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Le lendemain soir, un homme vêtu en petit bourgeois lisait un journal sur un banc à proximité des locaux de la Sûreté. Environ vingt minutes après son arrivée, un groupe de policiers en civil sortit du bâtiment. L’un d’eux, un grand gaillard robuste aux manières bourrues et à la mine peu avenante, se détacha du groupe et tourna à l’angle de la rue de Harlay. Quelques secondes plus tard, l’homme au journal s’engageait derrière lui. Le flic était maintenant hors du champ de vision de ses collègues. Il s’arrêta pour allumer une cigarette et, soudain pris d’un frisson d’agacement et de dégoût, crachat en direction de la Sûreté. Le petit bourgeois s’était posté sous un porche, à l’abri des regards. En quelques instants, grâce à une veste réversible, un morceau de charbon et un grand sac dans lequel disparurent chapeau, moustache et monocle, il se mua en parfait titi parisien. Le flic reprit sa marche et Lupin, sûr de ne plus pouvoir être reconnu ni comme bourgeois, ni comme cambrioleur, le suivit. La filature fut difficile, le policier semblant se tenir constamment sur ses gardes. Mais Lupin n’en était pas à son coup d’essai, et aucun incident ne compromit le bon déroulement de ses plans. Une demi-heure plus tard, il se trouvait dans un tripot crasseux, devant une table qui collait aux manches et sentait le lard rance. Il buvait lentement d’une chope de bière à la propreté douteuse. En lui tout tremblait, fulminait, mais il n’en laissait rien paraître. A moins d’un mètre de sa table était assis le flic, l’assassin d’Octave. Lupin devait se retenir pour ne pas lui sauter à la gorge. “Plus tard mon vieux, pensait-il, plus tard. Tu dois d’abord comprendre, et sortir indemne de ce bouge.” Il balaya du regard la salle et ses habitués. “Oui, continua-t-il en son fort intérieur, un seul faux pas et tu es un homme mort.”

Le flic avait été rejoint par deux camarades, aussi bruyants que louches. Lorsque les trois hommes eurent commandé des consommations, ils baissèrent la voix. Lupin tandit l’oreille.

“Toujours coincé dans cette affaire César ? demanda l’un.

-Ta gueule, répondit l’intéressé.

-Ca commence à jaser t’sais… on dirait presque que tu t’y plais, chez les poulets, railla l’autre.

-Le patron pense que c’est plus sûr comme ça, lachez-moi vous deux, on s’est retrouvé pour boire un coup oui ou merde ?

-Allez, fais pas cette tête, reprit le premier. Une affaire en or, bien payée, et qui de surcroît te garantit une tranquillité totale vis à vis de la police pour quelques bonnes années. Je t’envie tu sais.

-Vrai, mais toute cette mascarade a bien failli tourner au vinaigre. Buter le gosse pendant le cambriolage, et avec un revolver de flic qui plus est… Heureusement qu’il s’est jeté devant son patron, sinon je garantissais pas le résultat.

Lupin luttait, mais tous ses muscles étaient tendus et l’issue de son combat intérieur lui semblait pour le moins incertaine. Il se leva doucement et, abandonnant son verre, se dirigea vers la sortie. A la table des malfrats, la conversation continuait. Avant de claquer la porte du troquet, le cambrioleur saisit une dernière phrase.

“Les menaces de Lupin dans la presse ? s’exclaffait l’assassin. Et pourquoi diable m’en inquiéterais-je ? De la frime pour se faire bien voir!  Parce qu’il a pas sû protéger le gosse ! Pour un héros du grand public, ça fait sacrément mauvais genre… A l’heure qu’il est, il doit se terrer dans une de ses demeures, le blanc-bec ! ”

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