Chapitre XIII

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« L’Empereur trois fois roi reçu une couronne par le don, une par le mariage et une par la conquête. Notre destinée est et restera, jusqu’à son accomplissement, qu’à notre saint souverain échoient toutes les autres afin qu’enfin l’humanité soit unie et donc sauvée. »

Prêche de l’Eglise de la salvation.

Suite à sa prestation Anrash avait reçu une proposition des plus alléchantes de la part du premier consul à savoir rejoindre sa cour en échange de quoi ce dernier pourrait bénéficier de l’exclusivité de ses représentations. Il allait donc être l’attraction la plus en vue de la capitale mais au moins allait-il pouvoir observer au plus près les évènements qui se passeraient à la tête de l’état et, étant donnés les récents événements, ces derniers ne manqueraient pas d’être des plus intéressants.

La mort d’Armand V était sur toutes les lèvres d’autant plus que la marque de Prario, avait apparemment été retrouvée sur les lieux du crime. Chaque courtisan avait son avis mais seul celui de ceux en mesure de prendre des décisions l’intéressait aussi s’échinait-il à converser avec les ministres et autres sous consuls qui auraient une influence, quelle qu’elle soit. Converser est toutefois un bien grand mot, en règle générale il se contentai d’écouter d’un oreille attentive les discussions d’autrui. Les plus proches conseillers du premier consul étaient, en règle générale, d’avis que cette manœuvre était audacieuse et en réalité bien trop extrême même aux vues des ingérences du roi d’Amadre. Un tel crime provoquerait indubitablement une riposte de ce pays gouverné par des benêts féru d’honneur et pour l’instant seule la jeunesse du nouveau roi Caroman II, dernier né d’une fratrie de quatre filles, empêchait le royaume voisin d’attaquer immédiatement. Agé de seulement sept ans la régence était pour l’instant exercée par sa mère Béatrice mais les inévitables intrigues et controverses liées à ce genre de gouvernement paralysaient pour l’instant le pays.

Au contraire, les quelques ministres et conseillers proches de Firmarin trouvaient cette mesure encore trop modérée et n’hésitaient pas à affirmer qu’avec les multiples violations du traité de paix constatées, une entrée en guerre aurait été plus que justifiée. Chacun exprimait tout haut les avis que le premier consul et son héritier ne pouvaient se permettre d’étaler publiquement. Le désaccord entre le père mesuré et le fils belliqueux se lisait dans les disputes des ministres :

« - Une menace inconnue se lève à l’est, ce n’est de toute évidence pas le moment pour une guerre, affirmait le ministre des finances, proche de Prario.

- Cela ne dépend plus de nous mais je suis d’accord sur un point, mieux valait attaquer le pays d’un coup d’un seul que de lui laisser l’initiative des hostilités, contredisait le ministre de la justice. Une invasion brusque aurait stupéfait le monde mais l’assassinat ainsi commis nous le ligue contre nous. Nous passons pour criminels au lieu de conquérants. La guerre aura de toute façon lieu, autant prendre les devants et l’avantage a passage ! »

Un camp regrettait ce meurtre et faisait tout son possible pour calmer les ardeurs des voisins de l’Empire tandis que l’autre faisait tout son possible pour entretenir l’escalade arguant que plus la guerre commencerait tôt plus elle aurait de chance d’être victorieuse.

Anrash s’épanouissait dans ses débats et, sans jamais y participer directement, il jaugeait les forces de chaque camp ainsi que les différents courants qui les parcouraient. Il comprit vite que les vues de chacun n’étaient pas uniquement dictées par leur vision du bien de l’Empire. Le Rachnir qui gérait les finances avait tout intérêt à conserver de bonnes relations commerciales avec les étrangers. En revanche le Bilberin qui s’occupait de la justice rêvait de faire passer une loi afin de militariser encore davantage la province d’Orme. Une guerre aurait eu pour effet de faciliter l’acceptation de son projet par le premier consul ce qui pourrait à terme, espérait-il, le propulser à la tête de la région une fois que la résistance y aurait été matée.

De toute évidence un bon ministre n’était pas un homme désintéressé mais bien quelqu’un dont les intérêts personnels ne divergeaient pas trop de ceux du pays. Bien plus qu’il ne l’aurait cru la mesquinerie, les arrangements et la corruption réglait la politique de l’Empire et les consuls n’étaient pas les derniers à y tremper, le premier avant tous les autres. Sa tempérance était en effet autant le fruit d’une retenue naturelle que d’une volonté de ne brusquer personne car, comme l’avait appris Anrash au cours de ses innombrables représentations, la plus insidieuse des corruptions n’est pas tant le sac d’or que l’on perçoit que les approbations et l’affection que l’on s’efforce de recevoir. Sans même s’en rendre compte bien des gens agissent contre leur conviction les plus profondes si les suivre risquait de brusquer ou de s’aliéner ses proches. Le premier consul réalisait bien que ses mesures pour le moins modérées ne réglaient que peu de problèmes, cependant elles avaient le mérite de lui éviter d’affronter de face les réticences et les reproches qui iraient avec des prises de positions plus radicales. L’assassinat d’Armand V fut en ce sens encore plus surprenant car nul ne semblait en avoir été informé. Prario eut bien du mal à contenir et supporter l’irritation que cela provoqua chez ses courtisans, ce qui sembla d’ailleurs davantage l’affecter que les potentielles conséquences qu’un tel acte pouvait avoir sur le pays.

Contrairement à son fils le maître des lieux était des plus influençables et sa principale occupation consistait à concilier les intérêts de chacun avec ceux du pays. Une énorme quantité de petites sommes étaient quotidiennement dépensée pour satisfaire les égos et lubies de chacun et ainsi conserver leur soutien. A ce petit jeu où il fallait satisfaire tout le monde l’armée était toujours perdante. C’est que le premier consul ne vivait pas dans le même palais que les généraux et il n’avait à supporter leur colère que peu de fois dans l’année. Finalement le premier consul n’était que l’exécutant des multiples volontés de ses courtisans qui, en échange de quelques services, le payaient en louanges, le plus souvent sincères, persuadés qu’ils étaient que ce qui était bon pour eux ne pouvait en aucun cas être mauvais pour l’Empire. Ainsi, sans que quiconque ne le réalise pleinement, la corruption, les arrangements et la médiocrité s’installaient aux plus hautes sphères du pouvoir avec, pour principal moteur, la faiblesse de caractère de celui qui était censé faire prédominer l’intérêt général au lieu de le soumettre aux intérêts particuliers de ceux qui avaient le privilège de le côtoyer au jour le jour.

Firmarin se complaisait dans cet état de fait. Il avait beau critiquer son père à demi-mot, il ne reniait ni la personne, ni son œuvre. Ses paroles fermes et radicales n’étaient jamais suivies d’actes en dépit de l’influence évidente que l’héritier du premier consul ne peut pas manquer de posséder. Il parlait de guerre sans s’y connaître, de reprise en main sans jamais sévir et d’abnégation en se vautrant dans le luxe. Plus que tout, il ne manquait jamais une occasion de se lancer dans des envolées martiales à l’encontre du royaume d’Amadre, toutes promptes à lui attirer les louanges de ceux pour qui le plus haut degré d’autorité consistait à parler fort. Il passait ainsi, à peu de frais, pour un homme à poigne et il était d’autant plus applaudi qu’il ne faisait rien pour réaliser ses vues. Sur le principe tout le monde était d’accord avec lui mais ces mêmes personnes étaient encore plus ravies que rien ne change.

« Pour l’instant tout cela tient grâce à la richesse et à la puissance du pays mais si ce dernier venait à rencontrer des difficultés… qui sait combien de temps un tel imbroglio d’intérêts contradictoires pourrait perdurer, se demandait Anrash. »

Falia quant à elle jouissait autant que possible de son nouveau statut et se désintéressait de ce qui captivait son maître. En plus d’être une mage de grand talent elle était la seule Fitale du palais et attirait de ce fait la curiosité comme personne. Elle devint, à ce titre, très vite la coqueluche de la cour. Contrairement à son maître, être le centre de toutes les attentions ne lui déplaisait pas. Elle faisait de petits tours gratuitement, dosant savamment le peu qu’elle montrait afin de maximiser l’envi de ces interlocuteurs d’en voir davantage. Jusqu’à aujourd’hui il lui avait été formellement interdit d’utiliser des pierres de vie sans autorisation mais il semblait que dans ces murs ces dernières étaient aussi abondantes que l’herbe sur une plaine. Il suffisait qu’elle dise un mot pour que la moitié des notables du palais lui en présentent par paquets, toutes gorgées de magie. Son maître avait même fini par accepter qu’elle fasse quelques représentations sans lui. Dans ces moments-là il avait tendance à sortir car, si la demeure du premier consul aiguisait son intérêt, elle semblait tout autant l’épuiser et il fallait de temps en temps qu’il retrouve hors de ses murs ses amis afin de purger son esprit de toute la gravité qu’il s’imposait lui-même.

Si ces derniers étaient les mêmes que jadis il devait s’agir d’un petit groupe de vendeurs itinérants Akshus, voyageant comme eux et comme beaucoup des gens de cette race à travers le pays afin de vendre quelques babioles mais n’ayant pas obtenu le succès qu’elle et son maître aveint eu. En ce qui concernait Falia ses amis résidaient ici, dans le palais. Elle n’était jamais restée suffisamment longtemps où que ce soit auparavant pour s’en faire de véritables. Heureusement pour elle, la vie de nomade qu’elle n’avait jamais cessée de mener touchait à sa fin. En même temps, quel meilleur endroit ou résider que le palais consulaire ? Sa frivolité s’exprimait au grand jour et semblait même être appréciée par les courtisans. La candeur, si ce n’est la naïveté, qui émanait d’elle donnait un air de légèreté à cette cour qui en manquait cruellement et tout particulièrement en ces temps troublés.

Elle sympathisa notamment avec Balia, une Bilberine, mage comme elle mais dans le domaine de la guérison, qui semblait pouvoir disposer de toutes les pierres de vie du monde tant elle était capable de lui en fournir quelle que soit les circonstances et le tout sans effort. Sa famille pratiquait l’art de la médecine depuis trois siècles et elle était, aux dires de tous, l’aboutissement le plus parfait des multiples générations de cet illustre lignage. Ses deux nattes, ses rondeurs et ses doigts potelés la rendait sympathique au premier regard et elle était la seule à qui Falia ne refusait jamais un tour.

Pulpo était pour sa part un Salpes encore plus grand et élancé que les autres de sa race. Il était fort bien bâti et était le fils du consul dirigeant la province de Chopalka à l’est. Ce dernier l’avait envoyé ici il y a quelques mois de cela afin de le préserver des dangers qui se faisaient chaque jour plus nombreux dans sa région natale sans que cela ne lui pose le moindre tracas. Il était généralement souriant et, tandis que Balia avait un don incroyable pour dénicher des pierres de vie, ce dernier faisait plutôt dans l’alcool et les filles, auprès desquelles il avait un succès fou et même Falia ne restait pas insensible à ses charmes.

Enfin, pour compléter le petit groupe qui s’était formé autour d’elle, s’était joint Granik, un garde consulaire Rachnir tir au flan mais particulièrement drôle et guilleret. Il était maigre, couvert de grains de beauté et ses pics toujours mal entretenus dénotaient avec son superbe uniforme, qu’il n’enfilait toutefois que lorsque son devoir l’exigeait. Au milieu de ses nouveaux amis Falia s’épanouissait et était plus heureuse que jamais auparavant.

Pourtant plus la joie s’immisçait en elle, plus l’atmosphère de la cour devenait pesante et plus les intrigues que ne manquent jamais de provoquer les graves évènements se nouaient autour d’elle.

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