Chapitre 6

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Dans les jours qui suivirent, le convoi arriva en approche du col qu'ils avaient prévu de passer. La partie la plus haute, périlleuse et pénible. C'est à ce moment-là que le temps s'est mis à se couvrir. Sandre devenait de plus en plus pessimiste. Ce voyage commençait à l'user, elle et les siens. Traverser l'entièreté des montagnes en une seule fois était une aventure très éprouvante même dans de bonnes conditions. Mais là, avec ces elfes... l'ambiance se dégradait. Les elfes souffraient de plus en plus des difficultés du voyage, et le manifestaient en étant de plus en plus hautains. Les Laurussis quant à eux perdaient progressivement patience. Les jours qui allaient suivre seraient infernaux. Les chances qu'un conflit éclate dans le groupe augmentaient dangereusement, de même que les risques d'accident et de pertes dans les passages périlleux qui les attendaient, et qui seraient visiblement agrémentés de mauvaises conditions météorologiques. Sandre passait de plus en plus de temps en reconnaissance. Pour échapper à cette ambiance qui lui pesait, mais aussi pour anticiper au maximum les difficultés et trouver les meilleurs passages, ainsi que les endroits où s'abriter si la météo se dégradait vraiment. Elle avait aussi un mauvais pressentiment qui montait. Elle le mettait sur le compte de la fatigue, mais avait tout de même poussé sa vigilance au niveau maximal pour détecter la présence de prédateurs, animaux ou humains.

Puis le vent se leva, la pluie se mit à tomber et le jour devint très sombre. Tout cela évolua très vite en tempête. Les elfes voulaient continuer, ils n'étaient pas en sucre, qu'ils disaient. Les Laurussis exigeaient que tout le monde se mette à l'abri, c'était pour de vrai, qu'ils disaient. Les elfes aimaient encore moins recevoir des ordres que les Laurussis. Ça a failli dégénérer. L'orage est arrivé. Un orage de montagne. Les elfes ne connaissaient pas les orages de montagne, bien vite la peur gagna leurs rangs et une partie voulut faire demi-tour et s'enfuir. Les Laurussis étaient tellement exaspérés que certains leur crièrent de s'en aller s'ils en avaient tellement envie. Un éclair tomba tout proche, une vague de panique traversa le convoi et tout le monde se mit à faire n'importe quoi. Fuite, combat et tétanie principalement. Même certains Laurussis des plus aguerris semblèrent commencer à perdre pied sous l'effet de la panique collective. Les quelques personnes qui avaient réussi à garder leur sang-froid essayaient de calmer les autres, mais personne n'écoutait. C'est là que la grande elfe avec les armes éleva la voix. Sandre n'oublierait la puissance qui se dégageait d'elle. Elle ordonna aux gens de se calmer. Avec tellement d'autorité que tout le monde se tut, arrêta ce qu'il était en train de faire et regarda ses pieds. Sandre eu l'impression que même le ciel allait s'arrêter de pleuvoir par peur de la contrarier.

- ON SE CALME. ON RESTE GROUPéS. ET ON FAIT CE QUE JE DIS.

Elle se tut un instant. Plus personne ne disait rien. Le petit groupe était comme paralysé. L'elfe regardait un peu partout, comme à la recherche de quelque chose. Son regard s'arrêta sur Sandre, accroupie à l'abri d'un bloc un peu plus haut dans le chemin. Elle leva lentement son bras et pointa la voyageuse du doigt, dont le coeur s'arrêta de battre un instant.

- TOI !

Sandre eut l'impression d'être un lapin tombé nez-à-nez avec un lynx. Elle devint livide et vainquit une paralysie momentanée pour se désigner la poitrine d'un air interrogateur. À ce moment-là, l'entièreté du convoi avait les yeux rivés sur elle.

- OUI ! TOI ! TU SAIS OÙ ON PEUT ALLER S'ABRITER ?

- Heu... oui... je... OUI !

Sandre se reprit quand elle compris ce qui se passait. Elle se leva et fit mine de se mettre en route. Elle avait effectivement, avec l'aide des autres éclaireurs, repéré un endroit où ils pourraient s'abriter. L'elfe se remis à donner des ordres, avec sa voix formidable.

- TOUT LE MONDE ! VOUS SUIVEZ LA VOYAGEUSE ! ELLE VA VOUS GUIDER à UN ENDROIT OU VOUS SEREZ à L'ABRI. ON S'ACTIVE, ON NE DISCUTE PAS ET ON SE DéPÊCHE ! ALLEZ !

Sandre avança en tête de convoi. Tournant le dos à tout le monde, elle hochait la tête d'un air approbateur et admiratif. Avec cette impressionnante démonstration d'autorité, cette elfe venait probablement de sauver la vie de tout le monde. Pour autant que le convoi puisse atteindre la zone qu'elle avait prévue. C'était à moins d'une heure de marche, mais dans ces conditions, rien n'était sûr.

Elle avançait rapidement, se retournant régulièrement pour voir si le groupe suivait. Elle entendait la voix de l'elfe à l'arrière, qui invectivait l'arrière du convoi, afin que celui-ci reste le plus compact possible. Comme une espèce de chien de berger, mais en beaucoup plus terrifiant. Sandre se disait qu'elle ne voudrait pas être à la place de quelqu'un qui se faisait engueuler par cette elfe. Ça la fit rapidement pouffer, mais elle se refocalisa sur la situation, et scrutait avec intensité les alentours, à l'affût du moindre danger. La visibilité était mauvaise, et avec l'orage, des coulées de boues ou chutes de blocs pouvaient se produire.

Et puis à un moment, en regardant où elle mettait les pieds, elle perçut une trace de pas. De pas humain. Mais pas des leurs. Ça ne pouvait pas être l'un des leurs, ni même des elfes, car le type de semelle ne correspondait pas à ce qu'ils portaient, et que les empreintes étaient petites. Sandre savait que les Laurussis étaient en moyenne plus petits que la plupart des humains, et ces empreintes-là étaient encore plus petites. Elle fut rattrapée par son mauvais pressentiment, se retourna et commença à regarder aux alentours du reste du convoi, à la recherche cette fois de gens embusqués. Et elle en vit. C'était difficile de les repérer car ils se cachaient bien et étaient vêtus avec des couleurs proches de celles de l'environnement. Ils avaient encerclé le convoi et s'étaient mis en mouvement pour leur tomber dessus. Sandre hurla pour donner l'alarme, des gens se tournèrent vers elle, d'autres se firent attaquer par surprise. La voyageuse entendit un bruit derrière elle, se retourna et vit un petit groupe de trois personnes, masquées et vêtues de gris, lui foncer dessus. Elle eut à peine le temps de réagir. Elle se jeta sur le côté pour les éviter. Malheureusement, non seulement elle ne fut pas assez rapide pour éviter un violent coup à la tête, mais en plus le côté en question était un talus plutôt raide. Elle se sentit donc tomber, rouler, prendre de la vitesse, en perdre en butant sur tout un tas d'obstacles, puis finir par s'arrêter brutalement contre une souche. Il lui sembla perdre connaissance quelques secondes, mais elle revint bien vite à elle.

Il n'y avait personne en vue, mais elle entendait les bruits du combat et les hurlements, qui n'étaient pas complètement couverts par les bruits de l'orage. Elle se releva aussi vite qu'elle put et, malgré de vives douleurs en différents points de son corps, se mis en mouvement pour rejoindre les autres, et aider là où elle pouvait, en espérant qu'il ne soit pas trop tard. De ce qu'elle avait pu voir de leurs assaillants, ils étaient effectivement plus petits que des Laurussis. Ils étaient masqués et recouverts de pied en cap. Ils semblaient bien équipés pour l'environnement montagneux, et aussi pour ces conditions météorologiques, même si ce n'était pas du matériel laurussi. C'était un groupe de plusieurs dizaines de personnes, qui savaient se cacher, se déplacer rapidement, se battre, et élaborer des tactiques d'assaut à base d'encerclement et de surprise en plein orage de montagne. Tout ça n'augurait rien de bon.

Sandre faisait son possible pour rester concentrée sur la situation. Elle atteint finalement un point de vue qui lui permis d'évaluer l'ampleur de la catastrophe. Le convoi était complètement éclaté, en petits groupes séparés, tous aux prises avec des adversaires plus nombreux. Les Laurussis étaient des combattants farouches, et les elfes n'avaient rien à leur envier, mais les assaillants les dominaient. Il y avait des corps par terre, elfes et laurussis, avec trop peu de ces petits hommes masqués. Le sol était couvert de sang, de débris de chars, et même le palanquin éventré. Tout était perdu. L'espace d'un instant, Sandre se sentit submergée par l'abattement en réalisant qu'ils allaient tous mourir, avant de se reprendre rapidement pour organiser sa propre survie.

Elle resta à couvert et se replia lentement, puis entrepris de s'éloigner au plus vite pour rejoindre une minuscule cachette qu'elle connaissait dans une grotte, non loin de là. Personne ne viendrait l'y trouver, et elle pourrait réfléchir à la suite et soigner ses blessures. Elle s'était passablement éloignée du théâtre principal des affrontements lors qu'elle arriva à proximité d'un autre combat. Il y avait la grande elfe avec les armes ainsi que quelques gardes elfes, qui se battaient contre des adversaires beaucoup plus nombreux qu'eux. Elle ne le vit pas tout de suite, mais le prêtre était également là, non loin d'elle, pas très bien caché, lui tournant le dos.

Elle s'approcha en catimini du jeune elfe, tout en regardant le combat qui se déroulait sous ses yeux. Malgré leur infériorité numérique, les elfes dominaient. Principalement grâce à la grande elfe, qui tournoyait avec ses lames d'acier, et distribuait une mort violente avec une certaine forme de grâce mais surtout une redoutable efficacité.

Sandre allait s'occuper du prêtre. Sa cachette allait forcément être mis à jour, ce n'était qu'une question de minutes, voire de secondes. Elle en avait repéré une meilleure juste un peu plus haut, en arrivant. Le tout était de faire ça discrètement. Arrivée à la hauteur du prêtre, celui-ci n'avait rien remarqué. Elle s'accroupit tout doucement derrière lui, puis le saisit rapidement en lui plaquant la main sur la bouche et, approchant son visage du sien, l'index devant les lèvres, lui murmura un « sssshhhh » à l'oreille. Elle eut un très fugace flash de cette nuit où il l'avait surprise dans les buissons, et où elle avait eu à peu près la même réaction. Elle sentit le corps de l'elfe sursauter et se raidir contre le sien. Il lui attrapa le poignet avec une surprenante fermeté et se tourna pour voir de qui il s'agissait. Sandre sentit l'elfe se détendre immédiatement en la voyant. Elle ouvrit tout doucement sa main pour libérer sa bouche, mais resta contre lui. Ils se fixèrent ainsi quelques secondes, avant que Sandre reporte son regard sur le combat qui prenait place à proximité. L'elfe avait l'air complètement médusé.

- On va se faire repérer si on reste ici. Il y a une meilleure cachette juste là-haut. Viens.

Sur ce elle se redressa, pris le jeune elfe par le bras et l'entraîna dans l'endroit qu'elle avait repéré, qui devrait leur permettre d'être à l'abri des regards le temps que cet affrontement se termine, tout en voyant ce qu'il se passait. Le prêtre se laissa faire docilement, il devait être en état de choc. Ils purent se mettre en relative sécurité.

L'affrontement semblait tourner à l'avantage des elfes, car la grande elfe démontrait un art du combat au moins qui était au moins au même niveau que son aptitude à engueuler des gens. C'était absolument impressionnant à voir. Sandre admirait de plus en plus cette guerrière. Puis elle vit le terrain à l'amont. Non. Elle compris ce qui venait avant le prêtre à ses côtés, et réprima un cri d'avertissement. Ils ne pouvaient pas se faire repérer. Elle se rapprocha du prêtre et glissa son bras autour de ses épaules en prévision de ce qui allait se passer. Lorsque la coulée de boue s'abattit sur la zone de l'affrontement, emportant une partie des protagonistes, il prit son souffle pour hurler et se lever, mais Sandre le saisit le plus fermement possible, l'attira à nouveau contre elle en lui plaquant la main devant sa bouche. Cette fois il se débattit. Elle le maintint fermement, murmurant à son oreille, si près que ses lèvres le frôlaient. « sssshhhh, reste calme. Ils vont nous repérer sinon. Il n'y a rien d'autre qu'on puisse faire pour l'instant. Essayer de survivre en restant cachés. On va se cacher ensemble. Ça va aller. Respire... ». Il sembla se calmer à nouveau. Elle relâcha légèrement sa prise tout en le gardant tout contre elle.

Ils scrutaient la scène ensemble. Sans s'en rendre compte, Sandre se mit à respirer l'odeur du jeune elfe. Elle avait quelque chose de très agréable, qui lui faisait un peu le même effet que ces boissons sophistiquées qu'elle avait eu l'occasion de découvrir lors de ses voyages : un parfum riche, évocateur, qui faisait tourner la tête. Elle laissa reposer sa tête contre celle de l'elfe, qui de toutes façons était obnubilé par la scène qui se déroulait plus bas, et se détendit un instant en s'enivrant de son odeur.

En bas, les choses se présentaient mal. Tous les elfes avaient été pris par la coulée de boue, mais pas tous leurs assaillants. Ceux qui restaient s'étaient mis à la recherche de survivants. Ils trouvèrent la grande elfe un peu plus bas, encore vivante et vivace, mais malheureusement à moitié immobilisée par un énorme bloc qui lui écrasait une jambe. Rapidement elle fut encerclée et, malgré sa rage et son obstination, elle finit par se faire déborder. Sandre fut saisie de colère et d'impuissance à la vue de ce spectacle, mais se força à rester concentrée et raffermit sa prise sur le jeune elfe, qui s'était mis à trembler. Lorsque le coup fatal fut donné à la grande elfe, elle dut à nouveau le faire taire. Il se débattit de plus belle cette fois, cherchant à se dégager pour courir vers la scène. Mais il était trop tard. Sandre le maîtrisa et recula avec lui afin que la scène ne soit plus dans leur champ de vision. Ils étaient assis par terre. Elle était derrière lui, une main sur sa bouche, lui tirant la tête en arrière pour qu'elle repose sur son épaule, l'autre bras autours de son torse, et les deux cuisses serrées autours de lui pour le maintenir fermement. Elle colla sa joue contre la sienne et murmura doucement pour le calmer, comme avec un cheval apeuré. Elle sentit des larmes couler sur le visage du prêtre, et son corps traversé de spasmes. Elle le maintint comme ça tout contre elle pendant quelques minutes, et il finit par se calmer progressivement. La situation était extrêmement critique. Leurs assaillants allaient se mettre à chercher des survivants et les trouver s'ils ne s'éloignaient pas de là au plus vite.

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