, malgré cela, il avait eu toutes les peines du monde à y parvenir. En face son interlocuteur était surpris mais ravi de découvrir que ce marchand était prêt à lui débourser deux fois le prix normal pour le trajet et il n’allait pas laisser passer pareille aubaine.
Il se garda bien de lui rappeler qu’il avait déjà payé ; Fissa le prévoyant n’aurait en effet jamais pris le risque de se lancer dans une chose aussi hasardeuse que trouver un convoyeur sur place, dans un royaume connu pour haïr ceux de sa race. Cependant Fissa gisait au fond des eaux de la mer d’Inra la gorge tranchée et n’avait dès lors plus grand-chose à faire de cette affaire. Il était vrai que lorsqu’on se penchait plus en détail sur celui qui dirigeait désormais l’opération l’on pouvait remarquer qu’il n’avait pas tout à fait les mêmes oreilles ni la même corpulence mais qui ici ou sur ces navires connaissait assez bien ce marchand pour le remarquer ? Aux yeux des locaux un Salpe était un Salpe et même les plus différents d’entre eux leur apparaissaient comme interchangeables.
La cargaison entama donc son périple vers la capitale tandis que, dans la poche de l’imposteur, une pierre de vie fort volumineuse perdait petit à petit de son éclat rouge pour devenir, lentement mais sûrement, une roche ordinaire sans propriété magique et d’un noir des plus ternes.
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