Je suis née un soir d'été, au large du Cap Vert…

Tout est calme, les hommes reviennent de la pêche.

Tout le jour, toute la nuit, ils ont jeté leurs filets au fond de l'océan, mais les poissons, sentant venir le chaos, ont déserté les profondeurs. Alors les hommes rentrent bredouilles.

Ils savent…

Et les oiseaux des mers en me voyant naître, poussent à l'infini leurs cris de trompette.

Ils savent aussi.

Ils ont vu mes frères et mes sœurs avant moi.

Ils ont vu mes parents, mes cousins, mes oncles et mes tantes.

Nous sommes la mort et la désolation. Nous sommes la colère du ciel et la foudre de D…

Je suis fille d'Uranos et de Gaïa. J'enfle, je gonfle, je me remplis le ventre de mer et d'alizés.

Depuis des siècles, nous suscitons la peur, la terreur et la fascination. Nous sommes le châtiment divin, le berger des humains. Ils tremblent devant nous. Ne ployez pas le genoux, misérables créatures, il est déjà trop tard.

Je m'appelle Irma et je viens juste de naître.

Je m'appelle Irma et déjà je fais peur.

J'avance lentement, chargée d'eau et de vent. J'avance, monstre géant avalant tout sur mon passage, et mon œil unique domine le monde. Je sais que déjà, on parle de moi, on me craint, on m'appréhende. Certains espèrent que je m'essoufflerais au cœur de l'Atlantique.

Je suis indécise. C'est cela qui fait trembler. Je prends mon temps, je ne suis pas pressée. Mes frères et mes sœurs, Inès, Camille, Hugo, Luis, Katrina, je veux vous faire honneur.

Où aller ? Il y a tant à faire et tant à dévaster. Tant de terreur à semer. Les hommes parlent de moi déjà, du bout des lèvres. Ils observent ma croissance, ma trajectoire, attentifs, craintifs. Où va-t-elle cette diablesse ? Je hume l'air, je hume l'océan, je hume la peur des hommes. Je m'élève encore dans les cieux, regarde devant moi. Là-bas, ces îles disposées en arc, misérables poignées de terre et de roches jaillies de l'océan pour mieux accueillir mes colères, traçant une frontière avec les mer des Caraïbes.

Je ferme les yeux. Laissons D… me guider.