Juliana

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En sueurs. Je me réveille une nouvelle fois tremblante, le corps endolori et le souffle coupé. Comme chaque nuit ces derniers temps, je fais ce même cauchemar qui me ramène à la réalité et m'empêche de dormir comme tous les autres soirs.

Un cri. C'est la première chose que je perçois. Je suis plongée dans la nuit noire et je ne peux rien voir, comme si j’étais aveuglée. Mes sens me trompent. Je ne sais pas où je suis ni où je vais. Seul ce hurlement déchirant dans l’obscurité guide mes pas. Mais il ne me mène nulle part. Je suis entourée par le vide, du moins c’est l’impression d’impuissance qui me saisit. Mais ce râle se répète plusieurs fois et je suis incapable d’identifier la nature de cette voix. Je me sens inutile, alors que j’aimerais aider celui ou celle qui semble souffrir le martyr. Puis, tout s’interrompt. Comme si cette personne s’était tue et c’est alors que vient la vraie panique, le silence pesant qui me fait plus que jamais me sentir seule et perdue.

De longues secondes s’écoulent, qui me paraissent être des heures tant elles semblent interminables. Et tout à coup, mes yeux retrouvent enfin la vue, comme si la lumière revenait et que le voile qui se dressait jusqu’ici devant moi se dissipait. Je mets un certain temps à m’habituer à ce nouvel environnement. Et puis, petit à petit, je perçois une lumière blanche devant moi. Cette lumière, à peine perceptible un certain temps, prend la forme de ce qui s’apparente être une porte.

Au début, je ne suis pas sûre de moi et j’avance à tâtons, les bras devant moi comme si je craignais un obstacle invisible à l’œil nu. Mes yeux, plissés, ne cessent de fixer l’objectif, cet âtre de lumière qui se distingue de plus en plus au fur et à mesure que je m’en approche. Mes pas deviennent de plus en plus assurés et je ne suis plus qu’à quelques mètres quand tout à coup la porte se ferme violemment devant moi et me projette littéralement au sol. Cette force, imperceptible, émet un bruit qui me glace le sang, comme si un démon se cachait dans la nuit qui m’entoure.

Je suis paralysée. Et je ne peux l’expliquer. Cette situation, à la fois terrifiante et frustrante, me ramène au rôle de simple spectateur de ma propre aventure. Une aventure que je ne comprends même pas. Puis tout à coup, le cri strident revient, bien plus perceptible que la première fois, comme si la personne qui l’émettait se trouvait dans la même pièce que moi. Puis, je me retourne tout à coup et une fille me fait face.

Ce n’est qu’une enfant. Elle ne doit pas avoir plus de 6 ou 7 ans à première vue. Que fait-elle ici toute seule ? Pourquoi pleure-t-elle ? Où sont ses parents ? Toutes ces questions se bousculent dans ma tête. Mais je suis très vite ramenée à la réalité. Des larmes coulent abondamment sur ses joues. Elle porte ce qui paraît être un pyjama et tient une peluche dans sa main droite, une panthère noire. Elle a le teint hâlé et les cheveux qui se battent en duel, comme si elle sortait du lit. Cela n’a aucun sens. Je me rapproche d’elle tranquillement alors que mes yeux peinent à voir. Elle ne bouge pas, ne cherche pas à me fuir. Tout à coup, c’est elle qui paraît pétrifiée de peur. Je tente de la rassurer comme je peux :

- Calme-toi, calme-toi, tu n’es plus toute seule, lui dis-je d’un ton qui se veut apaisant. Il ne t’arrivera plus rien, je te le promets.

Elle s’arrête soudain de pleurer comme si mes paroles avaient directement porté leurs fruits. Puis, son regard dérive vers l’horizon et j’accompagne ses gestes tandis qu’elle pointe quelque chose du doigt. J’aperçois tout à coup un corps par terre, ensanglanté. Je pousse un cri de terreur et me précipite alors vers lui. De plus près, je m’aperçois que la victime est une jeune femme âgée d’une trentaine d’années. Je prends son pouls, elle ne respire plus, c’est terminé pour elle. Puis soudain, je réalise et je comprends... Ce doit être la maman de la petite.

Je me retourne vers elle, la mine grave alors que je ne voudrais rien en laisser paraître. Et avant que j’aie le temps de trouver les mots pour lui expliquer la situation et lui dire qu’elle devra être forte, elle me balance de plein fouet :

- C’est toi. Tu l’as tuée.

Je regarde autour de moi, il n’y a que le néant. Je me sens lourde dans cette combinaison qui entrave mes mouvements. Je ne peux plus respirer. Je suffoque littéralement. C’est en tout cas ce que je perçois à cause du gaz que je viens d’inhaler. Nous avons pourtant l’habitude de faire face à ces dangers que nous pouvons anticiper, mais cette fois je me suis fait avoir comme une bleue. J’ai un peu honte mais je n’ai pas le temps d’y penser. Je dois vite recouvrir mes esprits et m’éloigner.

Un halo de fumée m’empêche de voir quoi que ce soit. Je me sens vulnérable et c’est la pire sensation que je puisse éprouver. Je n’avais jamais été mis en danger auparavant mais mes pensées m’ont trahie. Je me suis foutue toute seule dans la merde. J’entends des cris qui fusent de partout mais qui me semblent si loin. Des râles. La peur. La mort.

Nous nous faisons massacrer. C’est ce que je devine. Et nous nous sommes faits piéger par les escadrons de la Résistance. C’est comme cela qu’ils se définissent et qu’ils se font appeler. Pour moi, ce sont des ennemis, des rats à éliminer. Depuis toujours, on nous enseigne qu’ils sont la cible privilégiée car ils représentent une véritable menace pour la stabilité de l’État. Et tout comme les nuisibles, si on en tue un, un autre réapparaît aussitôt. Classique mais imparable.

Je tente de marcher et de reprendre le contrôle de mon corps bien que je sois chancelante comme si je m’étais pris un uppercut en plein dans le ventre. Ma tête va exploser. Je me guide à l’aveugle en portant mes bras devant moi. Je finis par tomber sur un mur et je plaque mon dos contre ce dernier. Le brouillard commence à se dissiper et laisse apparaître un paysage chaotique. Le problème, c’est que je ne me rappelle plus de rien. Je vois flou, j’entends des voix qui se rapprochent et des formes qui se dessinent aléatoirement devant moi. Est-ce le fruit de mon imagination ? Est-ce que je délire complètement ? Ça en a tout l’air. Je sens que le sol se dérobe sous mes pieds et que je m’écrase littéralement par terre. Puis tout à coup, le noir complet se fait devant moi et je perds connaissance.

Je me réveille difficilement, avec un mal de tête saisissant comme si on m’avait asséné un coup en plein sur le crâne et qu’il s’était fissuré en deux. La première question qui me vient à l’esprit est « où suis-je ? ». Comme si la personne qui avait deviné mes interrogations m’observait, une voix s’empresse de me dire :

- Vous êtes loin de chez vous, me murmure une voix féminine assez grave.

Je ne sais pas d’où vient cette voix et je ne peux pas mesurer sa portée. Je suis plongée à nouveau dans l’obscurité et mes vêtements de combat m’ont été arrachée. Je sens le sol froid sous mes mains et mes pieds. Je suis parcourue d’un frisson. Est-ce la Résistance qui m’a attrapé et qui va me torturer ? Je ne me souviens plus de rien... Impossible de savoir ce qui m’est arrivé avant que j’atterrisse ici et me retrouve prisonnière.

- Vous êtes en état de choc, agent Clark.

Mon nom... J’ai un nom. Je ne m’en rappelle guère, comme si on me l’avait attribué à l’instant.

- Qui... qui êtes-vous et que me voulez-vous ? murmure-je avec peine.

- Qui nous sommes importe peu, me répond la voix du tac au tac. Nous vous observons depuis un moment, agent Clark. À votre air surpris, je crois comprendre que vous avez tout oublié, y compris votre identité. C’est fâcheux...

Je me sens observée, épiée et ma frustration ne fait qu’augmenter avec le fait de me sentir plus que jamais vulnérable, tel un oiseau en cage.

- Pour répondre à votre seconde question, je répondrais que vous êtes toujours en vie et que c’est donc plutôt un bon point pour vous. Si nous voulions vous tuer, nous l’aurions déjà fait.

Je me relève tant bien que mal sur mes deux jambes. Tout à coup, je me retrouve aveuglée par une lumière qui jaillit de nulle part. Lorsque je réussis enfin à m’adapter à mon nouvel environnement, je distingue une pièce quasiment vide, avec pour seul décor des murs gris, une table de fortune et des chaînes qui entourent fermement mes poignées. Que me veut cette voix et les gens avec elle ? Car je devine aisément que si une seule personne me parle, elle ne se trouve évidemment pas seule.

- Je répète ma question : que me voulez-vous ?

J’entends des murmures autour de moi. Je cherche une caméra des yeux et finis par en trouver une dans un angle. Je m’approche à tâtons et la fixe du regard dans l’attente d’une réponse que j’espère convaincante.

- Très bien, agent...

- J’ai un nom !

Tout à coup, le silence se fait autour de moi pendant de longues secondes. Puis, une porte que je n’avais pas vue s’ouvre à la volée devant moi, laissant entrevoir un homme vêtu d’une combinaison blanche et d’un masque lui couvrant le visage. Il tient par la main une petite fille, blonde aux yeux bleus, vêtue d’une robe à fleurs. Elle ne doit pas avoir plus de six ou sept ans et semble ne pas vouloir être là comme si elle avait peur de moi. Et soudain, je pousse un cri sourd... Cette petite, je la reconnaîtrais entre mille, c’est celle de mes rêves... Ou plutôt de mes cauchemars de ces derniers temps.

- Cette petite fille vous est familière, n’est-ce pas agent Clark ? me demande la voix, insistant à nouveau sur ce nom dont je ne me rappelle pas.

- Je... Je... dis-je, incapable de formuler le moindre mot.

La petite fille en question continue de me fixer, l’air apeuré comme si elle savait qui je suis. Tout en me dévisageant, elle ne relâche pas la main de la personne en blouse blanche qui l’accompagne. Cette scène me met profondément mal à l’aise. Le regard que porte cet enfant si innocent sur moi me donne l’air d’un monstre et me conforte dans cette idée. Pourtant, je suis certain de ne l’avoir jamais vue.

- Vous vous êtes déjà rencontrées auparavant, souffle la voix comme pour mettre fin à tout suspens. Mais apparemment, cela aussi, vous l’avez oubliée. Votre mémoire fait défaut et ce n’est pas surprenant, mais c’est la première fois que cela arrive chez quelqu’un de... de votre espèce, disons.

- De mon espèce ? Mais qu’est-ce que vous voulez dire à la fin ?

- Ne vous en faites pas, vous allez vite comprendre, mais le choc risque d’être brutal, très brutal, je préfère vous prévenir.

Tout à coup, je vois des images défiler devant mes yeux, qui se situent dans l’espace environnant, juste entre cette fillette et moi. Elles se superposent les unes aux autres de telle manière à apparaître telles les séquences logiques d’un film.

- Vous êtes la seule à voir ces scènes et resterez la seule. La petite ne les verra pas, car elles sont trop traumatisantes. Et nous ne voulons pas lui faire revivre des scènes choquantes, sa vie ayant déjà été bien assez éprouvée comme cela... Bien trop pour une enfant.

La voix marque un silence comme pour insister sur la gravité du moment, puis reprend sa course.

- Très bien, agent Clark. Tout d’abord, avant que nous vous montrions ces scènes, vous devez comprendre quelque chose de très simple. Vous n’êtes personne et vous n’existez pas officiellement.

- C’est... C’est impossible, parviens-je à murmurer en grande peine.

- Je vous prie de ne pas m’interrompre. La dénomination « agent Clark » n’est qu’un nom que nous avons attribué car c’est le seul connu dans les registres officiels. Vos souvenirs, bien que flous au moment où nous parlons, sont eux falsifiés. Vous allez finir par recouvrer la mémoire mais tout ce en quoi vous croyez n’est qu’une parfaite illusion. Des gens, ceux que nous combattons et ceux pour qui travaillez, vous ont fait croire à une vie qui n’est pas la vôtre et vous ont volée votre véritable existence.

À cet instant, des flash-back me reviennent et m’assaillent. Le choc est tel que je m’effondre sur le sol et que je veux prendre ma tête entre mes mains mais je me rappelle alors qu’elles sont jointes et solidement attachées. La petite fille semble prise d’un sursaut et recule de quelques pas. Je la regarde et remarque pour la première fois quelque chose que je n’avais pas discerné dans son regard : une peine, une terrible peine, voire de la pitié.

- Ces flashbacks qui vous reviennent sont les souvenirs que vous aviez enterrés et que vous croyez être votre passé. Mais comme je vous le disais, ils sont faux. Vous n’êtes pas née dans la province de Skatland, vos parents n’étaient pas ingénieurs pour la République et vous n’avez jamais été à l’Université. La vérité, nous allons vous la dévoiler, en partie en tout cas...

Tout à coup, les scènes suspendues dans l’air prennent vie devant moi.

- Ces vidéos, si nous pouvons ainsi les nommer, constituent votre véritable existence, celle qu’on vous a toujours cachée. Nous vous avons mis des lentilles qui retracent ce qui était dissimulé à votre vue et avons arraché l’implant qui se trouvait dans votre cerveau et qui obstruait littéralement votre réalité.

La voix m’explique très calmement la situation comme si tout cela était normal et qu’elle ne faisait que réciter machinalement un texte appris par cœur.

- La première scène que nous allons vous montrer remonte à il y a fort longtemps, à ce qui s’apparente être votre enfance. À prendre avec des pincettes car nous ne pouvons pas considérer que vous en ayez vécu réellement une.

Devant mes yeux, je vois une scène de chaos. Des cris qui jaillissent de nulle part et qui me glacent le sang. C’est l’anarchie totale. Des gens courent dans tous les sens. Une marée humaine s’enfuit face à des soldats armés qui les pourchassent. Ici, un homme est abattu d’une balle à bout portant. Dans un autre coin, une famille se fait encercler, les enfants se font enlever et sont emmenés dans des cages. Ensuite, les parents se font descendre et les femmes se font violer. Les images sont très dures à supporter et je supplie la voix d’arrêter.

- Pourquoi arrêter ? Cette scène, c’est votre réalité. Vous l’avez vécue, agent Clark.

- C’est impossible, je ne me rappelle de rien !

- À cause de l’implant comme je vous disais. La République que vous aduliez tant et pour laquelle vous vous battiez n’aurait jamais pu vous faire autant adhérer si vous vous souveniez de votre vie. Ces gens étaient vos voisins, des amis sûrement. Et peut-être vos parents mais nous n’avons jamais su qui ils étaient et il ne semble y avoir aucune trace d’eux dans votre subconscient. Vous étiez orpheline.

Mes yeux s’écarquillent et je sens que tout mon corps tremble alors que je parviens à peine à me relever sur mes genoux. Je n’ai pas envie de croire à tout cela.

La scène se poursuit dans une atmosphère tragique. Les mêmes scènes de violence qui semblent être filmées par une caméra invisible. Puis soudain l’image bouge et un homme la saisit avec force et la fait tomber à terre. Le reste montre des prises de vue saccadées, qui deviennent floues et finissent par ne plus rien montrer à part la nuit noire, l’obscurité.

- Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi la caméra s’est arrêtée de tourner et qui est cet homme ?

- Ce n’est pas une caméra, agent Clark. Comme je vous le disais précédemment, ce sont vos véritables souvenirs, ceux d’une fillette apeurée qui a vu son univers s’effondrer ce jour-là. Cet homme, c’est un soldat comme un autre mais qui a commis des atrocités.

Je comprends alors. Pour la première fois. Et je me sens salie de tout mon être. Je sens cet homme en moi et cela me dégoûte à tel point que je finis par vomir par terre. C’est à ce moment que je perds tout contrôle et que je mets à pleurer et à crier de rage.

- Agent Clark... Je suis sincèrement désolé pour ce qui vous est arrivé et je sais combien le choc doit être dur à encai...

- Non ! Vous n’en avez aucune idée !

Je me redresse avec une folle envie de tuer. Le regard animé d’une colère noire ; je fixe la personne en blouse blanche qui semble prête à dégainer ce qui s’apparente être un pistolet, tout en protégeant la petite fille.

- Pour qui vous prenez-vous à la fin ? Vous n’avez pas le droit. M’enfermer ici, me mettre face à cette gamine et me raconter tout un tas de conneries en disant que ma vie est un énorme mensonge. Allez vous faire foutre ! J’en ai marre de parler à je ne sais qui. Montrez-vous ! Ayez au moins le courage pour ça !

Un silence de mort se fait. Je sens la tension qui se propage bien au-delà de la pièce. Derrière ces murs, des gens doivent m’observer, m’étudier et débattre pour savoir quelle décision prendre. De longues minutes s’écoulent, interminables avant qu’enfin la porte par laquelle est entrée la petite fille ne finisse par s’ouvrir. Devant moi se présente alors une femme qui doit avoir une cinquantaine d’années, les cheveux blancs coupés court en carré. Je remarque tout de suite ses yeux bleus perçants qui me scrutent. Je comprends très vite que c’est avec elle que j’échangeais jusqu’alors.

Je me redresse avec peine, plus que jamais méfiante. Elle, au contraire, s’approche de moi, sans aucune peur, et vient s’arrêter à un mètre. Elle met sa main sur ma joue en séchant mes larmes à l’aide d’un tissu et vient se coller près de la petite qui se blottit aussitôt contre elle. La personne en tunique blanche s’éloigne alors.

C’est elle la cheffe, c’est certain.

- Qui... qui êtes-vous ? je lui demande, le souffle haleté.

- Vous pouvez m’appeler Emma, répond la femme d’un sourire franc. C’est moi qui dirige les opérations ici. C’est avec moi que vous parliez, mais cela, j’imagine que vous vous en doutiez déjà. Je tiens à m’excuser pour la méthode que nous avons employée, ce n’était pas la bonne et c’était même cruel. Mais pour notre défense, nous avions besoin d’une réaction de votre part, d’une vraie réaction.

- Pourquoi ? Vous n’avez pas pu trouver une scène moins dure à avaler dans toute cette fameuse existence ?

- La vérité, agent Clark...

- S’il-vous-plaît, je ne vous demande qu’une chose, arrêtez de m’appeler comme cela.

Emma se met à sourire à nouveau. La petite, de son côté, semble en confiance à ses côtés.

- Très bien, je ne le ferai plus. Nous vous avons appelé ainsi parce que c’était votre nom dans vos rangs. Résumer votre vie avec ce que nous en connaissons est compliqué et très abstrait, car il en manque une partie. Mais vous devez savoir qu’après ce traumatisme que nous vous avons montré, vous avez été... Comment dire ? Vous avez été formatée pour le reste de votre vie. Vous êtes devenue une enfant soldat et vous avez été préparée pour être l’une des meilleures. Ce serait peu dire, vous étiez la meilleure en réalité.

- La meilleure pour quoi exactement ?

Je sens que l’atmosphère s’alourdit dans la pièce et pas que pour moi. Emma déglutit alors qu’elle veut être le plus impassible possible.

- La meilleure pour trouver des enfants soldats et les enlever. C’était votre job. Éliminer les éventuels obstacles, les parents de ces enfants en l’occurrence ou tous ceux qui pouvaient les protéger. Vous avez fait cela une bonne partie de votre vie, inconsciente de ce que vous faisiez réellement. Et cette République pour laquelle vous vous battiez sans relâche, mettant de côté tous vos principes et se servant de vous comme d’une véritable arme, vous a menti. Pire. Elle s’est servie de vous en employant la même méthode qui vous a condamnée à être orpheline.

Je suis prise de court par cette révélation. Mais un flot ininterrompu de questions se bouscule dans ma tête et surtout une interrogation principale :

- Mais alors cette... Cette enfant ?

- Je ne sais pas qui elle est. Nous l’avons recueillie un jour et il est indéniable qu’elle vous connaît. Nous savons que vous l’avez déjà vue, côtoyée même si vous ne vous en rappelez pas. Nous connaissons aussi vos cauchemars récurrents avec une petite fille qui semble lui ressembler trait pour trait. Mais nous ne pouvons tirer de conclusion hâtive. Et c’est toute cette partie d’ombre que nous voulons résoudre à vos côtés.

- Elle... Elle n’entend pas nos échanges ?

- Non, elle est sourde. Je ne peux affirmer qu’elle l’a toujours été mais nous l’avons toujours connue comme cela, depuis le jour où elle est arrivée. Elle se fait juste appeler JO.

Soudain, la fameuse JO s’approche de moi, lâchant la main d’Emma. Elle parait être bien plus rassurée qu’au début, comme si le fait que je me sois calmée l’avait décidée. Ou est-ce simplement la présence d’Emma.

Elle s’arrête à deux pas de moi et pointe le doigt vers le ciel, inscrivant les lettres « J.U.L.I.A.N.A » dans l’air.

- Je crois qu’elle vous a trouvé un nouveau prénom, Juliana.

Ce mot résonne en moi comme un son clair et limpide, comme si je m’étais toujours appelée ainsi mais que je ne m’en souvenais pas. Comme un souvenir enfuit qui n’aurait jamais existé.

- Mais, au fait, où sommes-nous ?

Cara se rapproche d’Emma qui la prend dans ses bras.

- Juliana, bienvenue à Altara.

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