Chapitre XXII
« Le Saint Empire est né de l’action d’un homme et d’une voix. Le premier traduisait en acte les dires de la seconde et, grâce à mille miracles, parvint à créer en une décennie une nation qui allait être vouée à régner sur le monde. Le premier jour de l’an un de l’ère de la Vérité fut celui où, par la persuasion et l’aide du ciel, le premier Empereur Embrun parvint à asseoir son autorité sur la ville de Madélion, alors humble cité de feu le royaume d’Orkam, pays des Rachnirs. Le temps de la parole allait dès lors cesser et celui de la conquête commencer. »
L’avènement d’Embrun, de l’Empire et de l’Eglise.
Une étrange amertume se mêlait à la joie d’Alina en ce jour de remise des médailles. Naturellement cette dernière était secrète afin que sa couverture soit conservée intacte et qu’elle puisse continuer à pourrir le mouvement Amadin de l’intérieur mais ce qui la contrariait était l’absence de Bormo. On lui avait certes expliqué qu’il s’en était allé en vue d’une autre mission mais il existait entre eux assez de complicité et de respect mutuel pour que son éloignement soudain l’atteigne. La lettre qu’il avait pris soin de lui écrire l’avait néanmoins touché :
« Ma chère Alina, pardonnez mon départ précipité mais les dernières découvertes que vous avez faites émerger sont des plus inquiétantes et je me devais d’enquêter sans délai. Au moment où vous lirez ces lignes je serai sans nul doute en route pour Angefeu, néanmoins je ne doute pas que nous nous reverrons un jour et j’espère que vous aurez d’ici là encore monté en grade ! En attendant toute mes félicitations pour votre promotion. Si votre conversion à la vraie foi pouvait aller de paire avec une réelle dévotion, en plus des formes que vous mettez de plus en plus d’entrain à respecter, alors nul doute que l’Empire trouverait en vous un atout de la plus haute valeur !
Bien à vous, Bormo ! »
La cérémonie avait beau réunir un certain nombre de personnages, dont le général Agshar, aucun ne semblait ravi de voir une Amadine ainsi promue, quand bien même elle avait réussi là où eux-tous avait échoué. L’indifférence côtoyait la franche hostilité et le seul qui était sincèrement ravi pour elle était à des lieues d’ici. Qu’importe, Alina ne comptait pas demeurer ici très longtemps. Et pour cause ! Ses agissements au sein du mouvement séparatiste ainsi que les purges qui ne cessaient toujours pas de le secouer lui avaient fait gravir les échelons à un rythme soutenu à tel point que cela lui avait ouvert de nouvelles possibilités qu’elle ne manqua pas de présenter au gouverneur :
« - Mon général, merci de me recevoir !
- Allons, c’est bien normal après tout ce que vous avez accompli, s’exclama-t-il en secouant nonchalamment une coupe de vin ! Et puis Il se passe des choses étranges à l’est. J’ai reçu un message du connétable m’enjoignant à sécuriser notre frontière ouest au plus vite et d’éviter tout conflit pour l’instant. Me voilà donc dans une situation délicate. D’un côté si je fais trop étalage de ma puissance cela pourrait être vu comme une provocation mais de l’autre tenter une désescalade dans la région pourrait passer pour de la faiblesse. Sans compter que le premier consul me presse de lâcher mon poste pour le remettre à un gouverneur civil… Enfin… Vous vouliez me parler de quelque chose en particulier ? »
Alina analysa rapidement ce que le général venait de lui dire. Son tracas était au mieux surjoué tant les succès qu’elle lui avait apporté avait conforté sa position dans l’armée. Il paraissait décontracté, presque joviale. Sans nul doute savourait-il le fait que sa province, fort éloigné de la frontière orientale, était aujourd’hui l’une des plus stable et des plus sûres, si on omettait les assassinats répétés que les ennemis de l’Empire commettaient entre eux. A côté des turbulences de l’ouest ses complaintes résonnaient comme des flagorneries dirigées à son propre endroit. Qu’ils étaient menus les problèmes de la province d’Orme par rapport à ceux du pays des Salpes. Comme ce général y était pour peu de chose enchérissait-elle en son for intérieur. Enfin… l’actuelle bonhomie du gouverneur et sa reconnaissance de l’apport de la jeune Amadine dans ses récents succès, bien qu’il s’en attribua tout le mérite en haut lieu, le rendait bien disposé à son égard aussi était-il prêt à l’écouter attentivement.
« - Mon général ! Comme vous le savez, j’ai infiltré le mouvement séparatiste depuis maintenant presque huit mois. Ce dernier en est au point où il ne représente plus une menace pour nous, cependant je ne pense pas que nous devrions nous arrêter là, d’autant plus après ce que vous venez de me dire. Mon apport à l’épuration du mouvement ainsi que ma place relativement importante dans l’armée impériale m’ont fait entrer dans les bonnes grâces de personnes très importantes au point qu’il me semble aujourd’hui possible de me rendre en pays Amadin et de rencontrer les véritables dirigeants de cette révolte. »
Naturellement elle se garda bien de dire que pour cela elle avait dû livrer de véritables agents de l’Empire. Le sens absurde de l’honneur des Rachnirs n’aurait pas supporté et encore moins compris l’intérêt d’un si petit sacrifice par rapport au gain potentiel. Elle ne lui révéla pas non plus que ce qu’elle présentait comme hypothèse était en fait déjà acquis et qu’elle avait même fait empêcher quelques assassinats au sein de mouvement afin de passer pour une modérée. De cette façon elle parvint à s’attirer les bonnes grâces des nobles de part delà la frontière qui voyaient d’un mauvais œil cet incessant carnage. Ainsi, dans le dos même de Ludovic qui sombrait de plus en plus dans la paranoïa au fur et à mesure qu’Alina lui susurrait des mots à l’oreille, elle devint l’interlocutrice privilégiée des seigneurs Amadins. Naturellement ils ne pouvaient pas avoir une entière confiance envers un officier impériale mais la réunion qui se préparait serait un moyen pour eux de la juger autant qu’il en serait un pour elle de les duper. Toutefois elle connaissait la méfiance qu’inspirait son peuple aux Rachnirs et même ses récents succès ne la disculpaient pas totalement d’une trahison à venir aussi jugea-t-elle plus sage de ne dire à Agshar que le strict minimum. Il n’aurait pas été certain qu’il accorde à une Amadine devenue aussi influente la possibilité de se rendre dans le royaume rival.
N’ayant entendu que ce que l’Amadine voulut bien lui faire entendre, le général se redressa et la jaugea un instant avant de lui demander :
« - Et que ferez-vous une fois là-bas ? Ne risquez-vous pas de vous faire prendre pour rien ?
- Je jaugerai les chefs et tacherai de vous informer sur la meilleure façon d’éviter le conflit comme on vous l’a ordonné. Je vous dirai si vous devez étaler votre puissance pour les intimider ou au contraire si la discrétion serait plus à même de garantir la paix… »
A ces mots Alina se tut un instant, plongea son regard dans celui du général, puis reprit :
« … Et si jamais guerre il devait y avoir il se pourrait que je sois en mesure de vous donner des informations à même de grandement vous faciliter la victoire. »
Agshar se pencha en avant et réfléchit tout en scrutant son interlocutrice. Naturellement le sous-entendu ne lui avait pas échappé. Cette Amadine n’était pas à prendre à la légère mais l’habileté qu’elle avait déployée jusqu’ici constituait un atout de taille dans sa manche. Un atout dont lui seul était au courant puisqu’à la capitale nul n’avait ne serait-ce qu’entendu parler d’elle. Si elle échouait et qu’elle se faisait prendre le mouvement rebelle ne ressusciterait pas de sitôt pour autant. A l’inverse si elle réussissait alors il aurait le plein contrôle sur les évènements et il ne tiendrait qu’à lui de respecter les ordres de paix venant d’en haut ou de se lancer dans une guerre qu’il aurait toutes les chances de remporter.
« Soit ! Vous avez mon autorisation ! Si vous remplissez vos promesses en m’indiquant comment conserver la paix et qu’en plus de cela vous gagnez vos entrées dans les plus hautes sphères du royaume d’Amadre alors je peux vous jurer sur mon honneur de soldat que l’Empire saura vous être reconnaissant et moi plus encore ! »
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