À une amie perdue...
Peut-être ce premier non-amour m'aurait laissé un souvenir moins amer, s'il n'avait pas de surcroît été entaché par celle qui fut auparavant mon amie, Coralie. De cette époque, voilà l'une des rares personnes dont la soudaine méprise ne devait rien à mon homosexualité. Coralie et moi nous étions perdues de vue bien avant mon coming-out public. Elle se fichait d'ailleurs éperdument de ce que les autres faisaient de leur langue, de leur cul ou de leur cœur. Tous les autres, sauf Leïla.
Il y avait une fille
Son nom aurait pu être le tien
Elle aurait pu être toi ou une autre
Mais elle était mon amie
Et je dois vous dire aujourd'hui
Ce que je ressens depuis ce jour
…
Il n'y avait que le bonheur et l'insouciance
De trois enfants qui coulaient des jours heureux
Tant de disputes et de fous rires
Des surnoms inoubliables
Je pensais que nous serions toujours inséparables
Je pensais que rien n'effacerait notre amitié
Mais le temps n'était pas d'accord avec moi
Et en un coup de vent il n'y avait plus rien
Il y a eu un éloignement, peut-être de ma faute
Mais j'ai réussi à y faire face, je suis revenue
Les vacances sont arrivées et nos messages ont augmenté
Je me sentais bien plus proche d'elle, comme avant
Mais le jour de la rentrée il y a eu une phrase idiote
Nous aurions mieux fait de nous taire
Il y a eu des jeux stupides et des remarques blessantes
Nous avons trop tirer sur la corde
J'ai essayé de recoller les morceaux
Mais je crois qu'il y avait trop de vent
Nous avions besoin de notre amitié à ce moment
Ou peut-être juste en avais-je besoin
Je me suis levée un matin et tu étais partie
J'ai dit adieu à mon amie.
Ai-je fait un faux pas et quand l'ai-je fait ?
Je ne sais pas, je ne peux comprendre
Éclaire-moi je t'en prie
Car je suis prisonnière d'une cage de questions
J'ai longtemps cherché la marche arrière
Mais elle n'était pas inscrite dans le mode d'emploi
Et je suis coupable de ce que j'ignore
Tu dois me sortir de ces doutes
Pitié explique-moi mon erreur
Je veux partir de cette cage de questions.
Par je ne sais quel hasard sournois, Coralie était devenue la meilleure amie de Leïla. Sitôt cette dernière m'avait déclaré sa flamme, sitôt y avais-je répondu. Tandis que je m'imaginais ce béguin comme le grand amour, Coralie l'a interprété comme un acte de vengeance. Après avoir triomphé de la bataille dont j'ignorais même l'existence et lui avoir escamoté l'amitié de Morgane, voilà que je repartais en Croisade pour lui chaparder sa nouvelle meilleure amie.
Bêtement, Coralie a imposé à Leïla de faire un choix, et Leïla m'a choisie. Encore une amitié brisée contre ma volonté. Ce dont je me sentirais coupable pendant les quelques semaines où nous serions en couple.
Il y a eu de la haine et des injures
Je regrette certaines de paroles que j'ai dites
J'ai fait des choses moches, je l'avoue
Car j'étais plus en colère que jamais
Je me sentais trahie et humiliée
Et ma tristesse est devenue violence
Je t'ai souhaité des choses horribles
Et je me trouve maintenant stupide
Je préfère être franche et sincère
Car c'est ce qu'aurait été ton amie
J'aurais aimé poser mes mains sur ton petit cou
Et les serrer jusqu'à ce que ton souffle t'abandonne
Et maintenant je suis stupide, détestable
Tes regards noirs me tuent, tu le sais
J'aimerais qu'on jette un coup d'œil au mode d'emploi
Pour trouver ensemble le bon bouton
On est sur une planche au milieu de la mer
C'est à la première qui fera couler l'autre
Mais si je coule tu coules, tu verras
Alors trouvons un équilibre commun
La haine et la colère n'amènent à rien
Prenons du recul en souvenir du bon temps.
Je ne veux plus prendre le risque de tout couler
A cause de vieilles rancunes et d'une maudite fierté
Je m'abaisserai où il faudra si tu le veux
Mais je te demande de suivre le mouvement
Notre amitié a volé en éclats il y a longtemps
Il y a des solutions tu sais, trouvons-en une
Enterrons ensemble ces souvenirs
Ou refaisons-les jaillir pour de bon.
Lorsque Leïla m'a quittée, la colère me dévorait. La violence avec laquelle j'avais insulté Coralie autrefois n'avait d'égale que la hargne que mettraient mes propres amis à me défendre. Tous ont blâmé Leïla pour m'avoir trompée. Heurtée par les reproches, cette dernière m'a adressé le plus blessant des messages :
« Je me suis bien foutu de toi avec Coralie. On avait prévu que je te briserai le cœur. »
Jamais elle ne se sont réconciliées. Cette insoluble discorde a entretenu au moins la certitude qu'un jour Leïla avait éprouvé quelque chose de sincère à mon égard. Par amour propre, le Moi d'alors éprouvait le besoin de s'en assurer.
Mais ça ne suffisait pas. Sans personne à aimer, je souffrais en vain du jugement des autres. Alors, à défaut d'avoir personne d'autre sur qui reporter mes sentiments, j'ai continué d'aimer Leïla. Elle m'a aimée aussi, par intermittence, lorsque je parvenais à creuser entre nous un écart suffisant pour lui paraître à nouveau exotique et digne d'intérêt. Tantôt je résistais sauvagement, tantôt je tombais comme une idiote dans ses filets. Ces maux de cœur chroniques m'occupaient l'esprit et la plume ; suffisamment pour que j'oublie un peu la haine vaine que l'on me témoignait sans relâche.
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