Douce nuit
de Vicomte Bidon
Il est deux heures du matin, je me lève, m’habille en silence dans le noir, mes mains tremblent, mes lèvres remuent, connasse, salope, idiote, foutue égoïste, idiote, foutue égoïste, sans un bruit.
Je sors, je referme la porte doucement, elle grince, stupide porte, je grimace.
Je marche vite, il fait froid, je ne suis pas assez couvert, j’attrape un rhume, une pneumonie, la tuberculose, un cancer généralisé, un staphylocoque doré, la malaria, la fièvre jaune, la fièvre rouge, bleue, arc-en-ciel, aphteuse, Ebola, le sida, la maladie de Parkinson, Alzheimer, la myxomatose, la lèpre, la peste bubonique, le diabète, on m’ampute d’un bras et d’une jambe, je suis sur mon lit de mort, Noa est à mon chevet, elle pleure comme on n’a jamais pleuré, malgré les flots qui coulent à grand flots de ses grands yeux bleus, malgré la douleur qui lui tord le visage, qui lui tord le corps, elle est belle, de chagrin ses cheveux noirs deviennent blancs, ses doigts se nouent, son dos se voûte, ses seins tombent comme des poires blettes, pardonne-moi, pardonne-moi, s’il te plaît ne meurs pas, je ne réponds pas, on m’a aussi enlevé les cordes vocales, je lui souris, elle redevient jeune, elle a retrouvé sa souplesse et tous ses seins, je meurs.
Au bord du canal un couple enlacé, tendrement enlacé, connards, idiots, foutus naïfs benêts, idiots, foutus naïfs benêts, elle te quittera, il te trompera, vous vous détesterez, déjà la femme repousse l’homme et s’enfuit, il la rattrape, la gifle, je m’interpose, il sort son cran d’arrêt, son coutelas d’ivoire, sa machette ensanglantée d’un génocide tout frais, son sabre de cosaque, sa sagaie de masaï, son cran d’arrêt, j’écarte les bras, tu veux me pointer, connard, te gêne pas, il se gêne pas, me pointe et se tire, je meurs, mon dernier regard est pour la femme qui se penche vers moi, c’est Noa, elle m’aimera toujours, par-delà la mort.
Je passe devant un bar, j’ai envie de boire, j’entre, m’accoude au comptoir, prends une bière, une vodka frappée, un rhum arrangé, un single malt, un triple scotch double face on the rocks, mon regard affuté, assuré, viril et tendre, parcourt la salle, et infaillible lasso attire une affriolante nymphette déjà amoureuse, nous baiserons toute la nuit, elle tombera raide d’amour et enceinte jusqu’aux yeux, je la quitterai, désolé baby, je t’avais prévenue, je ne suis que de passage, un lonesome cow-boy solitaire chevauchant vers le couchant sur sa bavarde et espiègle monture, éplorée la mère échevelée de mon fils beau comme un soleil m’agonira d’insanes insanités, sortira de sa nuisette déchirée découvrant ses charmes un magnum 357 chargé jusqu’à la gueule, adieu monde cruel, sois heureux mon fils que j’ai si peu connu, sois heureuse belle nymphette dont j’ai déjà oublié le nom, maquille s’il te plaît ton crime en suicide, mon fils mérite une mère aimante, sois heureuse Noa, je te souhaite le meilleur et plus encore, je te pardonne, et quitte cette décevante vie absurde sans regret, le bar est fermé.
Je marche encore plus vite, il fait encore plus froid, il commence à pleuvoir, j’arrive au campus, je m’arrête un instant devant l’INSIT, lève les yeux vers l’austère bâtiment gris, je le déteste maintenant, la fenêtre de mon bureau est éclairée, je suis dans mon bureau que je saccage avec méthode, mon Mac éventré semble réprobateur mais garde un digne silence, j’ouvre la fenêtre et saute, me ravise, ce n’est pas assez, je redescends au troisième, me taille les veines, avec l’encre rouge de mon sang j’écris je t’aime Noa sur les murs du couloir, puis je m’immole devant son bureau.
Voilà le stade, je cours sur la piste, la pluie s’intensifie, c’est une averse impitoyable, ma course est sauvage, nous courrions Noa et moi à perdre haleine sur la plage de notre amour, je suis Emil Zatopek, ma tête dodeline, je grimace, mes bras sont des membres inutiles, mes jambes infaillibles me portent vers l’inévitable victoire, je m’écroule, allongé sur le dos, les bras en croix, je hoquète, suffoque, étouffe, l’averse me noie, la foudre me foudroie, un baobab, un sequoia, un A380, une météorite tueuse de dinosaures s’abattent sur moi.
Il est quatre heures du matin, j’ouvre la porte avec précaution, elle grince à peine, c’est bien ma belle, je grelotte, à la salle de douche je me déshabille et m’essuie en tremblant, je me glisse dans le lit, Noa dort toujours, dors bien mon amour.
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