Une histoire de téléphone
C'était une nuit d'été, l'un de ces soirs où la douceur enveloppe la noirceur de la nuit, où l'air est si agréable qu'on se surprend à désirer rester dehors jusqu'aux premières lueurs du jour. Cependant, elle était chez elle, affairée devant son fourneau, préparant un repas pour son mari qui devait rentrer d'un moment à l'autre. Elle s'attelait à la confection d'un délicieux poulet rôti, accompagné de patates douces, un festin à venir. Elle trépignait d'impatience à l'idée de s'attabler et de savourer ce mets alléchant. C'est à ce moment-là que le téléphone retentit, émettant une sonnerie stridente qui la fit sursauter. Elle manqua de renverser le plat de patates qu'elle venait de finir de couper. Après l'avoir posé sur la table de la cuisine, elle se dirigea, à contrecœur, vers ce téléphone insistant.
Elle décrocha, mais la voix à l'autre bout du fil la prit par surprise. "Ça faisait longtemps ! C'est moi, tu te souviens ? On était ensemble au lycée, tu te rappelles ?" Elle murmura un timide "oui". Les souvenirs refirent surface.
"Je t'avais envoyé tant de lettres, les as-tu lues ?" Elle n'avait aucune envie de prolonger cette conversation et se hâta de s'excuser avant de raccrocher brusquement. Restée là, face au téléphone, elle se perdit dans ses pensées. Comment avait-il retrouvé son numéro ? Pourquoi persistait-il ainsi ? Une nouvelle sonnerie brisa ses réflexions, agaçante. Elle hésita à répondre. Et si c'était lui à nouveau ? Le téléphone sonna une fois, deux fois, trois fois. Elle finit par se décider à décrocher, inquiète que quelque chose soit arrivé à son mari.
A peine avait-elle porté le combiné à son oreille qu'elle entendit de nouveau sa voix. "Je t'en prie, ne raccroche pas, s'il te plaît ! Je voudrais juste discuter un peu avec toi... Ça fait si longtemps... Et ça me fait tellement plaisir de t'entendre..." Avec douceur, elle expliqua qu'elle était désormais mariée, et qu'il n'était pas nécessaire qu'il la rappelle. Ignorant ses supplications, elle raccrocha. Soudain, le téléphone sonna à nouveau. Elle décrocha, puis le reposa aussitôt. Un silence pesant s'ensuivit, rompu par la sonnerie insistante. Elle prit enfin son courage à deux mains et répondit.
"Si ton mari meurt, pourras-tu m'aimer ?" Elle le réprimanda, l'insulta, usant de mots blessants. Puis elle raccrocha une fois de plus, ses mains tremblantes de colère. Une odeur de brûlé émanait de la cuisine. Elle se précipita pour éteindre le four et sortit son poulet à moitié carbonisé, jurant en constatant les dégâts. Le téléphone sonna de nouveau, et exaspérée, elle décrocha.
"Je t'en prie, ne raccroche pas ! Je veux simplement discuter avec toi !" Elle avait atteint son point de rupture. Elle l'invita alors à venir tout de suite, devinant son enthousiasme. Elle n'eut pas à attendre longtemps.
Un quart d'heure plus tard, quelqu'un frappa à la porte. Elle en était certaine, c'était lui. Tenant toujours le couteau avec lequel elle avait découpé le poulet carbonisé, elle prit une décision impulsive. La situation ne pouvait plus durer.
Elle ouvrit la porte lentement, et à peine avait-il mis un pied chez elle qu'elle se jeta sur lui, le poignardant à maintes reprises. Elle frappait sans relâche, laissant sa colère s'exprimer. Soudain, le téléphone sonna à nouveau, d'une voix stridente. Elle se releva, haletante, et décrocha. Au bout du fil, une voix féminine, celle d'une amie.
"Te souviens-tu de ce garçon qui t'envoyait des lettres au lycée ?" Un faible oui, prononcé tout en tenant le couteau taché de sang.
"Il s'est suicidé hier soir." Elle laissa le combiné retomber, se retournant lentement vers le corps inerte gisant sur le sol. Elle reconnut le costume qu'elle avait repassé la veille, ainsi que la cravate aux couleurs criardes qu'elle détestait.
Annotations